mars :: Appart de Joyce


Tu n’avais rien dit. Avec ton anxiété et tes craintes. T’étais resté en silence. Cloîtré seul. Dans un déni permanent. Tu n’avais rien dit. Alors que tu voulais tout savoir. Au moins comment elle allait. Si elle était bien. Si c’était vraiment le bon choix. Mais tu n’avais rien dit. Tu l’avais fermé. Toi et la porte. A double tour. Prisonnier de cette prison que tu t’étais infligé. Mais c’était une question d’habitude maintenant. Ta façon à toi de te protéger. Contre ce monde qui t’entoure et t’effraie. Une sorte de mécanisme de défense dysfonctionnel. Mauvaise habitude que tu avais pris de ton enfance. Quand papa frappait ton grand frère. T’avais peur. Incapable d’agir. Tu restais enfermé dans ta chambre. Qu’ils oublient ton existence. C’est tout ce que tu voilais. Ton seul souhait. En réalité. T’étais un lâche. T’avais ni la force ni la carrure d’Armand. Mais tout ça, ce n’était que des excuses. Toute ta vie. Tu l’as passé à fuir. Feignant de ne rien voir. De peur d’avoir à assumer une décision.

Même avec Kira. Même avec elle. Alors qu’elle comptait plus que le reste à tes yeux. T’avais refusé de choisir. Incapable de prendre un camp. Tu t’étais enfermé dans un silence habituel. Tu l’avais laissé prendre la décision seule. Elle avait porté ce fardeau sur ses épaules. Parce que t’étais incapable de choisir. Incapable de prendre une putain de décision. A la moindre conséquence. Ton monde s’écroule. A croire que cette coquille est plus importante que le reste.

Alors quand on frappe à la porte. Tu sursautes. D’abord. Avant d’être partagé entre le doute et l’appréhension. Malgré tes peurs. T’avais besoin de savoir. T’en avais besoin au plus profond de toi. Il te fallait des réponses. Tu le savais. Ou t’allais définitivement perdre la tête. Pour de bon.

D’un bond tu te diriges vers la porte. Déverrouille les verrous un à un. La paranoïa était un réel problème. Mais c’était un autre problème. Pour un autre jour. Tu poses la main sur la poignée. Avant de rester immobile. Un long moment. T’oses plus. Tu réagis plus. Tu sais pas quoi faire. Si c’était pas elle ? Cette idée folle te traverse l’esprit et te paralyse sur place. Si c’était eux. EUX. S’ils venaient te demander de prendre une décision.

Merde. Tu doutes encore. Alors que tu pensais avoir pris ce qu’il restait de ton courage. Pour te lever. Pour venir voir. Merde. Pas maintenant. Pas ici. Pas si près du but. Tu te fais violence. Tu ouvres la porte. Tant pis pour le reste. Tant pis pour les doutes. Avant qu’ils ne reviennent. Tu ouvres la porte.

T’as pas le temps de sourire qu’elle te devance. Prend la parole. Elle était comme ça. T’avais appris à la connaître depuis le temps. Tu ne peux pas t’empêcher de sourire légèrement. Elle avait l’air d’aller bien. C’était la première réponse que tu attendais. Même si elle ne disait rien. C’est ce que tu croyais.

Pourtant j’avais pas l’intention de bouger… tu sais je…

Au fond elle avait raison. Si tu pouvais construire un terrier et y rester. C’est probablement ce que tu aurais fait si elle n’était pas venue te chercher.

Hélas, c’est aussi à ce moment que tu le vis. Que tes yeux se sont posés sur lui. Sur toi. Armand. Il était là. Armand. Armand. Lui. Toi. Vous ? Nous ? Ton frère ? il l’était encore ? Te voyait-il encore comme tel ?

T’es paralysé pour de bon. Tu te figes. Incapable de réagir. Incapable de prononcer le moindre mot. Comme si tu étais devenu subitement muet. Tu les laisses devant le pallier. Parce que tu ne dis rien. T’es incapable de répondre à sa question. Ton regard ne croisait plus les pupilles de Kira. Ils étaient braqués sur lui. Sur toi.

Tu… Que…

Tu ravales ta salive. C’était pas le moment de balbutier. Tu devais être fort. Trouver les mots justes. Lui dire ce que t’avais sur le cœur.

Y…Yo… ça… ça fait un bail…

T’es impassible. Encore. Même si ta voix est encore plus tremblante que d’habitude.

Si les dieux existent, pitié.

Tuez-le.

Avant qu’il ne crève de honte.

Lorsque Kira était venue le trouver, il était loin d'imaginer la terreur qui le prendrait soudainement, à la seule évocation d'un prénom qui lui paraissait irréel ; comme les vestiges d'un ancien rêve, une vie qu'il n'aurait pas vécue, qui aurait appartenu à quelqu'un d'autre et qu'il aurait fantasmée comme on regarde un film à la télé.

