Mai :: Tour Prime



Dans sa grande mansuétude. Il avait daigné offrir à son aîné une période de vacances, là, ici, dans leur ancien royaume de Tempelhelm. Qui n’avait de vacances que le nom. Bien loin de la définition classique. Consistant à s’entraîner personnellement aux côtés de son paternel. De façon bien plus assidue. Traduire cela par « de façon bien plus violente ». Il ne laissait que très peu de répits à ce pauvre enfant. Obligé de grandir trop vite avec un père trop présent.

Mais ce père n’hésitait pourtant pas à l’utiliser comme appât. Vulgaire outil pour faire venir sa sœur parjure. Ayant pris une fois de plus la décision de quitter les rangs de cette famille. Alors que rien ne devrait être plus sacré. Pas même les dieux eux-mêmes. Pas même les royaumes ou les racines. Rien d’autre que la famille.

En plus d’un appât. Il allait également lui permettre de porter un coup définitif au moral de cette dernière. Il n’avait pas oublié ses multiples affronts à leurs égards. A lui et à tous les autres Carter. Et même s’il souhaitait la retrouver à ses côtés. Il était conscient qu’une punition était nécessaire. Pour qu’elle n’ait plus jamais cette sordide idée de partir. De l’abandonner. Lui. Et eux.

La seule chose qui doit compter dans la vie des Carter.

Cette famille.

Ian.

Ils ne pouvaient avoir rien d’autre. Il n’y avait rien d’autre. Rien que des liens du sang impérissable et indélébile.

Il attendait patiemment dans cette salle de réunion. Qu’ils avaient longuement occupé jadis. Tous ensemble. Tous autant qu’ils étaient. Attendant que sa sœur ose enfin franchir le pas de la porte.

Impatient, bien trop, à l’idée de la retrouver. Surtout de la tourmenter à nouveau. Pour tous les péchés innommables qu’elle a commis à leur égard. A son égard. Regard qui a le malheur de croiser son pauvre fils. Obligé de se tenir debout à ses côtés. Droit comme un pic.

Je n’ai pas souvenir de t’avoir dit de te reposer. Tu vas te ramollir en restant là passivement. Fais des exercices, comme je te l’ai montré. C’est la seule façon pour toi de grandir en tant qu’homme et en tant que Carter.

Son regard quitte bien vite le fils qui est siens. Pour aller se perdre à travers la fenêtre. Il n’avait pas pour habitude de le regarder longuement. Ou du moins. Pas sans sévérité ou colère. De peur qu’il ne prenne cette réaction pour un semblant d’affection ou pire. De validation.

J’espère que tu n’as pas oublié. Si tu recroises ta tante. N’oublie jamais qu’elle t’a abandonné fils. Qu’elle n’a jamais souhaité te revoir. Préférant se complaire dans ses caprices. Plutôt que de passer du temps avec sa famille.

N’oublie pas à quel point elle t’a fait du mal.

N’oublie pas à quel point tout est sa faute.

Voilà les deux seules idées. Les deux seules phrases. Qu’il matraquait inlassablement dans l’esprit de Roy. Depuis leur départ de Greygarde. Qu’il n’ait conscience de rien d’autre. Qu’il ne pense à rien d’autre. Qu’à cette simple et cruelle vérité.

Elle l’avait abandonné. Tout comme elle l’avait abandonné lui.

Mai :: Tour Prime



Le regard du patriarche se pose sur l’enfant un instant. Celui qui devait être son fils. Héritier. Celui qui serait amené à porter sur ses épaules tout le poids de cette famille. De ce sang qui est le leur. Pour cette tâche qui lui incombe. Qu’il lui lègue pour seul héritage. Il devait être plus qu’un enfant, plus qu’un homme. Plus que parfait. Et c’est pour cette raison qu’il le façonnait à son image. Bien plus durement que son père avant lui. Il n’avait aucun doute. Il sera l’accomplissement d’années de travail et d’acharnement.

Mais il n’était pas encore prêt. Il le voyait bien dans sa posture, dans son regard, dans ses mots. Il ressentait tout, le voyant plus clairement encore que le visage de son enfant. Ses insécurités, ses faiblesses, ses peurs et ses craintes. Tout ce qui le rendait médiocre. Tout ce qui le rendait indigne de lui. Indigne d’eux. S’il avait pris la peine d’organiser ces retrouvailles aujourd’hui. Ce n’était pas simplement un moyen de plus de tourmenter Amaya. Cherchant à la faire craquer. A travers la culpabilité. Elle qui avait toujours voulu sauver les siens. La chair de sa chair. Elle qui avait enfin l’occasion de le faire. D’être l’héroïne qu’elle avait toujours rêvée d’être. Non. Amaya n’était pas le seul objectif qu’il avait en tête.

Il voulait également découvrir de nouveaux aspects chez Roy. Que ce dernier ne soupçonnait pas. Que personne ne pouvait imaginer. Les faire ressortir et les faire grandir. Qu’il devienne plus indépendant, autonome. Qu’il prenne enfin conscience de cette vérité si simple, et pourtant si difficile à accepter. Il ne pouvait compter sur personne d’autre. Que lui-même. C’est pour cette même et seule raison. Qu’il se devait d’être non pas meilleur. Mais le meilleur.

A peine arrivée. Qu’elle l’ignore déjà. Refusant de croiser son regard. Évitant de lui adresser la parole. C’était là sa seule arme contre lui. Elle était incapable de lutter contre son aîné. De s’opposer ouvertement à lui. Ou du moins. De s’opposer à lui tout simplement. C’est ainsi qu’il l’avait façonné. Elle.

Je ne pensais pas te revoir un jour. Non. Nous ne pensions pas te revoir un jour.

Un regard adressé à Roy. Comme une évidence. Comme s’ils partageaient tous les deux ce point de vue.

Je m’interroge tout de même. Chère sœur. Si tu es si heureuse de le voir. Pourquoi avoir autant tardé à le retrouver ? Pourquoi avoir ignoré mes NOMBREUSES invitations ?

Il insiste lourdement sur ce point. Sur cette vérité qu’elle ne pouvait tolérer. Que Roy ne pouvait accepter. Pourtant, c’était bien la seule vérité à cette tragique histoire de famille. Elle l’avait abandonné. Roy, Mason, Alice. Ian également. Elle leur avait tous tourné le dos. Sans un regard en arrière. De vulgaires lettres envoyés de temps en temps. Nombreuses dont il avait disposé. Faisant disparaître ces dernières comme si elles n’avaient jamais existé.

Il était trop tard Amaya. Roy était conditionné, façonné, modelé. Dans le seul but d’être le parfait successeur Carter. D’être un Ian encore plus complet, encore meilleur. Bien pire.

Et tu es la seule responsable.

Pour l’avoir abandonné.

Regarde donc dans ses yeux. Tout ce qu’il reste d’affection pour toi. Et tu comprendras. Qu’il n’y a plus rien. Qui ne peut encore être sauvé.