Je ne sais pas comment tu trouves encore la force de parler, mais je t’entends. Malgré les explosions, les cris, les pleurs, malgré les bâtiments qui s’écroulent, malgré la terre qui tremble, malgré les ras-de-marrée, malgré le monde qui prend fin.
Je n’entends que toi, je ne vois que toi.

“Nous”, ça aurait dû durer pour toujours. Dès qu’on s’est rencontré, et qu’on ne s’était plus lâché. Ce n’était pas une grande histoire d’amour, c’était du soutien qu’on avait trouvé. Un support. Un duo. On était partenaires, devenu amants on ne sait trop comment. Et je regrette, je regrette tellement, d’avoir fait semblant d’être quelqu’un d’autre. Si je pouvais revenir en arrière et tout t’avouer, si j’avais su qu’aujourd’hui tu me quitterais, j’aurais tout fait autrement. J’aurai tout arrêté.
Parce que tout ce que j’ai fait, ça ne sert à rien dans un monde où tu ne seras plus là.

Alors pourquoi, pourquoi tu gaspilles tes derniers souffles à dire à quel point je suis incroyable ? Ne vois-tu pas que si tu en es là, c’est à cause de moi ? Moi et mes ambitions démesurées d’enfant pauvre ? Moi et ma soif d’une justice impossible à atteindre ? Moi et mon égoïsme qui m’a mené à trahir mes proches ? Ne vois-tu pas que si tu ne m’avais pas écouté, tu n’en serais pas là ? Si aujourd’hui, tu étais resté chez toi, chez nous ?

J’aurai voulu être incroyable, pour toi. La vérité, c’est que je ne le suis pas. Je suis lâche, incroyablement lâche, et c’était trop tard pour m’enfuir et revenir en arrière. Et ça m’a tout coûté, tout. Ca m’a coûté toi. Tu méritais pas ça.

« « Shhhh… J’t’en prie… Economise tes forces… Armand arrive, je l’ai appelé, il arrive, j’te promets… »

Armand ne répond pas, mais je ne veux pas te le dire. Je veux te donner encore de l’espoir. J’ai BESOIN d’avoir cet espoir. Je retire ma veste pour essayer de dégager le sang sur ton visage, de faire en sorte que le sang s’arrête. Que tout s’arrête. Stop.
Par pitié.
Stop.
Omni, Eclipse, n’importe qui, n’importe quoi, si quelqu’un pouvait entendre mes prières, écoutez celle-ci. Juste celle-ci.

Mais je n’ai pas le droit de pleurer. Je le fais déjà, mais ça ne t’aide pas. Je ne veux pas que tu me vois comme ça. Tu as besoin que je te parle. J’ai besoin que tu me parles. Alors je me fais violence, je hoche la tête, j’essuie mes yeux avec une manche, je prends de grandes inspirations pour articuler, même si c’est saccadé.
Je te parle.
Je suis là.

« Armand sera toujours fier de toi. Il t’a jamais vu comme un boulet. Tu n’es PAS un boulet ! Il comprend pas tout ce que tu fais, mais sait que t’es un putain de génie. Il t’aime à en crever, il sait pas comment te le dire, il sait pas comment te le montrer, mais il T’AIME. Il t’a jamais abandonné ! »

Ça me crève le coeur que tu penses ça. Je refuse que tu meurs en croyant que ton frère t’aimait pas. Je me vois déjà devoir lui annoncer ce qui se passe, et je sais que ça le brisera, ça ne me brise pas avant ça. Et Ludo. Je sais pas comment je vais lui dire non plus. Il venait à peine de te connaître. J’essaye une dernière fois d’appeler Armand. Décroche putain, décroche !
Je vois que tu essayes de bouger. Je vois que tu deviens de plus en plus pâle. Je mets une main sur ta joue pour que tu me regardes, que tu ne me quittes pas des yeux. Je veux encore voir la vie dans tes yeux.
Je veux voir ma vie dans tes yeux.

