« Tu vas finir comme eux, p’tit frère. Fade et silencieux. Une vie de merde. »
Lars, ce frère de douze ans son aîné, il n’en a entendu pour ainsi dire que du mal. Il ne l’a pas suffisamment connu, et pourtant, dès le premier jour de sa naissance, c’est toute la vie de Saul qui a été conditionnée par les affres de son frère. C’est que les Grant, famille bien en vue installée à Neptunia Harbor, avaient trop à perdre. Alors ce second fils est devenu comme une assurance. De quoi gommer les échecs de Lars, signe de l’air (comme son père), désinvolte, rebelle, et qui cherchait à s’émanciper à tout prix. Pour le pire. Pour les renier, eux.
On peut dire qu’il a réussi avec brio. Là où ses parents admettent, entre les quatre murs de leur maison, avoir failli avec Lars, il est clair qu’ils ne comptent pas en faire de même avec leur second. Ils font tout pour lui donner une éducation scolaire et religieuse à toute épreuve. Ce qui n’est pas une mince affaire, pourtant... Car l’enfant se distrait d’un rien. Il voit des visages dans la forme des nuages, dessine dès qu’il le peut et apprécie bien plus le sport et les travaux manuels aux devoirs qui lui sont demandés.
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Il attend, avec un petit sourire de circonstance, en laissant son regard glisser le moins possible sur les visages. Il préfère s’imprégner de la décoration du temple en ce jour de fête, et savourer la sensation qui l’habite, si près de l’un des plus beaux moments de sa vie, son mariage avec Violet. Les secondes s’égrainent si lentement, le temps parait si long en un instant pareil. Une musique douce se fait entendre depuis plusieurs minutes, et Saul ne voit pas les sourcils qui commencent à se froncer, ni les personnes qui se retournent de plus en plus, vers l’entrée de la salle. Il reste impassible, cheveux bien coiffés, tenue impeccable, il bombe un peu le torse, toujours droit... Il attend. Comme la centaine d’invités présents.
De petits murmures qu’il tente vainement de ne pas entendre s’élèvent, ici et là, et un frisson le parcourt, inconsciemment. Rien ne peut troubler la fête, bien sûr que non. C’est leur journée, à Violet et lui. Leur moment. Il accentue son sourire et fait mine de rien en croisant le regard courroucé de sa mère. La mariée se fait désirer, et alors ? N’a-t-elle pas le droit ?
Quand une silhouette, enfin, se dessine dans l’entrebâillement de l’entrée, ce n’est pas celle attendue. C’est Auguste. A grandes enjambées il longe le mur sur la gauche, comme s’il refusait d’emprunter la magnifique allée centrale. Il fait bien, elle n’est pas pour lui, après tout. Saul le suit du regard, essayant d’être aussi impassible que possible, et quand ce dernier se faufile jusqu’à lui, sous les regards curieux des invités, Saul le salue avec un large sourire :
« Hé, Auguste ! » Ils se sont déjà vus et revus depuis le début de la journée, pourtant. Son exclamation est absurde. Sans doute due au stress.
« Saul...
- Oui ?
- Violet.. Violet ne viendra pas.
- ?
- Elle t’a laissé un mot. Elle ne viendra pas, je suis désolé. »
Il semble l’être, mais rien de ce qui est sorti de la bouche de l’Havilliard n’a de sens, pour Saul. Il le regarde comme s’il parlait une autre langue, et quelques secondes passent ainsi. Auguste lui glisse un papier dans la main et Saul se contente de le serrer, sans rien en faire. Auguste insiste.
« Il faut annuler le mariage. Prévenir les gens. » Il chuchote, seulement, à leurs attitudes, toutes les personnes qui les fixent sans un mot ont bien compris que quelque chose n’allait pas.
