Cassandre secoua sa cape pour la énième fois, dans une vaine tentative pour se débarrasser des derniers grains de sable qui paraissaient persister contre sa peau. L'inconvénient des missions dans le désert restait toujours cette sensation de le ramener sur soi en rentrant. Elle n'avait qu'une hâte ; retirer ses lourdes bottes et prendre une douche salvatrice.

Mais elle fut contrainte de revoir ses plans quand son Olid brilla - elle le préférait en général silencieux ou éteint - et qu'elle découvrit le contenu du message. Ses yeux s'assombrirent et au lieu de rejoindre un appartement de fortune où passer ses prochains jours de repos, elle s'engouffra dans les souterrains.
Elle le savait, n'était guère surprise de la tournure des événements. En revanche, elle avait cru disposer d'un peu plus de temps pour s'y préparer. Mais Ian ne pouvait attendre, il lui fallait brusquer les choses pour les remettre à leur place, c'est-à-dire entre ses mains possessives. Peu importe si cela devait mettre sa sœur dans une position inconfortable vis-à-vis de la Renarde, sa supérieure hiérarchique. Parce qu'il ne fallait pas s'y tromper, derrière l'invitation à la rejoindre, il s'agissait d'un ordre.

Cassandre ouvrit la porte et abaissa sa capuche une fois le seuil passé. Les longues mèches blanches de sa chevelure se répandirent de part et d'autre de son visage. Elle salua sobrement, toujours vêtue de son uniforme.

« Ishtar. »

Elle remercia d'un signe de tête mais n'alla pas se servir de thé, préférant s'asseoir directement en face de celle qui l'attendait.
A dire vrai, elles n'étaient pas souvent amenées à se côtoyer. En effet, en dehors de la toute première fois où Cassandre avait demandé à rejoindre les Ivoryrift, elles n'échangeaient qu'en de très rares occasions. Dès son intégration achevée, Cassandre avait enchaîné les missions et sauf pour d'éventuels rapports, rendre visite à Elijah ou prendre un minimum de repos, elle s'empressait de repartir, ne laissant dans son sillage que l'impression furtive d'avoir été là pour un court instant. C'était un choix conscient, tout comme l'était de celui de ne pas monter en grade ; l'ultime moyen de conserver son simulacre d'indépendance. Puis en toute franchise, même si elle était reconnaissante à Ishtar pour l'opportunité offerte, la Carter préférait également garder ses distances avec toutes les personnes de pouvoir, sachant pertinemment que celles-ci ont (en permanence) une idée derrière la tête. C'est le milieu dont elle vient, un schéma qu'elle n'a eu de cesse de reproduire, un fonctionnement dont elle connaît les rouages et qu'elle souhaite s'épargner aussi longtemps que possible.

A l'entente du prénom de son frère, elle se rembrunit. C'était une chose de le ruminer en pensée, une autre de l'entendre distinctement à haute voix. Foutu lui.
Cassandre fit face au regard de son interlocutrice sans ciller.

« Je suis désolée pour mon frère et que tu te retrouves mêlée à nos histoires. »

C'était la première chose qui lui était venue à l'esprit.
Tout comme les excuses pour l'attitude de son aîné, l'utilisation du possessif lui était revenue par réflexe et elle se rappela qu'elle ne devait plus désirer d'un "nous" qui l'engloberait elle et Ian.
Elle pensa aussi à la loi du secret des Ivoryrift, qui plus est celui qui la concernait elle, et comprit que celui-ci ne pouvait peser bien lourd face au légat de Greygarde.

Cassandre dévisagea la femme qui se tenait devant elle, mélange de puissance et de grâce, dotée d'une aura écrasante et d'une autorité incontestable.
La femme qu'on aurait voulu qu'elle soit et celle qu'elle ne sera jamais.

L'odeur des fleurs disposées entre elles était entêtante, surtout après tous ces jours passés dans la poussière et le sable.
Lui revint cette manie de fixer son interlocuteur sans mot dire.