« Regarde-moi… Encore un peu… Ne me quitte pas tout de suite, j’ai encore besoin de toi… »

Tu me prends la main. Je la serre fort, j’embrasse le dos de tes doigts qui semblent déjà froids. J’essaye de les réchauffer contre ma joue. Désolée que mes larmes trempent tes phalanges. J’essaye de ne pas pleurer, je te jure que j’essaye.

Tu as peur. Je sais que tu as peur. J’ai peur aussi, tu ne sais pas à quel point. J’éclate en sanglot, encore plus fort.
Je n’y arrive pas.
Je n’arrive pas à être forte même pour toi.
Je ne veux pas que tu meurs, je ne veux pas t’abandonner ici.
Je ne peux pas continuer à te mentir, quand mentir m’a déjà fait gaspiller trop de temps loin de toi. Pardon, pardon, pardon.
Où que tu ailles, je veux partir avec toi. Est-ce que là-bas, on pourra vivre la vie qu’on aurait dû avoir ? Moi, tout ce que je voulais, c’était jouer à la console avec toi. Essayer de cuisiner un truc sans déclencher l’alarme incendie. Voler tes fringues pour les porter. Te faire admettre qu’en vrai, t’aimes ça. Adopter une plante pour voir si on était capable de s’en occuper avant d’adopter un chien. Tuer la plante, et adopter le chien quand même. Avoir un gosse, peut-être deux. Voir quels Pokémon ils allaient choisir en rampant vers une des trois peluches. Leur expliquer comment on s’est rencontré. Les élever avec sans doute trop d’écrans dans leur vie. Être les parents cools qui s’en foutaient de ce qu’ils voulaient faire dans leur vie tant qu’ils étaient gentils, et heureux. Balancer les dossiers aux petits-enfants pour se venger de toutes les misères qu’ils nous auraient fait. On aurait fait les sales coups ensemble. On aurait vieillit ensemble.
On aurait dû mourir ensemble.
Est-ce que c’est ce que tu voudrais, Joyce ?
Est-ce que tu voudrais que je parte avec toi, maintenant ?

Tu lâches ma main. Pendant un instant, j’ai peur que tu sois partie, sans dire au revoir.
A travers ma vision brouillée par les larmes, je vois quelque chose qui brille entre tes doigts.
Mais.
Tu n’as pas le droit de me faire ça.
Eux, les Dieux, n’avaient pas le droit de nous priver de ce moment-là.
Est-ce qu’il n’auraient pas pu attendre une semaine de plus ?
Ne serait-ce qu’un jour.
J’aurai donné n’importe quoi pour un jour de plus avec toi, un jour où tu m’aurais donné cet anneau. Je veux retourner en arrière, j’aurai voulu que tu hésites entre te mettre à genoux ou pas, après avoir débattu si c’était mieux dans le salon ou dehors. J’aurai aimé avoir l’air surprise, choquée, peu importe. Et je t’aurai dis oui, je t’aurai embrassé. Je t’aurai dis que je voulais pas de cérémonie, qu’on aurait même pas besoin de signer de papier. Ca aurait été notre moment à nous, on l’aurait décidé, bénédiction d’Omni ou pas.

A la place, voilà ce qu’Ils nous offrent.
Toi, gisant par terre, les paupières qui s’alourdissent.
Moi, agonisante, le coeur qui se meurt.

J’enfile ton anneau, si ça doit être la dernière vision que tu dois voir.
Je m’efforce. Ca me demande tout, mais entre deux hoquets, je te souris.
Regarde-moi sourire avant de partir.

« Je t’aime, Joyce Oswald. »

Je t’embrasse.
Le baiser a un goût de larmes.
J’emporte avec moi ton dernier souffle.

On se reverra au point de respawn.

Delilah me tire déjà loin de toi.
Je ne lutte pas.
Et le monde s’écroule, et mon monde s’éteint.
Adieu.