Assise sur l’immense siège, le regard au vide traversait la pièce dans un mouvement circulaire ; à la baie vitrée, aux murs, aux bibliothèques, à la baie vitrée, aux murs, aux bibliothèques, … Faisait tournoyer le décor, les deux pieds au bord du fauteuil, les mains occupées par une babiole en mousse qu’elle martyrisait entre ses doigts, nerveusement.

La veille, Gisèle lui avait parlé de Graham.
De Tempelhelm.
Et le coeur n’y était qu’à moitié, froissée ou éteinte, bien incapable de verbaliser ce qui l’habitait.

La parole semblait atrophiée depuis ces deux dernières années, Euphemia qui parlait toujours davantage avait fini par perdre toute raison - une rire absurde flottait sous le crâne attaqué.

La porte du bureau s’ouvrit, et Euphemia explosa dans un sourire plein d’amours débattues désespérément ;

Jacob !

Comme sauveur d’une solitude éreintée au palpitant las ;
Mais ce n’était pas Jacob dont elle détailla la silhouette.
Celui qui entra, elle ne le reconnaissait pas - savait qu’il s’agissait d’un Magnus, tout au plus - Euphemia ne s’intéressait plus tant aux autres, aux gens.

Ah.

Continua alors de tourner la chaise ;
De faire tournoyer le bureau autour d’elle.

Jacob n’est pas là. Et je ne prends pas les messages ! HAH

Dans un rire sarcastique ; une apostrophe empruntée à Isaac.
N’était pas la secrétaire de Jacob, après tout.
Sauf que l’homme ne partait pas.

Elle arrêta la course du siège, et Euphemia se stoppa net pour le regarder fixement.

Qu’est-ce que vous voulez ?

Et pas de “je peux vous aider” car Euphemia n’avait aucune intention de se mettre au service.

Mai :: Bureau de Jacob



Sin s’affairait dans son laboratoire personnel. Convaincu qu’il tenait enfin une piste. Qu’il avait enfin mis le doigt sur une composante cruciale. Si ce n’est sur le chaînon manquant de toute sa théorie. Persuadé qu’il allait enfin découvrir une nouvelle avancée majeure à propos de l’Eridium. De quoi enfin clouer le bec de cet idiot de Jacob. Idiot n’était pas un mot pour attaquer son intelligence. Non. Dans ce cas il ne prendrait même pas la peine de se souvenir de son existence. C’était simplement une façon de qualifier son caractère irritable. Cet air de je sais tout dont il se pare en chaque circonstances. Le même qu’il affichait toujours sur lui. Raison de plus de s’insurger. Puisqu’il l’utilisait probablement pour les mêmes raisons. Pour se sentir supérieur. Parce qu’il se savait supérieur. Jacob et lui. Ils étaient les mêmes facettes d’une même pièce. L’un était pile. L’autre face. Il le comprenait autant qu’il l’exécrait. Et ils étaient voués à ne jamais pouvoir accepter la supériorité de l’autre.

Agrippant à la volée son sujet d’étude et ses théorèmes entassés dans un carnet de note débordant déjà bien trop de tests et d’écrits en tout genre. Il se rue hors de son laboratoire. Non sans faire tomber au passage la moitié des fioles présentes sur son bureau. Il n’avait pas le temps. Il n’avait qu’une idée en tête. Démontrer à l’autre Tempeleur sa théorie. Que seule sa théorie était bonne. Qu’il avait raison. Que lui seul était dans le juste. Depuis le départ. Une victoire qui pouvait bien excuser tous les autres sacrifices. Oublier tout le reste.

Il fait irruption dans les bureaux de Jacob sans même prendre la peine de s’annoncer. Sans même prendre la peine de frapper à la porte. Entrant en terrain conquis, véritable conquérant qu’il se sentait en cet instant. Avant même d’observer les alentours, avant même de prendre la peine de regarder si le concerné était présent sur place ou non. Il s’exclame d’une voix forte et triomphante. Mais surtout d’une voix pleine de fierté, qu’il avait bien du mal à dissimuler :

C’est bon Jacob ! J’ai…

S’arrête brusquement en remarquant l’absence de ce dernier. A moins qu’il n’ait changé de sexe entre temps. Et de visage aussi. Puisqu’une chevelure rose l’accueille en lieu et place de son masque morbide habituel. Qui provoque plus une vague de malaise chez ses auditeurs qu’autre chose. Mais il se doutait bien qu’en dehors de l’utilité de cet dernier, l’aspect étrange était sûrement l’effet recherché dans la création de son prétendu rival. Rival qu’il avait nommé ainsi lui-même.