Même si Ishtar lui imposait le respect, le vouvoiement n'était pas de rigueur. Pas quand on reste une Carter.
De plus, il lui était apparu non nécessaire de chercher à établir une plus grande distance entre elles deux ; il existait comme une ligne infranchissable, où elles dardaient sur l'autre un regard inquisiteur, se regardant en chien de faïence. Malgré certaines ressemblances qu'elle avait cru percevoir au début, il n'était né de leur accord qu'une drôle de circonspection. Peut-être parce qu'elle était l'amie de longue date de Ian, le héraut de l'eau, le cavalier de la conquête, le personnage principal d'une histoire où Cassandre n'avait su être que la figurante, le jouet ? Tout autant de fausses raisons pour ne surtout pas se risquer à faire un pas, un geste.

« Qu'est-ce qu'il attend de toi ? »

Elle ne demanda pas ce qu'il savait, se concentrant sur ce qu'il voulait.
Sa voix lui sembla comme grinçante, telle une mécanique rouillée, et elle regretta finalement de ne pas avoir accepter le liquide brûlant dans son écrin de porcelaine pour sa gorge trop sèche.

Cassandre ignorait qui avait parlé, vendu la mèche et dans quel intérêt. Elle n'était guère surprise, il n'y avait rien de plus sensé que la traîtrise dans son univers. Elle mettait ça de côté pour l'heure, ne manquerait pas d'y revenir.

« Que veux-tu de moi ? »

Question miroir à celle posée précédemment.
Parce qu'il ne s'agissait que de ça ; de vouloir et de prendre.

Garantie.
Un bien joli mot pour sous-entendre l'obligation et les responsabilités.
Dans son univers à huis-clos, les relations humaines sont mises en gage, sujettes à caution.
De cela, il n'en découle rien de bon, rien de sain.
D'elle (d'eux tous), on ne peut rien attendre d'équilibré.
A s'enrouler ainsi, les uns autour des autres, sans vraiment le vouloir, sans vraiment pouvoir lutter contre, ils n'en sont que plus tordus.

Cassandre ne cille pas quand le regard la déshabille, la dévisage.
On cherche la faille, on en discerne les contours et on choisit ou non de l'exploiter.
La plupart du temps, on le fait.
Elle le connaît ce regard là. Celui qui dit "j'ai des droits sur toi". Elle sait ce que ça implique.
Elle l'accepte.
A ceux qui ont le pouvoir on donne, sinon ils prennent.
Dans ce regard là, on trouve aussi de l'orgueil.

« Il n'est pas assez fou pour aller au-devant d'une guerre avec toi. Le jeu n'en vaudrait pas la chandelle.»

Il ne se battra jamais pour moi. Il ne veut que le contrôle, les parties de moi qui l'intéresse, ce que je peux lui apporter.
Derrière la possessivité affichée, rien d'autre que le besoin de réaffirmer son emprise.

C'est la même chose avec Ishtar.
Son discours ne la laisse pas insensible ; c'est ce qu'elle cherche, ce qui lui plaît. 
Appartenir à quelqu'un, être désirée, être celle qu'on choisit, LA personne d'une autre.
Exclusivité. Fusion. Absolu.
C'est son schéma type, la manière dont elle se sent légitime. 

Vous êtes semblables, assez ingénieux pour me le faire croire.
Ah...Les personnes d'influence.
Malédiction, cercle vicieux, attrait irrésistible.

« Merci pour ta protection et pour ta considération.»

Sincère mais prudente. Toujours sur la réserve.
Tout ça n'est que jeu d'échecs.

« J'ai prêté serment. Je ne compte pas y déroger.»

Ce qui l'arrange aussi.
Elle n'a pas rejoint Ivoryrift par hasard et ne reniera plus jamais son indépendance.
Divine solitude.

« Mais la mort de mon frère m'appartient. »

Ce n'est pas une provocation, c'est un simple fait.
Une vérité. Sa vérité.

Cassandre ne souhaite pas lui donner la mort, elle devine juste que la fin éventuelle de Ian signera également la sienne.
Que ce soit par ses mains ou par celles d'un autre, ce sera feu pour foudre, sang pour sang.
Son frère est à elle.
Elle aura ses derniers instants comme elle a eu les premiers.

« Sache que si ça s'avère un jour nécessaire, je suis le meilleur moyen pour en finir avec Ian Carter. »

C'est comme crier "utilise moi".
C'est lui donner explicitement son accord.
C'est aussi respecter les engagements pris.

Au final, Cassandre est (la) garantie.