Tu as toujours ce stress qui se glisse dans tes tripes lorsque tu dois te rendre dans l’Understadt. Tu essaies de garder ton calme alors que tes pas te mènent vers l’un des chemins cachés. Tu dois retrouver Isaac à l’Église pour discuter de certaines choses, dont la nécessité qu’il possède un Olid. Tu ne peux décemment pas rejoindre l’under chaque fois que tu dois lui demander son avis. Il serait beaucoup plus simple s’il pouvait te donner des consignes sans que l’un des membres de Nemesis se déplace. Tu n’aimes pas déranger quelqu’un pour une mission aussi triviale.

Les Olid sont tous reliés au même serveur, mais tu es capable de facilement détourner les sécurités. Tu peux même créer un point d’accès unique pour Isaac. Pour qu’il ne communique qu’avec toi. Cependant, tu vas devoir t’armer de courage pour en parler. Il te rend terriblement minuscule, tu n’as pas assez confiance en toi en général pour proposer un plan si ambitieux. Surtout à Lui.

Mais tu as décidé de changer.
Pour Lui, justement.
Pour Nemesis.
Pour ta Vengeance.

Loin d’être complètement idiot, tu as chargé quelques données dans ton Olid, pour éviter de trimballer ton ordinateur portable dans un lieu tel que celui-ci. Après t’être retourné plusieurs fois pour constater que l’armoire à glace attitrée de Nemesis ne te suivait pas, tu as commencé ta descente aux Enfers.

L’endroit ne te met pas à l’aise. C’est certainement le seul lieu où tu parais briller, comparé à la population. Et pourtant, dissimulé sous une capuche noire, tu n’es pas vraiment le genre tape-à-l’œil. Tu te rassures du fait que, jusque-là, ton avancée se déroule sans encombres.

Pas de mauvaises surprises.
Pas de maux d’estomac par la présence d’Armand.

Cependant, tu ne peux empêcher un mauvais pressentiment de te tordre les boyaux.
Au sens littéral du terme.
Au sens propre.

Tes tempes et ton front se retrouvent humides d’anxiété, alors que tu entends vaguement quelques pas dans ton dos. Ce n’est pas Armand, il n’est pas assez discret. Tu es certain que ce n’est pas lui, car ce n’est pas seulement une paire de jambes qui te suit.

Tu essaies de garder ton calme, mais cela devient difficile. Ta démarche se fait plus rapide. Bien vite stoppée par une silhouette apparaissant devant toi. Au minimum, ils sont trois. S’ils sont plus, tu n’es pas certain de pouvoir arriver à destination en un seul morceau.

Tu gardes le silence, alors qu’ils s’approchent de toi. Au milieu d’une ruelle sale, tu es coincé. Tu ne peux t’échapper. Tu es alors basculé quelques années en arrière, lorsque l’on attrapait tes cheveux pour te tirer dans les toilettes de l’école. Lorsque tes affaires finissaient dans leur pisse, incapable de les récupérer.

Alors que l’on te bouscule avec violence contre le mur adjacent, tu regrettes presque la présence d’Armand. S’il avait été là, tu n’aurais pas à subir la pluie de coups qui s’abat sur toi. Tu te résignes, après tout, jamais personne ne t’a vu. Personne n’est venu t’aider. Tu dois attendre que ce soit terminé.

Puis tu rejoindras Isaac.
Et la vie continuera.
Tout simplement.

Comment en es-tu arrivé là ?
À te recroqueviller sur toi-même.
À attendre que ça se termine.
À simplement accepter d’être battu de la sorte.

Physiquement, tu n’as aucune force. Tu ne penses même pas à leur répliquer, ou à leur dire quoi que ce soit d’ailleurs. Si jamais tu relèves les yeux vers eux … Comment vas-tu te redresser ensuite ? Combien de temps cela durera-t-il avant qu’ils n’en aient fini avec toi ?

C’est la plus sage décision.
Subir sans rien dire.

Tu espères que celui qui hante sans cesse tes pensées obsessionnelles ne t’en voudra pas d’être en retard. Tu aurais du partir plus tôt. Peut-être que c’est de ta faute, après tout. Souvent au mauvais endroit, au mauvais moment.

