Le grisâtre des monotonies du passé, parure farouche sur le dos et les doigts brisés à s'enfoncer sous le plexus, à s'arracher le cœur des colères et des chagrins.
Encore lui, l'gamin trop anxiogène, les mains tendues, les paumes garnies de la glaise et de l'obéissance fleurissante, Viktor à cheval sur la bienséance et l'honneur, jamais l'ton du fils devra être affriolant et plus haut que le sien, jamais les yeux perfides s'élèveront pour défier l'autorité du Grand moins grand que les plus
Le silence dans la chambre, le silence qui ne s'étiole jamais, le silence comme un bruit assourdissant de fond, celui qui ne cesse jamais de s'étendre entre les parois du crâne, ronge et dévore, creuse et martèle, le cercueil déjà affranchi.
L'enfance meurtrie à danser sous les fils dorés du destin, fièrement préparé par le géniteur qui n'a de cesse de présenter l'marmot solitaire à ses collègues et les chicos, clamer haut et fort Qu'il va faire un excellent héritier pour les Ambroise, c'est un vrai génie.
Ça démange dans la tête, le silence glaçant le soir dans la chambre, la solitude exacerbée par dessus les épaules, les cours pourtant bruyantes, les amis comme des jolies parures, l'amour à foison et les mains jamais déliées.
Alors les ongles s'enlisent dans la chair souple du corps, incapable de savoir pourquoi le solitaire minuit dérobe toutes les pensées fluettes, l'ennui qui n'a de cesse de se revêtir autour des épaules.
Viktor trop pressant, Viktor trop asphyxiant, comme si c'était un truc familial, d'être aussi étouffant. Les gestes lourds sur la carrure frêle du gamin, les rafles sur les joues et les claques contre les mains lorsque les phalanges manquent les dents du piano, que le pouvoir n'est pas suffisamment fonctionnel mais qu'il fallait se rendre à l'évidence, Jules-Augustin incapable de correctement s'en servir, Viktor qui ne s'y est plus intéressé.
Usé et pourtant si radieux, les lippes toujours scellées aux tempes, les histoires d'Isabeau sont belles, entre les étoiles explosives, l'amour abrasif du soleil pour la lune, la mer mélancolique des reflets de son âme-sœur.
Maman qui n'a de cesse de parler de l'amour, comme d'un rêve trop doux pour exister, les émois éteints depuis des années maintenant pourtant si incandescents autrefois.
Jules-Augustin s'éloigne des sentiers princiers qu'on lui réserve entre quatorze et dix sept heures, Viktor jamais là et Isabeau trop occupée, les nourrisses dépassées et l'gamin qui se faufile entre les silhouettes, se glisse jusqu'aux égouts pour suivre les copains qui veulent que les viscères se tordent des sensations fortes.
Jules-Augustin s'en moque, il s'éloigne et laisse les mains immaculées se frotter contre le bitume dégueulasse, les yeux qui butent sur la silhouette maigrichonne d'une gamine un peu plus jeune.
Les pieds valdinguent et la carcasse s'amenuise à la suivre, le soubresaut du cœur, c'est sûr il est amoureux.
Elle s'appelle Dyomyre, elle a une grande famille et elle ne vit ni dans l'opulence ni dans le luxe. Cependant il entend les histoires mignardes des embrassades tendres et des parents qui glissent derrière les oreilles les mèches grasses.
Elle s'appelle Dyomyre et lui ne pourra plus revenir dans les bas fonds, la famille en colère, la peau rouge de la hargne et le cristallin en voix criarde.
Dyomyre elle a neuf ans, lui il en a onze et c'est comme si quelque part là haut, dans l'ciel nocturne, les étoiles s'étaient correctement alignées pour que les destins se croisent et se lient, forment une constellation rien que pour eux.
Ils s'amusent dans la demeure familiale à la place, la gamine du bas de la rue, maman y croit, les nourrices n'y voient pas d'inconvénients, Viktor lui, il le voit.
Les régalias brisés, disparus et l'épiderme se froisse des gifles et des remontrances, des punitions entêtantes dans la chambre.
Dyomyre elle n'est plus la bienvenue, Jules-Augustin pourtant toujours amoureux transi, fait du grabuge dans les parcs et dans les rues tout en lui serrant la poigne, l'accalmie brève dans l'crâne.
Les gamins grandissent, Jules-Augustin se sent bien malgré la pression fulgurante sur les épaules, il y a un brasier qui brûle sans cesse dans l'bide, les projets pleins la tête, les envies irrationnelles et le babillage intempestif.
Augustin il a quinze ans et ne va pas très bien. Jules il a quinze ans et Viktor n'y croit pas, aux symptômes que maman reconnaît dans les bras fébriles qui s'agitent, dans la voix sans symphonie qui vomit les paroles sans arrêt.
Jules-Augustin il a quinze ans et il a l'impression de voir son monde sombrer un peu plus, le flibuste sans son navire à nager à contre-courant dans les marées glacées.