Ah

Affiche au même moment qu’elle une réaction similaire. Presque en symbiose. Visiblement les deux étant déçu de ne pas croiser la même personne. Sur ce point au moins, ils s’étaient déjà compris bien malgré eux. Il ne prend pas la peine d’écouter sa prochaine tirade. S’empressant d’ouvrir la bouche à son tour.

Et vous êtes qui vous ?

Remarque sincère. Peut-être même un peu trop. Il n’avait aucune idée de qui était cette personne. Elle ne se disait pas secrétaire. Alors il s’interrogeait sur l’utilité de sa présence dans le bureau de ce dernier. Dans le cas contraire elle aurait au moins eu une excuse.

Attendez une minute. Ne me volez pas mes répliques. C’est plutôt à moi de vous posez cette question. Que faites-vous ici pour commencer ?

Regarde autour d’un air interrogateur. Se demandant si ce n’était pas une farce de Jacob. Avant de bien vite abandonné cette idée. Ce dernier semblait incapable d’éprouver des émotions normales. Alors l’humour ? C’était peine perdu. Il l’avait un peu trop surestimé en cet instant. Et il se sentait bête de l’avoir cru capable d’un tel exploit. Celui d’être plus proche de l’homme que de la machine. S’il n’avait pas encore croisé d’automate et de prototype, il remettrait sérieusement en question la nature de Jacob.

Où est Jacob d’ailleurs ? Et vous ne m’avez toujours pas dit qui vous étiez et encore moins ce que vous faites dans son bureau ?

Ce qui au fond, était d’autant de questions qui méritaient d’être posés. Il n’avait pas pour habitude de croiser des proches de ce dernier. Des connaissances à la limite. Des collègues d’études et de recherches venu également de Tempel. Mais rien qui ressemble à une quelconque famille.

Au regard figé ; Euphemia suspendue à la contemplation ; observait son nouveau sujet d’expérimentation, un sourire naissant à ses lèvres perfides - prédatrice lorsqu’elle décidait de faire s’abattre ses serres sur le premier venu - comblerait l’ennui deviendrait son bouffon ; un rire sonore s’arqua entre ses lèvres, ouvertes sur un sourire de toutes ses dents blanches.

Vous en avez, du culot, pour un intrus en ces lieux !

Extatique Euphemia ne tenait pas en place, elle se surprit à se lever du fauteuil brusquement, repoussant celui-ci de ses deux jambes tendues soudainement ; elle s’agita dans un pas guilleret mais affirmé, claqua de ses talons contre le sol froid pour contourner le bureau, se retrouver face à Sin et y planter son regard à un mètre à peine de lui.

Euphemia Lindworth.

Un ricanement aux lèvres ; le regard brillait ; décortiquait chaque réaction suscitée.

Répondez à ma question plutôt que de faire l’insolent, voulez-vous ?

Le sourire étiré le regard grand ouvert ;
Pencha la tête en arrière et l’air sembla dédaigneux soudainement ;
Hissée sur ses talons trop hauts.

Qui est-ce qui vous a autorisé à entrer dans le bureau de mon mari ?

Mai :: Bureau de Jacob



Le magnus observant du coin de l’œil la jeune femme rire à pleine dent. Il ne doutait pas de la cruelle efficacité de son humour. Encore moins de son charme naturel. Mais il n’était pas assez stupide pour comprendre qu’il n’avait pas encore eu assez l’occasion d’être drôle. Et qu’aucune personne sur terre ne serait en mesure de rire en voyant ledit charisme. Il se para donc à son tour d’un sourire large. Plissant légèrement les yeux. Plus Amusé qu’effrayé par le comportement atypique de cette personne. D’aucun aurait pris la fuite en voyant qu’elle ne présageait rien de bon. Lui ne voyait là qu’une agréable surprise au mieux, qu’une façon de s’occuper au pire.

Intrus ? Je doute qu’on puisse qualifier un collègue par de tels propos. Mais soit ! Intrus donc. Ce qui fait de vous une ? Intruse ?

Penche la tête sur le côté. De plus en plus amusé par ses propos. Jusqu’à ce qu’elle ne daigne enfin offrir son nom.

