Histoireje gare le camion sur un porche. en face il y a la station du monorail. derrière il y a la elyon tower. je coupe le moteur. les lumières s'éteignent comme dans un cendrier. voilà, on est plus hier. maintenant c'est aujourd'hui.

je me retiens de vomir sur le petit matin. je suis ivre. tout à l'heure j'étais sur un toit, je dansais sur une table. ou peut-être en dessous. et maintenant je suis ivre.

j'ai conduit dans la nuit du faubourg jusqu'au centre. je suis allé au travail. le jour s'est levé et pas moi. d'où vient le soleil ? on s'en fout. de tous les jours qui se lèvent, aucun n'en vaut la peine.

je descends et titube jusqu'au palier du mec. il habite au sommet d'un bâtiment quelconque. ces bâtiments sont fait de la même matière que les rêves : un alliage brillant comme des papiers de bonbons et fragile comme des notaires en costard. ces grands animaux à sang froid, pleins de coke et de champagne, qui oublient la date de naissance de leur femme mais pas le mot de passe de l'alarme de leurs maisons.

un petit homme m'ouvre. il a un attaché-case et porte du croco in vitro parce qu'il n'y a plus assez de spécimens pour lui tailler un ensemble. c'est le commissaire-priseur. il me dit pas bonjour. sept heures et déjà sur mes côtes. mais il est diabétique, il part se piquer aux toilettes trois fois dans la journée. il veut pas qu'on le voie faire, sans doute parce qu'il est trop con et que c'est un enfoiré. ça lui prend deux minutes. c'est peu mais suffisant pour endormir des petits trucs. et les petits trucs, j'ai besoin que de ça.

c'est à ces petits trucs qui tient la dernière fibre. le tout petit cordon qui me sépare de la zone. la zone c'est un trou noir, une spirale dans le vide. je souhaite pas d'y aller aux gens que je déteste. la zone c'est l'antichambre qui contient toutes tes peurs. j'y bascule à chaque fois que j'essaye d'accepter le monde pour ce qu'il est : un enfer.

le client est aveugle ou presque. il est trop vieux pour voir à cinq mètres ou entendre quelqu'un qui chuchote. c'est son frère millionnaire qui a glissé dans la salle de bains il y a trois jours. le commissaire guette de près, ses petits yeux plissés enfouis sous leurs lunettes. "il faut s'y mettre, monsieur sowe," glapit ce voyou en costard. je suis déjà en sueur, merci. je déplace les meubles de l'appart au camtar.

cinquante étage, trois ascenseurs. je ferme le battant sur un canapé ouvragé avec un marbre à la gloire d'omni et un paravent pré-réveil d'eclipse aux détails somptueux. "cette pièce est évaluée à plus de cent mille tempest," se gausse fièrement cet étron dans son croco.

je regarde le faux ciel du plafond connecté. je vois pas d'étoiles.  je vois des avions. il est midi. pour les riches il fait nuit quand tu veux.

je finis de charger et je vais tout déposer aux enchères. quelle joie de quitter elyon, ce charnier à ciel ouvert. je suis à soixante-dix sur la route. je suis toujours ivre.

ce que je préfère quand je conduis, c'est la petite musique de la radio. je l'écoute jamais, mais elle couvre le bruit d'un monde hostile. le bruit que font les autres. les autres qui existent à côté de moi. le bruit de ces autres, lancés à la poursuite de rien qui vaille sur des autoroutes multivoies, le bruit de la fin de l'espèce, le bruit des choses qui passent à travers le pare-brise. un poteau, par exemple.

le choc est indescriptible. j'ignore ce qui se passe, où je suis. un sirop chaud et doux se répand sur ma tête. je ne sens rien, je cruise. le verre brisé danse avec moi. tout l'avant du camion est plié comme mon bras.

c'est une belle scénographie, je pense avant de m'endormir. quelqu'un appellera bien les secours. le commissaire ou le troufion de la salle des ventes qui se demandera pourquoi le chargement n'arrive pas. le client qui va se rendre compte que je lui ai piqué sa bague douze carats.

je sais que je vais pas crever. je leur ferai pas ce plaisir.
car tout comme moi, vous ne serez jamais heureux. je suis ici sur terre pour m'en assurer.

tw : vi 2 batar

5 ans ― saya a 5 ans. rien d'extraordinaire, tous ses frères avant lui y sont passés. pour fêter ça l'un d'eux lui pète l'arcade sur la mezzanine. maman met deux semaines avant de s'en rendre compte, ça lui laisse une marque, comme d'hab.
8 ans ― les sowe n'ont plus les moyens de régler les charges. le loyer ça faisait déjà deux ans. c'est la goutte, ils se font sortir de leur taudis à bomei. un oncle de l'understadt leur arrange le coup. il désactive leurs puces et les installe en bas de chez lui moyennant charbon. l'aîné des frères disparaît sur un chantier.
10 ans ― saya fout pour la première fois les pieds à l'école. mais peu s'en faut, il préfère sécher ses classes et zoner comme on l'attend de lui. et le grand frère qui réapparait pas, même si ça lui fait des vacances, ça fait aussi que maman perd la boule. elle fait que prier.
13 ans ― la vie traite saya mal donc il fait pareil. il revient rarement chez lui où l'attendent une daronne qui se laisse mourir et des gamins qui lui font péter sa tête. tant mieux, il aime dormir dans les parkings.
16 ans ― voies de fait, gardes à vue, dépôt. saya passe de guetteur à mule dans une tour connue de l'understadt. il se fait pote avec des petites et grosses frappes parce qu'il est drôle.
18 ans ― il trouve amusant de se faire passer pour un paria sans don et ne l'utilise jamais, son truc c'est l'éloquence. grâce à sa verve il sauve un grand de la police une fois et monte en grade, mais se fait dénoncer un jour par un gars jaloux qui s'avère être son frère cadet.
19 ans ― après un an en détention, saya revient chez lui régler son compte à son frère, mais il trouve une bauge déserte et puante où sa mère à peine lucide pouponne une charogne. il préfère ne pas demander qui c'est et appelle un service de nettoyage. tout est évacué. tant qu'à faire, il demande s'ils recrutent.
22 ans ― trois ans que saya fait du temps plein à cleaner des apparts sordides. trois aussi que maman est internée et que le frère qui lui reste a pris du ferme. faut croire que c'est la vie. enfin il n'est pas sûr, il se souvient plus. il est tout le temps chéper sous quelque chose.
20 et quelque chose ans ― plus de contact avec la famille. il achète son camion et se met à son compte. même taf, toujours plus de resquille, toujours plus chéper.
27 ans ― tous les matins comme si c'était la veille