« ... » Saul est inerte, figé, il ne comprend rien. Il n’est pas en mesure de comprendre et baisse la tête, sonné, en fixant un point quelconque vers le bas de l’autel. Un soupir et Auguste lui murmure à nouveau. « Je m’en occupe. »
Puis l’homme se retourne en direction des invités et d’une voix claire annonce l’annulation du mariage, sans rien préciser de plus que « La mariée ne viendra pas ». C’est flou, mais déjà quelques exclamations percent sous le bruit des chaises. Tout cela se fait sans que Saul ne sorte de sa torpeur, sans qu’il ne remercie Auguste pour son initiative, sans qu’il ne bouge. Toutes les personnes qui quittent la pièce non sans un avis arrêté sur la chose ou une interrogation constatent son attitude prostrée. Certains le plaignent, évidemment, sans rien savoir. Qui ne le plaindrait pas ?
Un quart d’heure plus tard, dans une arrière-salle, assis à une table, il déplie le papier qu’il a serré pendant de longues et douloureuses minutes. Il reconnaît l’écriture penchée de la femme exigeante qu’il aime tant. Ses yeux parcourent le mot en s’arrêtant sur quelques passages, souffrant à chaque fois comme si un poignard lui était planté dans le cœur, à chaque ligne.
« Je regrette, Saul, et j’ai honte de ce que je t’inflige. Ce matin, en me levant, je pensais sincèrement me coucher en tant que Violet Grant, mariée, comme prévu.
[...] Maintenant, pourtant... j’ai la sensation que le meilleur choix, pour moi, est ailleurs. Qu’une autre vie, libre et belle, m’attend au-delà des frontières de Neptunia Harbor et de ce que tant de gens attendent de moi. De ce que tu attends de moi, Saul.
[...] Tu te vois père, tu rêves d’enfants alors que... je n’en veux pas. Je n’ai jamais su te le dire, car mes parents, tes parents et toi-même ne souhaitez que ça. Mais je ne suis pas le réceptacle de vos vœux de belle et gentille famille. Je veux être autre chose.
[...] Je t’aime, Saul et rien ne pourra changer cela. Seulement, tu n’es plus le seul homme de ma vie. Depuis... plusieurs mois, d’ailleurs. Je tremble de te l’avouer, cependant, je me dois d’être honnête avec toi. En ce jour. Il y a un autre homme. Tu étais trop occupé pour le voir. Il est différent, original, libre. Il n’a pas suivi la voie toute tracée que sa famille a pensé pour lui. Il ne cherche pas à être le fils parfait. Il est simplement lui, personne pour les autres et tout pour moi, désormais. Il n’attend de moi ni enfant, ni mariage. Juste être à ses côtés, autant que je veux l’être. Me marier serait tirer un trait sur tout cela. Nous trahir tous les trois. Je réalise maintenant que je ne le veux pas.
Je t’aime, mais je ne veux pas t’épouser. Je ne veux pas vivre cette vie que tu projettes, Saul. Rester serait nous faire souffrir, toi comme moi, c’est pourquoi je m’en vais.
Je te souhaite de trouver la personne qui saura te donner ce que tu désires. Il m’aura fallu du temps pour le comprendre... cette personne, ce ne peut être moi.
Je m’excuse de ne pas être capable de te dire tout cela en face.
[...] Maintenant, pourtant... j’ai la sensation que le meilleur choix, pour moi, est ailleurs. Qu’une autre vie, libre et belle, m’attend au-delà des frontières de Neptunia Harbor et de ce que tant de gens attendent de moi. De ce que tu attends de moi, Saul.
[...] Tu te vois père, tu rêves d’enfants alors que... je n’en veux pas. Je n’ai jamais su te le dire, car mes parents, tes parents et toi-même ne souhaitez que ça. Mais je ne suis pas le réceptacle de vos vœux de belle et gentille famille. Je veux être autre chose.
[...] Je t’aime, Saul et rien ne pourra changer cela. Seulement, tu n’es plus le seul homme de ma vie. Depuis... plusieurs mois, d’ailleurs. Je tremble de te l’avouer, cependant, je me dois d’être honnête avec toi. En ce jour. Il y a un autre homme. Tu étais trop occupé pour le voir. Il est différent, original, libre. Il n’a pas suivi la voie toute tracée que sa famille a pensé pour lui. Il ne cherche pas à être le fils parfait. Il est simplement lui, personne pour les autres et tout pour moi, désormais. Il n’attend de moi ni enfant, ni mariage. Juste être à ses côtés, autant que je veux l’être. Me marier serait tirer un trait sur tout cela. Nous trahir tous les trois. Je réalise maintenant que je ne le veux pas.