Mais ce n’est rien.
Tu y as été habitué.
Pendant des années.

Tu avais simplement oublié ce que ça faisait.
De se faire rouer de coups.
D’être roulé en boule.
De serrer les dents si fort qu’elle menacent d’exploser.

Tu te protèges du mieux que tu peux, mais c’est compliqué. Ils sont trop pour que tu puisses les compter maintenant, tu ne sais pas. Tu ne sais plus. Tout commence à tourner. Tout devient terriblement flou, et tu peines à rester connecté au moment présent.

Cependant, une voix. Une seule voix parvient à rallumer tes neurones de génie. Cette voix sonne l’espoir dans ta tête. Sa voix, à lui, qui parcourt avec brutalité la ruelle, incitant à l’hésitation, à la réplique.

À la révolte.

Une ecchymose empêche l’un de tes yeux de s’ouvrir convenablement, mais tu luttes. Pour voir la suite. Pour assister à ton sauvetage. Pour te délecter de cette sensation inédite.

Quelqu’un est venu.
Pour toi.
Peut-être qu’on s’inquiétait.
Peut-être qu’on s’impatientait.

Mais Armand est là.

À présent sur les genoux, tu observes en silence la scène qui se joue devant tes yeux. Tu as du mal à y croire, et pourtant, tu en es bien obligé. Ce n’est pas un rêve. Les poings d’Armand qui s’abattent sur ces racailles, le bruit provoqué par l’impact, tout est réel.

Tout se passe au ralentis.
Tu as le temps de ressentir.
De t’extasier devant sa force colossale.
Devant l’absence de pitié.

Certains s’enfuient, tandis que tu t’es adossé au mur, assis sur les fesses, sans trop savoir quand est-ce que tu as bougé. Tu prends quelques secondes pour souffler, la tête contre le mur, les yeux momentanément fermés.

C’est fini.

Une présence se poste devant toi, et tu regardes son visage impassible quelques instants, tandis que tu récupères doucement ton souffle. Pendant que ton cœur se calme lentement mais sûrement. Il s’excuse, et en réponse, un léger soupir sort de ta bouche, alors que ta tête se secoue doucement de droite à gauche.

« Ce n’est pas de ta faute, Armand … »

Une question qui te surprend. Une attention qui te touche. Tu observes le fond de ses yeux, y décèles des sentiments, une frustration ? Une culpabilité. Ton regard, à toi, exprime la reconnaissance d’avoir été vengé. L’admiration de savoir frapper aussi fort. Mais tout comme lui, ton visage … Est vide.

Mais finalement …
Une esquisse de sourire apparaît.

Un rire qui a envie d’exploser, mais qui reste coincé dans ta gorge. Qui se serre douloureusement. Et puis des larmes qui forment une minuscule vague salée, pour finalement se terrer dans tes paupières.

« Ce ne serait pas de refus, s’il te plaît. Je vais avoir du mal à me redresser tout seul. »

Quelle fierté pourrais-tu avoir, Naos ?
Quand tu abandonnes tout pour te laisser frapper dans une ruelle sale de l’Understadt.

Et puis, il faut que tu retrouves Isaac.
Tu l’as assez fait attendre comme ça.

Armand est grand.
Armand est fort.
Tout le contraire de toi Naos.
Qui n’a absolument rien dans les bras.
Qui conserve toutes tes données dans ton cerveau.

Tu ne sais pas te défendre, et tu ne sais rien faire d’autre que te recroqueviller en attendant que tout se termine. Et aujourd’hui, tout s’est arrêté plus vite, et plus brutalement que d’habitude. Parce que Armand est venu.

Parce qu’il a frappé.
Parce qu’il t’a défendu.

Pourquoi ?

Une question qui reste coincée dans ta gorge alors que tu l’entends dire que c’est de sa faute. Comment aurait-il pu savoir ? Il n’a aucun don de voyance jusqu’à preuve du contraire. Tout ceci … C’était à demi imprévisible, à moitié couru d’avance. La véritable faute se repose sur la malchance. Car oui, Naos, tu attires les ennuis sans le vouloir.