Il avait enterré si profondément le grand-frère qu'il était qu'il avait essayé de l'être avec tous les autres ;
Et le seul qui en avait besoin pour de vrai ; celui qu'il avait abandonné dans le passé ; revenait le hanter.
Il pouvait encore imaginer son visage inquiet dans l'encadrement de la porte, le jour où il est parti.
Sans jamais se retourner.

Devant la porte qui s'ouvrait lentement, Armand restait tétanisé.
Derrière la petite silhouette de Kira, le Géant se tenait droit, mais immobile, le regard noir ; mort, peut-être ; figé sur lui.

Les sentiments qui assaillaient Armand étaient imperceptibles, même de lui ; tout à coup l'intérieur était vide.
Plus aucune pensée ne le traversait, il n'y avait que ses yeux qui détaillaient Joyce Oswald, le reliquat d'un passé trop longtemps ignoré ; et bon sang qu'il avait grandi. Frêle, petit, le visage fin, les traits délicats ; à se demander s'il était vraiment son frère. Mais Armand n'eut aucun doute à ce sujet ;

Un seul regard ;
Et dans son coeur il résonnait ;
Il est son frère.

Alors Armand ne dit rien.
Mais il s'approcha.
Mû par son seul corps et sans la moindre idée de ce qu'il faisait ;
Constata que le corps de Joyce s'était figé ;
Il déposa sa main à l'arrière de sa tête, le rapprocha de lui, et le prit dans ses bras, fermement ; peut-être n'avait-il pas mesuré exactement, mais aucune violence ne se dégageait de lui.

Le regard passait au-dessus de lui, les épaules l'entouraient.
Il ne versait aucune larme, Armand, mais à l'intérieur il avait l'impression d'exploser.

Je suis désolé.

Referme ses doigts à l'arrière de son crâne.

Je suis rentré.

Et après une poignée de secondes ; une minute peut-être ; Armand le lâche, attrape ses épaules et le fait reculer.

Je te demande pas de me pardonner. Mais Kira voulait qu'on vienne te chercher.

Il regarda la demoiselle à côté de lui.
Avant de reporter son attention à Joyce, ricanant maladroitement.

Et on dit pas non quand la personne est si jolie.

Pour ne pas dire que c'était pour lui ;
Et car il n'y avait eu aucune autre réponse à donner que "Oui" ;
Lorsqu'elle lui demanda si elle voulait revoir son frère, quand bien-même, pendant tant d'années, il avait fui.

mars :: Appart de Joyce


Tu ne savais toujours pas comment réagir. Même après l’étreinte de ton frère. Tu étais resté droit comme un piquet en le voyant bouger. Tu étais resté droit comme un piquet lorsqu’il t’avait enlacé. Honnêtement. Tu aurais voulu lui rendre la pareille. Lui rendre son étreinte. D’ailleurs, t’es presque sûr qu’inconsciemment. Tes bras se sont déplacés tout seul. Comme pour le serrer dans tes bras à ton tour. Comme pour retrouver le temps perdu. Comme pour replonger dans des émotions que tu avais depuis trop longtemps oublié. Quitte à te noyer pour de bons dans cet océan de sentiments. Si ça ne tenait qu’à toi. T’aurais fondu en larme. Craquer. Pour de bon. Même face à Kira. Même face à ton frère. Et alors ? T’en pouvais plus. T’étais à bout. Tu avais assisté, impuissant, comme toujours. A la chute de cette ville. A la chute de ta ville.

Toute cette histoire avec Légion. Tu n’en avais gagné que plus de regrets. Que plus de remords. C’était la première fois de ta vie, où tu pensais pouvoir changer les choses. Avoir un impact sur le monde qui t’entoure. Tu pouvais enfin devenir quelqu’un. C’était l’occasion de toute une vie. Tu l’avais lamentablement raté. Alors oui, oui, sincèrement. Tu voulais juste craquer pour de bons. Laisser libre court à tes larmes. Juste une fois. Tu ne l’avais encore pas fait après tout.

Pourtant, tu sentais qu’ils n’étaient pas là pour ça. Il suffit d’attendre la suite. D’écouter Kira parler. Pour comprendre. Pour voir que tu ne t’étais pas trompé. Comment pouvait-il en être autrement. Tu serais venu. Armand ? Si c’était juste pour le voir. Lui. Tu serais venu sans arrière-pensée ? Et toi Kira ? Toi aussi tu serais revenu ?

Tu balayes ces pensées de ton esprit avant qu’elles n’aient l’occasion de s’y installer davantage. Au risque de sombrer définitivement au fond de ce trou que tu avais toi-même creusé.

Rentrez, restez pas dehors.