Je t’aime, mais je ne veux pas t’épouser. Je ne veux pas vivre cette vie que tu projettes, Saul. Rester serait nous faire souffrir, toi comme moi, c’est pourquoi je m’en vais.
Je te souhaite de trouver la personne qui saura te donner ce que tu désires. Il m’aura fallu du temps pour le comprendre... cette personne, ce ne peut être moi.
Je m’excuse de ne pas être capable de te dire tout cela en face.
Vis tes rêves.
Oublie-moi.
Violet H. »
Oublie-moi.
Violet H. »
(1962) Naissance — Saul est le fils cadet des Grant, arrivé douze ans après son aîné, Lars. Ses parents voient en lui un gage de stabilité, pour réussir ce qu’ils ont raté avec leur premier enfant. Omni seul sait combien ils ont eu du flair, alors !
(1967) 5 ans — Poisson, comme sa mère. Saul est une petite tête rousse sans cesse scrutée par ses parents qui espèrent faire oublier les déboires de leur aîné, déjà ramené à plusieurs reprises à la demeure familiale par des brigadiers de la cité Haute, à leur plus grand désarroi.
(1968) 6 ans — Pour citer son père, « Lars a engrossé la fille Highbrooks ». Jeune enfant rêveur, Saul ne comprend rien alors de l’agitation ni du déshonneur que cela entraîne. Pour lui, cela signe surtout l’arrivée d’Aralia dans sa vie. Elle est sa nièce, elle deviendra presque comme une sœur. Ses parents sont amers et acceptent par dépit de prendre le nourrisson sur leur toit.
(1969 à 1975) 7 à 13 ans — L’éducation (complète et exigeante) de Saul se poursuit, et il s’ouvre progressivement aux autres. La présence d’Aralia lui fait du bien, ils grandissent ensemble et Saul se plaît à jouer les oncles au grand-frère. Un lien fraternel que Lars n’a jamais eu avec lui, trop occupé à étoffer sa réputation de coureur de jupons, dont on ne sait guère précisément les occupations. Pour Saul, il est une source d’embarras...
(1976) 14 ans — Lars ne fait rien pour arranger les choses. Tandis que tout s’aligne pour que Saul soit formé à de hautes fonctions dans la cité, son frère va et vient, toujours dans de grands éclats de voix. C’est alors que le scandale éclate et éclabousse la famille Grant : Lars a eu une relation adultérine avec l’épouse du patriarche Carter et une deuxième enfant, Juniper. C’en est trop. L’aîné est répudié et doit partir, ses filles avec lui. Pour Saul, c’est la douche froide. Il voit Aralia partir avec les yeux brillants. Depuis, la dynastie du feu associe les Grant à une tentative d’affaiblir leur lignée.
(1979) 17 ans — Les qualités sportives de Saul se confirment, de même que sa maîtrise instinctive de son don et ses difficultés à rester bien sagement derrière un bureau. Ce n’est pas fait pour lui et un rien le déconcentre, l’exaspère. Mais il s’accroche. Sa dévotion envers Omni et le temple de l’Eau sont appréciées, de même que son tempérament de travailleur. Il fait preuve d’une véritable persévérance qui retient l’attention et gomme – presque – le parfum de scandale laissé par son frère, dont il n’a plus de nouvelles.
(1981 à 1984) 19 à 22 ans — Recommandé par son père, Saul rejoint un poste dans l’administration. Enfermé entre quatre murs il sent très vite que ce n’est pas pour lui. Le temps passe, et malgré toute sa bonne volonté il ne s’y fait pas et le dissimule de plus en plus mal. Le sport et l’entraînement lui permettent de s’évader, de même que son premier véritable amour. Jeune et souriante, elle adore la poésie. Avec elle, Saul goûte à la douce sensation d’être aimé pour ce qu’il est. Au bout d’un an leur histoire se termine presque en douceur, et il quitte son poste peu de temps après. C’est elle qui lui a donné l’impulsion nécessaire. « Ouvre les yeux, sinon tu vas dépérir. » Il laisse aussi ses oreilles traîner à droite à gauche, dans l’espoir de retrouver la piste de sa nièce Aralia. Ou plutôt, ses nièces, qu’il sait dans l’Understadt.
