« Bonjour ! On m’a dit d’annoncer Lindworth à l’accueil. »

C’est ce que Amadis se répétait en boucle, jetant des coup d’œil réguliers à son téléphone pour vérifier l’heure.
Laboratoires de Dawndale, 14h. Annoncer Lindworth à la réception.
C’est tout ce qu’on lui avait dit. Lui-même ne savait pas les raisons de sa présence ici.
Enfin, si.
Euphemia.

Après la discussion qu’ils avaient eue récemment, le lien avait été renoué : pas tout à fait comme avant, certes. Mais le froid des dernières années semblait passée, remplacé par l’extravagance habituelle d’Euphemia ; et il était prêt à tout pour ne pas la perdre de nouveau.
Y compris venir à un rendez-vous organisé dans l’une des zones les plus surveillés de Dawndale.


13h40.

Il s’aventura dans la réception sous le regard attentif des gardes, qui le laissèrent néanmoins rentrer, avant de s’adresser à la réception.
Il peinait à regarder le réceptionniste dans les yeux.

- Bonjour ! Euh … On m’a dit d’annoncer Lindworth à l’accueil pour 14h, donc me voilà.

L’un des réceptionniste hocha la tête avec un sourire poli, sans même avoir à vérifier les rendez-vous de la journée, avant de l’inviter à attendre dans une salle prévue à cet effet.
Et il se remis à surveiller son téléphone, comptant les minutes.

…

13h58.

Plus que deux minutes.

Amadis se leva du confortable fauteuil de la salle d’attente à la demande d’un des réceptionnistes qui l’invita à le suivre. À l’aide d’un passe électronique, il ouvrit la porte avant de s’engouffrer dans le laboratoire.

Amadis aurait aimé dire qu’il ressentait une forme de nostalgie à la vue de l’environnement stérilisé et neutre d’un laboratoire, des souvenirs d’un temps plus simple en compagnie d’Euphemia et Gisele. Une opportunité, un quasi-miracle. Mais à la vue du carrelage blanc, le goût de la biles et l’odeur du sang lui revinrent à l’esprit. Cet endroit sentait le propre, l’artificiel ; un produit d’entretien chimique au citron et des portes fermées.

Il n’était pas à sa place ici.

Le secrétaire le mena jusqu’à l’une d’entre elles : une porte particulièrement imposante devant laquelle il s’arrêta, invitant Amadis à entrer. Celui-ci n’allait pas l’accompagner, ne restant probablement que pour s’assurer que le jeune homme n’allait s’improviser explorateur de laboratoire. Amadis n’aimait pas trop ce sentiment d’être surveillé … Mais c’était à attendre d’un endroit aussi sécurisé que celui-ci.

On lui annonça que Madame Lindworth l’attendait dans cette pièce.
Alors, il rentra avec un grand sourire aux lèvres.
Comme demandé.
Et ses yeux se posèrent instantanément sur des yeux dorés encadrés de long cheveux roux.

- Bonjour, Madame Euphemia ! Je suis ravi de vous voir !

Il l’était.
Le sourire était sincère, bien qu’un peu forcé.
Un sourire d’enfant sage qui veut montrer sa joie.

Amadis s’avança dans la pièce, jetant un coup d’œil autour de lui. Des documents et papiers sur la semblaient avoir été préparés ; mais il ne s’agissait peut-être que d’une coïncidence vis-à-vis d’un rendez-vous précédent. Il ne s’intéressa pas à la pièce plus que ça, de peur d’apprendre quelque chose qu’il ne devait pas savoir.

Il s’installa en face d’elle, aussi droit que le premier jour.

- Comment allez-vous ? Je vous remercie de votre invitation ! Ça a été une agréable surprise ! Je …  N’avais pas mis les pieds dans un laboratoire depuis un bout de temps.

Un instant d’hésitation.
Une question lui brûle les lèvres, si évidente qu’il avait peur de la poser.

- Puis-je vous demander ce qui me vaut cet honneur … ? Je n’ai pas osé le faire par message.

Ça faisait des mois – plus d’une année, peut-être – qu’Amadis était à l’initiative des rendez-vous et échanges entre eux. Si l’échange au café aurait pu justifier une reprise de contact bilatérale, l’invitation dans un laboratoire hautement sécurisé le laissait présumer que ce n’était pas que pour une discussion.