T’as à peine le temps de prononcer ces mots que Kira vous pousse à l’intérieur. T’étais pas le seul parano visiblement. Ce qui t’arrachas un nouveau sourire malgré toi. En soit, il n’y avait rien de drôle. Mais cette similitude que vous partagiez. C’était quelque chose de non négligeable à tes yeux.

Pourquoi tu t’excuses ?

Tu dévisages Armand. Avec un large sourire. L’air de rien. Comme si de rien était. Vous étiez tous les deux coupables. L’un comme l’autre. Et vous le saviez. Toi tu n’avais jamais rien fait. Tu l’avais toujours laissé encaisser à ta place. Et lui, il était parti sans rien dire. Disparaissant du jour au lendemain. Chacun avait ses propres fautes. Mais tu n’avais pas son courage et sa force pour t’excuser également. C’était peut-être ça, qui vous différencie.

Soupir en entendant la proposition de Kira. Tu t’en doutais. Tu te demandais même quand elle allait venir t’en parler. La seule chose que tu n’avais pas prévu. C’était qu’elle choisisse de débarquer avec ton propre frère.

Écoute… J’ai juste une question. Déjà. Je suis pas contre. Honnêtement. Mais…

Regard en coin vers Armand. T’arrives pas à te détacher de lui. Incapable d’oublier sa présence. En voyant sa stature dans ton petit studio, c’était bien difficile de toute façon.

Elyon. T’en fais quoi ? Je veux dire. C’est devenu vos potes non ?

Regard interrogateur qui se braque à nouveau sur Armand.

Aider Némésis. Votre groupe là… Ok… Pourquoi pas… En vrai ça se discute. Mais Elyon… Elyon Kira… C’est quelque chose qu’on ne devrait pas ignorer. Personne. Ils sont dangereux. Tu le sais aussi bien que moi.

T’insistes auprès de Kira surtout. Tu savais les questions techniques, c’était à voir avec elle. Déjà petit, ton frère était largué par toutes tes passions, tes trucs de « geek ».

A peine invité à entrer, Armand s'engouffra dans la maison ; sans gêne aucune, sans s'encombrer de politesse, regardait aux murs et inspectait tous les détails de chaque pièce, comme s'imprégnant d'une vie qu'il avait manqué de témoigner dans le passé. Et la voix de Joyce semblait étrangement fausse, étrangement hasardeuse, lorsqu'il s'osait à parler ; Pourquoi tu t'excuses ?

Armand resta silencieux.
Parce que je t'ai abandonné, parce que je t'ai laissé seul, parce que je t'ai fait voir droit dans les yeux la mort qui menaçait ; car même si je me suis arrêté à temps, a-t-il encore une vie, notre père ? Parce que je t'ai laissé avec eux qui étaient aveugles. Parce que je n'ai jamais eu le courage de te reparler. Parce que même lors des attentats j'ai été incapable de te protéger. Parce que je ne sais pas qui tu es. Parce que je suis ton frère mais que ça ne veut plus rien dire. Parce que je m'en veux et que j'espère que tu as su te relever.

Parce que je suis désolé et que je n'attends pas que tu me pardonnes ; que je m'excuse parce que tu le mérites et pas parce que je souhaite que tu me le redonnes.

Mais Armand n'avait pas tous ces mots-là.
Haussa les épaules.
Comme si ça ne voulait rien dire.

Et alors qu'il leur tourne le dos, trop occupé à inspecter les lieux, à observer les photos, le bazar ; Armand tourna la tête dans leur direction lorsque Legion s'articula entre les lèvres de Kira.

Hein ?

Un rire nerveux s'échappa de sa gorge.

Attends mais vous faisiez tous les deux partie des boloss de Legion ?

Il était presque sûr d'avoir déjà eu l'information vis à vis de Kira ; n'avait jamais su que son frère en faisait partie ; ou alors il n'avait pas écouté. Il n'écoutait pas toujours quand il s'agissait de Joyce, à vrai dire.

Merde alors, Joyce, ça veut dire que t'es comme NAOS EN FAIT

Naos.
Naos lui avait déjà dit pour son frère.
Merde.

Il se racla la gorge.

Ah mais je le savais hein. Eh.

Ricanait.

On me la fait pas à moi.

Grandissait les épaules, penchait la tête vers Kira.

Elyon on s'en branle. Vous faites exploser ce que vous voulez. On est poto que parce qu'ils ont senti le vent tourner et que ça les arrangeait. Mais le vent tournera pas qu'une fois, Isaac c'est une tempête.

Le visage étrangement calme ; sérieux ;
Un sourire froid aux lèvres ; fier - il n'avait jamais été plus fier qu'il ne l'était de Isaac.

Alors si vous voulez les faire sauter, grand bien vous fasse. Elyon sautera.