(1985) 23 ans — Saul rejoint une brigade affectée à la sécurité de la cité Haute. Ses parents sont mitigés face à ce choix de carrière, et pour la première fois il s’affirme réellement face à eux. Il aime ce qu’il fait, se sent utile. Aralia revient dans sa vie, et il s’en veut de n’avoir rien pu faire, à l’époque, quand Lars l’a amenée avec lui. Alors il se montre à nouveau présent, l’écoute, la soutient dans a volonté d’intégrer l’université, même s’il voit bien que cette dernière est changée à jamais.
(1986) 24 ans — Au hasard d’une patrouille, il croise Violet Havilliard. C’est un tournant dans sa vie. C’est plus qu’une rencontre, c’est une affirmation. Cette femme a beau être plus âgée que lui, elle dégage une aura qui le submerge et il fera tout pour la voir à nouveau. Elle, elle ne le prend pas véritablement au sérieux, à cette époque.
(1988) 26 ans — Le brigadier Grant prend plaisir à ce qu’il fait et s’investit à 200%. Il cherche aussi à évoluer, s’investir plus pour la cité et la dynastie Buchanan. Il prend du galon et le gardien du temple de l’Eau de l’époque, qui semble l’apprécier, lui confie des missions spécifiques. La famille Grant est fière de le voir prendre une telle direction. En parallèle, il revoit Violet. Une fois, deux fois... plus. Elle finit par voir en lui un homme fiable et souhaitant la chérir sincèrement. Saul redouble d’attentions.
(1989) 27 ans — Au printemps, à grand renfort de fleurs et de bougies, il demande Violet en mariage. Elle accepte, et Saul se sent le plus heureux des hommes. D’autant que les Havilliard sont une famille très pieuse. Pour Saul, Auguste, le frère de Violet, est un homme surprenant dont il apprécie la conversation et l’humour. Pour ses parents, en revanche, il est avant tout le bras droit du Héraut de la Terre, et ça, ce n’est pas rien. Alors ils se plient toujours en quatre pour faire bonne impression et se réjouissent de ces fiançailles. Ce début d’année contraste fortement avec les mois qui suivirent... Aralia leur apprend la mort de Lars. Saul l’a mal connu, mais il n’en est pas moins attristé, avec la sensation que leur différence d’âge ne lui a pas permis d’être le soutien dont Lars avait peut-être besoin.
(1990) 28 ans — Le temps soulage tout et petit à petit, Saul a la sensation qu’Omni est avec lui. Tout va relativement bien, il est plus spécifiquement rattaché à la sécurité du temple de l’Eau et de son gardien, ce qui lui assoie une certaine position et lui permet de voir bien souvent Aralia, dont la trajectoire de vie suscite l’admiration (et réjouit les Grant, qui voient en elle désormais autre chose que « la première gamine de Lars »). Celle-ci se retrouve propulsée au rang de bras droit du Héraut de l’Eau. Saul l’a vue toujours plus présente au temple, se transformer en femme accomplie. S’il ne peut retenir une once de jalousie... Il est tout de même ravi pour elle. De son côté, sa dévotion s’en trouve redoublée, il prie, s’entraîne, et se réjouie à chaque retour à la maison, en retrouvant sa fiancée, plus belle que jamais. Il rêve d’enfants aux cheveux roux et s’imagine en tant que père. Violet toujours le nez dans ses livres et ses dossiers, lui sourit à chaque fois avec un air doux. Oh combien il lui tarde d’être uni à elle devant Omni et les astres !