Et pourtant, il était venu ici à l’aveugle.
Parce qu’il savait pourquoi il était là.
Le reste n’est que détail.
Le citron, le carrelage, les papiers et cette étrange boule dans ton estomac ;
Tu restes droit comme au premier jour.

La présence d’Euphemia illuminait la pièce.
La froide distance de ces dernières années semblait avoir disparu, remplacée par un sourire lumineux, sincère, doux.
Un sourire radieux ;
Non, aveuglant.
Un sourire dont il devait se montrer digne.

Obéissant sagement, il s’installa en face d’elle, jetant un rapide coup d’œil à la paperasse sans s’y attarder. Il avait presque des étoiles dans les yeux, comme si le stress et la tension avaient magiquement disparus.

Il écoutait sagement, enfant obéissant prenant note de ses devoirs.
C’était bel et bien pour le travail.

Pas un mouvement de sourcil à la mention de l’infection ; pas de réaction au nom de Jacob.
Non pas qu’il ne s’inquiétait pas : il ne savait que peu de choses à propos de Jacob, mais ce peu suffisait à l’effrayer. De plus, sa position de Magnus sous-entendait à la fois ses moyens et son impunité ; un homme dangereux avec les moyens de l’être, en somme.
Mais c’est l’époux d’Euphemia ; et elle l’aime.
C’est le genre de qualité qui compense les pires défauts.

À la mention de son précédent travail, Amadis se redressa, une petite lumière dans les yeux.
Etait-ce pour ça ?
Il avait, secrètement, un petit espoir qu’Euphemia lui propose de participer à un projet en tant qu’étudiant ; mais il savait que c’était absurde. Il n’est pas un génie, un prodige ou un être d’exception, non : juste Amadis, pour le meilleur et le pire.
Être son cobaye, c’était une opportunité pour que les choses redeviennent comme avant entre eux. Une opportunité d’être utile ; une opportunité de montrer sa gratitude pour tout ce qu’elle a fait pour lui.

- Oui ! Toujours !

En prononçant ces mots, un goût de bile lui revint à la bouche.
Il y pensait encore, de temps en temps.
Parfois, ça te réveille la nuit.
Mais pour le regard tendre d’Euphemia, c’était un sacrifice que tu étais prêt à faire.

Une proposition d’emploi ; bien rémunéré et avec peu d’effort. L’Amadis d’avant aurait sauté sur l’opportunité : mais l’argent n’était plus tant un problème, et une offre trop belle pour être vraie l’était probablement. C’était flou ; c’était suspicieux.
Mais c’était Euphemia.

- Je suis … Ouvert à cette offre.

Tu essayais de te motiver :  de penser à ce que tu pourrais acheter à tes sœurs avec cet argent, à la fierté d’Euphemia. C’était une opportunité d’être remarqué par un Magnus, une expérience que tu pourrais valoriser après tes études si le besoin est.

Et pourtant, cette boule au ventre restait.

- Est-ce que … Mes sœurs seront prises en charge si les choses ne se passent pas comment prévu ? Je sais que voulez allez me garder sain et sauf, mais … Vous savez ? On n’est jamais trop prudent.

Et si tu finissais handicapé à vie ? Incapable de travailler ? Incapable de t’occuper de tes sœurs ?
Mort ?
Tu veux vivre, Amadis.
Non, tu dois vivre.
Tu jetas un coup d’œil rapide à la cicatrice sur la paume de ta main.
Puis vers Euphemia, ses yeux dorés posés sur toi.

Tu repensais à la chute, à ces mois passés sans elle ; à ton désespoir quand elle t’a proposé de travailler pour elle.
Elle s’est assurée de ta survie jusqu’ici. C’est ce que tu voulais, non ? Redevenir son petit cobaye, te savoir protégé et apprécié ; être utile et briller à ses yeux.

Qu’importe ce qu’elle te demande : tu lui dois bien ça.

- Ce que je veux dire, c'est que j’accepte votre offre, Madame. Vous avez toute ma confiance. J’étais simplement curieux sur les détails de ce contrat ! La rémunération, les assurances et, et bien, la nature de l’intervention elle-même. Mais je pourrais complètement comprendre que vous ne puissiez pas m’expliquer les détails ! C’est simplement … Pour me préparer mentalement.

Tu ne veux pas qu’on t’abandonne.
Tu ne veux pas abandonner.
Et bon, c’est pour le bien commun, pas vrai ?
Pour la science.

- Quand est-ce que l’intervention est prévue … ?