Comme un simple spectateur de la scène, comme si rien ne te rattache à ce que tu vois, tes yeux observent. Difficilement. Mais avec beaucoup d’attention. Beaucoup de concentration. Tu regardes Armand, se lever, menaçant, le visage fermé. Tu le vois se diriger vers un des types et lui poser une question.

Tu oses froncer les sourcils, ce qui te tire une grimace de douleur. Tu ne comprends pas où il veut en venir, et pourquoi il te décrit de cette manière. Mais la suite de ses mots font légèrement trembler tes mains.

Isaac.
Es-tu sous sa protection ?

Et Armand.
Est-ce véritablement son rôle ?

As-tu désiré cette situation ?
Non, bien sûr que non.

Tu n’aurais jamais osé demander quoi que ce soit. Une protection rapprochée ? Tu n’en vois pas l’utilité, mais il serait ingrat de dire que tu n’es pas ravi d’avoir été secouru aujourd’hui. Toi et ton petit cerveau êtes utiles à Nemesis.

Ton travail ne peut s’arrêter si tôt.

Mais tu te perds, Naos.
Dans les mots d’Armand, et tes blessures.
Envie de fermer les yeux et dormir un instant.

Épuisé.
Blessé.
Une frayeur qui redescend.
Un apaisement qui te prend.

Tes yeux, vaguement, suivent le mouvement des silhouettes qui s’en vont. Tu essaies de te ressaisir, de ne pas te relâcher devant Armand.

Ça va aller, Naos.
C’est fini.

Armand t’aide à te relever.
Faible brindille se mouvant aux côtés d’un arbre.

Non. Non, non.
Tu baisses la tête et ne réponds pas à ses mots. Tu as bien du mal à le regarder en face maintenant. Tu prends conscience. Sans doute que les coups pris sur la tête ne t’aident pas à garder ce masque constant, cette expression impassible. Ta bouche se tord en une grimace douloureuse, tandis que tu regardes le sol. Tes poings se serrent, tu es frustré, en colère contre toi-même.

« Pourquoi être en colère ? Je suis le seul fautif dans cette histoire. Je sais que je prends des risques en descendant aussi naïvement ici, tout seul. Je me persuade à chaque fois que je peux le faire, que je peux arriver à l’Église sans histoires. »

Ta mâchoire se crispe.
On jurerait que tes dents grincent.

Et ton regard troublé vient rencontrer le sien,
retirant tes lunettes dont un verre est tombé.
C’est un sentiment complexe qui circule,
dans le fond ténébreux de tes pupilles.

« Pour la première fois de ma vie, je regrette d’être qui je suis. C’est le sentiment que tu me donnes Armand Oswald, à être si grand, si fort, si sûr de toi alors que tu abats ton poing sans ciller. »

Et toi, Naos, c’est certainement la première fois que tu parles autant depuis que tu as rejoint Nemesis. Que tu laisses tes émotions t’envahir et s’exprimer dans un doux son chaotique. Tu es confus, tu as honte. Pourquoi ? Tu sais que tu es faible. Tu le sais depuis très longtemps et pourtant …

Tu t’écartes vaguement de lui, sans réellement savoir ce que tu fais.
Ton épaule vient se poser contre le mur adjacent
comme pour soutenir ta carcasse fragile.

Qu’est-ce que tu fais ? Tais-toi.
Garde ta bouche fermée.
Tu pourrais le regretter.

« Tu n’as pas hésité une seule seconde à te jeter sur eux, lorsque tu as compris ce qui se passait. Tu as le cran qui me fait défaut, la carrure pour effrayer n’importe qui, le regard d’un véritable tueur … Mais Armand … Tu n’es pas totalement la brute que tu prétends être. Tu es venu m’aider, moi, et je ne suis pas sûr que tu aies réfléchi avant d’agir. Les émotions qui dansent au fond de toi en ce moment … »

Tu marques une pause, lèves un de tes bras pour écarter tes cheveux de ton front dans un mouvement en arrière qui semble fatigué. Tu te résignes finalement sur tes mots, tu laisses un soupir t’échapper et le regardes à nouveau, droit dans les yeux.

Un demi sourire sur tes lèvres maintenant abîmées.

« Merci pour ton intervention. »

Ta réflexion n’a aucun sens.
Tout n’est que chaos.