(1991) 29 ans — Juillet, ce qui doit être l’un des plus beaux jours de sa vie. Du beau monde est convié, les familles, leurs amis et des gens dont Saul ne sait rien mais que ses parents tenaient à inviter. Il n’a pas trop eu son mot à dire et n’a pas débattu. Aralia est présente, aussi, pour son plus grand bonheur. Il lui a soufflé d’inviter Juniper mais ne sait pas si cette dernière est là, cependant. Il n’a pas le temps de s’en soucier. Car au moment où tous les yeux sont rivés sur lui, bien sagement à l’autel, engoncé dans un costume sur mesure au prix exorbitant... il attend. Il attend. Il attendrait encore si Auguste n’était pas venu le voir pour lui faire comprendre, en peu de mot, que le mariage n’aura pas lieu. Cette annulation est une débâcle pour les deux familles. Faute d’avoir le fin mot de l’histoire, les Havilliard parle d’un kidnapping. La vérité n’est connue que de peu de monde, et malgré une note plutôt explicite, elle ne sera jamais vraiment entendu de Saul. Trop sonné pour réaliser, il restera mutique pendant plusieurs ensuite, à essayer de comprendre. Il ne comprendra jamais réellement. Les Havilliard se mettent à parler de la mort de Violet, cette « excuse » (car c’en est une) est reprise par ses propres parents, et il les laisse dire. Il est suffisamment honteux, confus et blessé vis-à-vis de tout cela... ce mensonge lui va très bien. Il ne résout rien, ne change rien, mais il lui va. Il l’aide à relever la tête plutôt qu’admettre que celle qu’il aimait plus que tout est partie avec un autre, pour vivre libre et sans s’embarrasser du poids de la maternité.
(1992 à 1996) 30 à 34 ans — Son travail, l’entraînement et sa dévotion auprès du temple de l’Eau lui permettent de se reconstruire. Il fait parfois l’idiot auprès des enfants qu’il croise (le deuil d’une paternité qu’il voit s’éloigner ?), s’applique dans sa dévotion et se renforce toujours plus, physiquement et mentalement. Cela lui permet de faire le vide. A la même période, le nom de Némésis résonne de plus en plus fort, même entre les murs de la cité haute, et les représentants de l’ordre doivent redoubler de vigilance. Il n’a pas pleinement conscience, au début, de l’ampleur de cette menace... Aralia s’éloigne sans qu’il sache bien pourquoi. Il a ses propres démons à combattre, il ne respecte pas la promesse qu’il s’était faite. Un nouveau Héraut est annoncé.
(1997) 35 ans — L’un des envoyés de l’Eau libère son poste. La nouvelle retentit chez les signes de l’Eau et Saul lorgne sur la fonction... Après tout, entre son implication en tant que brigadier et à la sécurité du temple, n’est-il pas légitime (selon lui) ? Alors il s’entraîne comme un fou. Il n’a rien à perdre et devient même parfaitement excessif, à l’idée même des épreuves à passer. Face aux épreuves, il se montre aussi exemplaire que possible. Ils sont deux à sortir du lot, deux à aller particulièrement loin... À la fin, un seul est retenu : lui. Il est tellement épuisé, alors, avec toute la pression qu’il s’est mis tout seul, qu’il ne réalise pas de suite.
(1998 à 1999) 36 à 37 ans — Sur le plan personnel, ses parents n’abandonnent pas l’idée de le voir marié et heureux. Sans doute pas pour les mêmes raisons que lui, certainement. Il est trop marqué par la fiasco « Violet » pour leur laisser la moindre raison d’y croire. Il sort peu et quand il se permet quelques aventures, il s’assure que la personne ne cherchera pas à s’attacher. Son énergie est toute tournée vers son rôle. Il a démarré sa fonction d’envoyé sur les chapeaux de roue. Parvenir à se transformer en Loutre est pour lui un accomplissement ultime et une reconnaissance du gardien de l’Eau, vieillissant, qui l’a guidé jusque-là. Une fois transformé, il en oublierait presque tout le reste. Presque. Car quand il faut réveiller ses troupes avec une grosse voie et une poigne de fer, il sait faire. De même quand il peut les féliciter et les remercier de leur implication. Le gardien, cependant, se met progressivement en retrait et quand il apprend la disparition de ce dernier, Saul s’en retrouve sincèrement affecté. Il a conscience d’avoir énormément appris de lui.