Alors il esquive Dyomyre, le cœur trop lourd, la tête pleine du silence assourdissant, le vide pourtant rempli de l'angoisse et du chagrin, de la lassitude dans les mirettes jusque la faim éteinte dans l'bide.
Maman s'inquiète, Viktor enrage, bouscule le gamin, l'école qu'il ne doit pas rater pour ne pas faire partie des ratés, que ça va passer, c'est qu'un coup d'mou, ça arrive, même à lui. Puis y a les jumeaux qu'on annonce à Isabeau, Marcel & Valentin qu'on les appelle, ils vont bientôt naître, c'est inattendue, attendue, Jules dont le temps s'est cassé, iconoclaste à ne plus vouloir des Idoles qui ne peuvent rien pour lui. Parce que c'est de leur faute, s'il est là.
Les années affluent, les jours s'entassent et titubent, c'est long de trouver le bon traitement, d'ajuster les doses, d'aller mieux.
Jules sans Augustin, l'Auguste brisé, Augustin plus que Jules, sans la couronne des rois maniaques, le gamin qui peut-enfin prétendre qu'il va mieux.
Viktor parle de la construction d'un autre hôtel à Helios Starke, qu'il est temps pour Jules de se reprendre en main, d'le rendre fier, d'arrêter fumer dans les bars miteux et d'se torcher comme les pochtrons d'la ville en bas.
Jules-Augustin depuis des années la voix qui se hausse et les yeux révolvers, défit l'autorité sans jamais pourtant la remettre en cause, sans jamais oser la renverser, pauv' chiot désabusé.
Marcel & Valentin grandissent, bref idylle dans les couloirs pompeux du manoir, les bras enroulés autour des chevilles du plus grand des Ambroise, les baisers sur l'sommet du crâne, Dyomyre toujours avec lui. La solitude pourtant creuse toujours les stries sous l'poitrail, enrobe le cœur de l'attachement néfaste qu'il éprouve pour Dyomyre, le besoin constant de la voir sans cesse, tous les jours, être sûr d'aller bien.
À ses vingt et un ans il peut enfin s'occuper d'son propre hôtel, d'rendre fier la famille après avoir travaillé au côté de Viktor pendant quatre ans, les tracas du métier dans les veines, les médicaments dans la manche, prêt à les vomir sous les pots graisseux et à servir les plus vaniteux de la ville. Jamais sans Dyomyre, jamais sans Augustin, l'Auguste qu'on doit réparer.
Et Marcel et Valentin toujours dans les pattes.
Naissance ― Enfant d'Isabeau et Viktor, né à Terra Forma dans le manoir près de l'hôtel, l'Ambroise
7 ans ― L'enfance approximativement paisible, Viktor un poil trop dur avec lui, l'incombe des tâches ingrates d'apprendre le solfège, le piano comme travail hebdomadaire, d'être toujours le premier à l'école, le dos droit et les yeux devant lui.
11 ans ― Jules-Augustin gamin apprécié malgré l'étouffement constant dans la maison, le crâne rempli du lugubre, il y a la lumière au bout du tunnel, Dyomyre entre les bras jusque dans le cœur, mélodie doucereuse. C'est juré jusque la mort, ils ne se laisseront jamais.
15 ans ― Jules est plus grand, Jules est plus expressif, il a les mains baladeuses et les yeux qui reluquent, l'attention qui s'étiole et le besoin constant qu'on le regarde, qu'on le voit. Il y aussi l'abrasif du vivant qui se joint à la solitude perfide, elle se meure tandis que lui renaît enfin. Les problèmes s'envolent, Isabeau s'inquiète. À raison, ça lui retombe vite sur le crâne, la joue calé dans l'oreiller satin, les pensées trop lourdes à supporter.
18 ans ― Ça met du temps mais Jules-Augustin à enfin un traitement stable, quelque chose pour modérer les humeurs fastidieuses, Dyomyre toujours sous le tas de chair et d'os qu'il promène dans toute la cité, le cœur brûlant de lui serrer la pince.
21 ans ― L'hôtel l'Ambroise de la chaîne Ambroise ouvre enfin à Helios Starke en plus d'être déjà implantée dans Terra Forma, Viktor veut qu'il lui prouve qu'il a grandi, qu'il a appris. Jules toujours l'nez dans les verres et les galaxies sur les côtes creusées, il affirme qu'il sera à la hauteur, le dédain victorieux peint de la colère, parce qu'il n'a b'soin de personne Jules pour réussir. Les médoc' crachés, parce qu'il veut se sentir en vie, qu'il va bien, c'est promis.
23 ans ― Il se charge aujourd'hui encore de l'Ambroise, Dyomyre sous l'influence de Viktor doit surveiller Jules-Augustin, qu'il prenne toujours ses médicaments et qu'il voit son psychiatre, veiller à ce que l'hôtel tourne correctement, qu'elle ne finisse pas dans l'caniveau avec le gamin incapable, que ce serait bête. Pourtant il vagabonde toujours entre les ruelles sombres, à s'cogner avec les plus costauds depuis des années, à anéantir le silence dans la tête.