Il plisse davantage les yeux. Incapable de se souvenir pourquoi ce nom de famille lui était étrangement familier. A croire qu’il ne l’entendait pas pour la première fois. Mais qui donc pouvait porter un tel nom. Hélas, sa mémoire des futilités, et donc des patronymes, n’avaient pas autant d’importance que sa mémoire scientifique. Même un esprit brillant tel que lui devait faire des sacrifices. Et oublier ce genre de bagatelles n’en était pas réellement un à ses yeux. Autant dire qu’il s’en moquait éperdument.

Lindworth… Lindworth.

Il répète le nom à haute voix. Pensif. Comme si sa mémoire, qu’il n’avait pas pris de retenir à la base, pourrait lui revenir subitement.

Raté.

Il oublie bien vite le nom qu’elle vient de lui offrir de toute façon. Répondant à son ricanement par le même. S’arquant dans un rictus amusé.

Estimez-vous heureuse d’être tombé face à un insolent. Plutôt que d’avoir affaire à un sot lent.

Ricane à nouveau. Riant de sa propre blague. Amusé par son jeu de mot qui était, objectivement, très bon. Non sérieusement. Il était excellent.

Je me suis autorisé seul à rentrer dans le bureau de Jacob. Je n’ai en général pas besoin d’autorisation pour aller voir un collègue. Au risque de me répéter.

Lève les deux bras en l’air. Dans un soupir.

Avant de passer une main dans ses cheveux. Faisant mine de se recoiffer.

SIN RAJH’KHAERVAR, Magnus de l’énergie. Mais vous avez sûrement déjà entendu parler de moi.

Forcément. Tout le monde le connait. Même si la réciproque est loin d’être vraie. Il ne prend pas la peine de s’intéresser aux autres. Seul de rares élus peuvent aspirer à cette prétention dans sa vie.

Reste à savoir dans quelle catégorie cette Euphemia Lindsworth, allait se placer.

Il hurle.
C’est l’effet que ça fait quand sa voix criarde cogne contre ses oreilles.
Son patronyme à coucher dehors - encore un de ces enfants indésirés auxquels on donnait une onomatopée en guise de prénom pour pas s’emmerder à l’appeler par un nom trop long.

Euphemia reste pantoise, papillonne des paupières avant d’éclater d’un rire sincère ; à gorge déployée et le regard plissé dans une mine parsemée des traces d’une folie latente.

EXCELLENT.

Applaudissait de ses deux mains devant elle.

On va faire un jeu, MONSIEUR RAJH’KHAERVAR

Qu’elle soit parvenue à le retenir et à l’articuler parfaitement relevait du miracle ; ou d’un trait de génie propre à l’esprit désarticulé de Euphemia Lindworth.

Parce que moi, j’adore jouer, et que vous, vous aimez être flatté.

Le rire continue de flotter dans la voix. Euphemia se rapproche dangereusement, et les deux mains se posent sans aucune pudeur sur ses deux épaules.

La voix parle distinctement, les mots sont articulés avec précision.

Je vais me renseigner sur vous. Et d’ici demain… après-demain, disons. Je saurai tout de vous. Comme une groupie fanatique, je retiendrai toutes les informations, aussi futiles soient-elles, vous allez aimer ça pendant dix minutes, et puis ça va commencer à vous faire peur.

Rapprochait son visage ;
Inquiétante.

Parce que lorsque je dirai le nom de jeune fille de votre mère, votre groupe sanguin et l’heure exacte à laquelle vous avez pris votre dernière douche, vous vous rendrez compte qu’il valait mieux que je ne connaisse pas votre nom au départ. Êtes-vous prêt à assumer la célébrité dont vous voulez jouir ?

Le sourire étiré ; les paupières plissées.

Car moi je suis très forte, à ce jeu-là.

Mai :: Bureau de Jacob



Un applaudissement. Voilà qui était tout à fait charmant. Et qui avait pour effet de lui faire bomber davantage le torse. Presque inconsciemment. Comme un réflexe naturel à la flatterie qu’il semblait mériter. Derrière laquelle il n’avait de cesse de courir. De se réfugier. Zone salvatrice où il pouvait enfin se sentir entier. Lui-même. Au-dessus des autres.