(2000) 38 ans — Le nouveau Gardien du temple annoncé est un visage, plus jeune, que Saul a plusieurs fois eu l’occasion de croisé, lors de ses prières. Il a confiance en ce choix qui a été fait, et vouera le même respect à ce gardien-ci qu’au précédent. Quant à la cité Haute, Saul sait qu’elle n’est jamais pleinement sereine. Ce n’est pas l’Understadt, certes, mais c’est parfois sous l’eau qui dort que se cache le plus grand des dangers... Les Némésis sont un poison et un ennemi dangereux, mais dans le lot des intrigants de Neptunia Harbor ou d’ailleurs, sont-ils vraiment les seuls ?
Saul était Envoyé de la Cité Haute, au service du Héraut Ishtar Forbes. Il en était fier, aimait son travail et œuvrait d'arrache-pied pour assurer la sécurité de Neptunia Harbor et des districts voisins. Ce statut lui permettait de mettre ses compétences de meneur d'hommes au service de la sécurité des habitants de Tempelhelm et d'Omni. Autant de choses qui lui paraissent si loin, désormais... en peu de temps, tout a été détruit, le chaos amenant le chaos. Tempelhelm a connu des attentats, des attaques contre certains districts avec des civils se transformant en créatures élémentaires. À chaque fois, Saul et ses brigadiers étaient sur le terrain, tentant de protéger la population, d’intervenir… tout en perdant nombre d’entre eux. Une menace du nom de Nemesis, pas suffisamment prise au sérieux, jusqu’à ce qu’il soit trop tard, avec la destruction d’une partie de la cité, la mort de deux Hérauts et la trahison d'Ishtar.
Par conviction, il est allé se terrer dans l’Understadt et a rejoint les Catharsis, la résistance. Saul était incapable de vivre sous le joug des fanatiques, renier ses principes et tout ce en quoi il croyait. Impossible aussi de fermer les yeux sur les agissements de celle en qui il avait confiance et qui s'est simplement servie de lui pour son grand plan macabre. Depuis, cette réalité violente et l’amertume qui l’accompagnent ne le quitte plus. Au fond de lui il culpabilisera toujours d’avoir été un grand naïf, utilisé à loisir par celle qui avait toujours un temps d'avance.
L’autorité de la Cité Haute balayée, il a tenté d’agir dans l’ombre, avec les Catharsis, afin de renverser cette blague de gouvernement. Dans cette nuit fatidique du 10 au 11 mai 2001, durant laquelle des choses importantes devaient se passer, il a vu des gens mourir, dont son collègue Cassian. S’il l’avait déjà constaté pour Aralia, il a eu la confirmation avec Juniper que ses deux nièces ne pouvaient plus être sauvées. Meurtrières hystériques, folles et tristement puissantes, elles sont devenues des armes inarrêtables au main des Nemesis, et au-delà, de l’Éclipse. Deux tâches d’un poison obscur qui n’ont de cesse de faire pourrir la lignée des Grant, de l’intérieur. Il a été témoin de leurs méfaits. Il ne leur pardonnera pas.
Cette même nuit a signé la chute de Tempelhelm, aussi violente que soudaine et il l’a vécue au côté d’Auguste et Jonquille. Blasé, il voit cette chute comme la cerise sur le gâteau d'une apocalypse qui n'a eu de cesse de se construire, semaine après semaine. Les hommes ont renié leur Dieu, les hommes se sont dupés, trahis et entre-tués, si bien que même la cité volante n’a plus voulu d’eux.
Comme beaucoup d’habitants de Tempelhelm, Saul s’est retrouvé particulièrement déphasé une fois les deux pieds sur le continent. Sonné par les évènements, par le combat qui faisait toujours rage dans les cieux, on peut dire qu’il ne savait pas bien comment assimiler tout ça, ni quoi faire de sa carcasse. Pour l’Envoyé qu’il était, voir l’état dans lequel se trouvait la cité, c’était un crève-cœur autant qu’un rappel : il avait failli à sa mission. La ville était tombée dans une nuit de chaos, fruit de bien des évènements tous plus catastrophique les uns que les autres. Et lui qui s’était juré de parvenir à renverser les Nemesis, à ramener la paix… il n’avait rien accompli du tout.
Les funérailles des habitants de Tempelhelm morts lors des événements de mai l’ont clairement assommé, trop de noms et de visages connus.
Alors, autant vous dire que dans le premier mois sur Hakar, il ne faisait pas le fier. Il n’avait plus grand-monde envers qui se tourner, plus de travail dans lequel se renfermer, plus vraiment de repères ni de but. Certes, il prenait des nouvelles d’Auguste par messages, s’assurait que Jonquille et Rose allaient bien, mais pour le reste, c’était toute une vie à reconstruire.
Son père est décédé durant la chute, sa mère encore vivante s’est très rapidement tournée vers Arkmere pour retrouver un niveau de vie proche de celui qu’elle avait autrefois. Ne sachant que faire, concrètement, Saul a pris le temps de la réflexion, vis-à-vis de l’invitation de cette nation.
Il avait besoin de temps, vraiment. À la fois pour reprendre ses esprits que pour découvrir ce nouveau continent, comprendre ses mœurs et ses coutumes.
Est-ce qu’il en a aussi profité pour simplement errer ? Oui.
Est-ce que sa nostalgie et sa culpabilité l’ont mené bien souvent à fouler Tempelhelm ? Oui.
Est-ce qu’il a passé bien trop de temps transformé en loutre (manquant plus d’une fois de se faire embrocher par des locaux) à nager, nager et nager encore dans tous les cours d’eau à sa portée pour se couper du monde ? Oui.
Et alors ?
Il avait besoin de ça.
C’est Auguste qui l’a aidé à revenir sur terre, au sens propre comme au figuré. La rigueur d’Arkmere, son conservatisme et son repli sur soi… autant d’éléments qui l’ont refroidi. Certes, leur foi en Omni y est des plus louables et appliquées, mais Saul ne s’y sentait pas pleinement à son aise. Après y avoir vécu quelques semaines dans un refuge pour les habitants de la cité volante, il y a développé un trop plein de méfiance. Tant qu’à devoir refaire sa vie, autant que ce soit auprès de son ami et dans une nation qui ne lui donnait pas la sensation d’étouffer.
Il s’est alors installé dans une petite maison d’Otterberg. Son choix de Dawndale n’est pas tout à fait rationnel. Par défaut sans doute, mais avec la sensation de pouvoir simplement continuer sa route et œuvrer à son échelle. Le dynamisme d’Auguste, sa volonté d’agir et de bousculer les choses sur Otterberg a poussé Saul à en faire de même. Tandis que le Havilliard prenait du galon, le Grant s’est fait connaître auprès du commissariat de la capitale. Son expérience et ses faits d’armes l’ont aidé à intégrer la police locale. Cela lui a aussi ouvert bien plus les yeux sur la réalité de Dawndale. Une nation plus ouverte, oui, mais gangrenée par la pègre à tous les niveaux. Il y a beaucoup à faire, ça n'lui fait pas peur, il aime les challenges.
Une opportunité s’est rapidement présentée à lui, et il a accepté un poste de Lieutenant de police. Par bien des aspects, cela lui rappelait la Cité Haute. Et par bien d’autres… non. Il devait rester vigilant et ne pas oublier qu’il avait encore bien à apprendre sur ce continent. Humble, il a fait ce qu’il savait faire de mieux : guider les hommes et se montrer droit. 41 ans, certes, mais encore de beaux restes.
Auguste en Magnus de l’Ordre, Saul serait, à son niveau, l’un de ses bras armés sur le terrain. Il lui avait fallu du temps, mais il l’avait trouvé, son objectif.
(ah et depuis un mois un chat a décidé de le suivre quand il rentre chez lui, et squatte son canap’ ; donc visiblement, il a un chat (roux). Il l’appelle « Chat ».)