Allons bon. Je veux bien vous reconnaître ça. Vous êtes pleine de surprises

Il était d’une honnêteté franche. Cette femme, aussi étrange soit-elle. N’avait eu de cesse d’être différente. Différente des rencontres habituelles qu’il avait eu l’occasion d’avoir dans sa vie. Il rencontrait beaucoup de gens. Beaucoup de personnes, beaucoup d’être vivant qu’il voyait plus comme des cobayes ou comme des tremplins vers de nouveaux sommets. Mais rarement des êtres capables d’éveiller la curiosité qui anime son esprit scientifique.

Allez-y. Continuez donc à me surprendre. Que ce soit à travers un jeu. Ou autre chose.

Il ne releva pas sa remarque. Elle était juste. Il n’avait pas besoin de la nier. Encore moins de la confirmer. Il aimait être flatté et il ne prenait pas la peine de le cacher. Si elle avait trouvé un moyen de satisfaire chacun d’entre eux. Il n’avait aucune raison de refuser. D’autant plus que sa curiosité ne s’était pas encore tarie.

Reste impassible en la voyant s’approcher de lui. Porte une moue triste en la voyant poser ses mains sur ses épaules. Il osait espérer que son jeu soit plus original qu’un jeu de séduction. Auquel cas il serait particulièrement déçu de cette rencontre. Les personnes prévisibles n’étaient pas dignes de son intérêt. Encore moins de son temps.

Pourtant, ce qu’elle propose ensuite. Il n’aurait pas pu le prévoir. Pour rien au monde. Une personne saine d’esprit aurait trouvé cette révélation troublante. Voir étrange dans le meilleur des cas. Carrément malsaine dans le pire.

Pour Sin. C’était tout l’inverse. Une fascination morbide naissait petit à petit au creux de son esprit. L’idée d’avoir derrière lui une personne aussi déterminée. A la limite du fanatisme. Voilà qui avait de quoi ravir son égo.

Faites donc. Vous l’avez dit non ? Vous, ça vous amuse. Moi. Je trouve une telle dévotion particulièrement flatteuse. Vous voulez tout savoir de moi. Allez-y. Toute la ville me connait. Mais peut-être que vous, vous serez en mesure de me connaître encore plus.

Sa tête bascule doucement, d’un côté. Puis de l’autre. Visiblement de plus en plus amusé par cette proposition. Loin de l’effrayer. Elle n’avait fait qu’éveiller un fou aussi fou qu’elle.

Dites-moi Madame. Allez-vous être en mesure de me surprendre ? Ou est-ce que vous serez comme tous les autres ? Bien prévisible. Et bien ennuyant.

A mesure qu’il parle. Son sourire s’étire de plus en plus.

Quoi qu’il en soit. J’ai hâte d’avoir la réponse à cette question. Tout comme vous avez hâte d’avoir des réponses aux vôtres.

Un jeu ? Qui serait assez fou pour dire non à un jeu.

Pour s’amuser il suffit de gagner.

Quoi qu’il arrive. Il sera gagnant.

Un rire glousse à ses lèvres folles.
Des lumières pétillent dans le regard aux pupilles ténèbres ;
Une seconde suspendue dans une éternité s’écoule ; Euphemia silencieuse l’espace d’un instant à peine lorsque déjà ses yeux arrachent au visage et à la silhouette toutes les informations qu’il lui donnait dores et déjà sans pudeur.

Observait.
Avant de reculer d’un air satisfait.

Être prévisible ou ennuyante ne l’inquiétait pas ;
Déjà car ce n’étaient des qualificatifs qui ne lui avaient jamais incombée ;
Ensuite car elle ne cherchait aucune approbation de la part du scientifique.

Comme il l’avait dit ; c’étaient des réponses qu’elle voulait, maintenant ;
Il serait sa lubie du moment - un jeu de l’oie dont on ne connait aucune case - se lasserait peut-être comme elle se lassait de tout ;
Mais pour l’heure, était intriguée assez pour qu’il n’existe plus que sa lubie - comme il n’avait existé qu’Amadis pendant un temps - comme il n’avait existé que le tricot pendant une semaine.

Bien.

Dans un sourire poli, une tendresse au rire joli.

Quittez le bureau de mon mari, maintenant, Monsieur Rajh’Khaervar.

Lui adressa un signe de la main pour le saluer.

Et cachez bien vos secrets, le jeu serait moins amusant si tout était étalé devant la porte de chez vous, hm ?

Elle avait déjà commencé à jouer.