Les assiettes étaient vides et rangées, les petites sœurs s’occupaient de ranger les couverts dans le lave-vaisselle. Ce qu’il restait de curry dans la marmite était sur la table, à côté d’un petit tas de riz. Et, avec ce qu’il restait, Amadis remplissait une boite-repas.

Un appartement confortable, trois repas par jour, des lits pour tout le monde. Des douches chaudes, une télé fonctionnelle et un canapé intact.
C’était une vie à laquelle Amadis pouvait s’habituer.
Et la joie de ses sœurs suffisait à ce que son cœur soit léger dans sa poitrine, à ce qu’un sourire naisse sur ses lèvres quand il voyait celle-ci discuter de leur quotidien d’adolescentes. Des petites histoires, des ragots, des passions : la vie simple qu’il avait souhaité pour que la lumière sur leurs visages ne s’éteigne pas.
Pour leur donner une raison d’espérer.

Un acquis temporaire, peut-être. Ce n’était pas une fin : mais c’était un progrès, et un progrès digne d’être célébré. C’était une vie : et une vie digne d’être protégée.

Une fois la boite repas remplis, Amadis fit signe à ses sœurs qu’il sortait, emportant la boite avec lui sur le palier. Rien d’inhabituel ; c’était même devenu une part de leur routine, dans cette nouvelle vie loin de la cité de leurs enfances. Certaines habitudes restaient : et deux en particulier s’appliquaient ici.

On ne gâche rien.
Et on aide, dans la mesure du possible, les amis dans le besoin.

Alors, une fois sur le palier, il fit quelques pas sur le côté pour toquer à la porte voisine, l’air timide de celui qui a peur de déranger accroché sur son doux visage. Toujours peur de gêner, d’être ridicule : qu’on ne souhaite pas le voir pour une raison ou une autre, comme si son existence avait une tâche disgracieuse qu’il peinait à cacher.

- Jonquille ! T’es là ?

Deux tapes légères des phalanges sur la porte en bois.

Jonquille lui avait fait part de ses troubles alimentaires il y a quelques temps déjà. Alors, si un curry doux et l’idée qu’elle puisse déranger pouvait la motiver, ça ne le dérangeait pas de faire l’effort de venir la voir.

Tu l’aime bien, Jonquille.

Un peu douce, un peu brisée. Une fleur avec quelque chose de fané ;
Le genre de personne que t’as envie d’aider.

- C’est Amadis ! J’ai fait du curry maison, si ça t’intéresse … ? Il ne pique pas, promis !

Cette innocence tâchée, cette douceur un peu triste; comme des souvenirs amers qui remontent.
Ça te fait du bien de lui parler.

Jonquille est douce ; Jonquille est tendre.

Une jolie fleur fané ; comme une nature morte à laquelle il espérait inspirer un peu de vie, un peu de joie sans vraiment y croire.

Elle est hantée par ses démons, Jonquille ; et toi, tu es hanté par les tiens.
Mais toi, tu as tes sœurs ; elle, elle est seule dans son appartement.
Alors, tu essayes d’aider ; d’offrir un peu de lumière et de nourriture ramenés de chez toi.
Un sourire un peu timide aux lèvres.

- C’est normal ! ça aurait été bête de le remettre au frigo alors qu’il est encore chaud, non ?

Timide, tu avais encore du mal à accepter les compliments, tes insécurités te cachant ta propre générosité. Ce n’était pas grand-chose, mais ça te faisait plaisir de le faire.

Ses yeux fuyaient et ceux de la femme en face de lui également : une fuite réciproque, une peur du regard de l’autre. Pourtant, ni lui ni elle ne juge : ce n’était pas par pitié qu’il venait, mais par amitié. Elle a des difficulté à manger, alors il lui prépare des petits plats ; et quand il n’était pas là, pris par le travail, elle gardait un œil sur son appartement.

Les choses n’ont pas à être compliquées.
Elles le sont ; mais ce n’est pas utile de chercher beaucoup plus loin que ça.
Vous vous compreniez là-dessus.

- Tu ne m’embêtes jamais, allons ! Mais … Mhm … Bon, c’est bien parce que c’est toi ! Je ne peux rien te refuser.

Un pas en avant : il retire ses chaussures dans l’entrée pour se mettre en chaussettes avant de rentrer dans l’appartement.

Être invité par une jolie fille chez elle pour partager quelques bières, beaucoup de monde se seraient rués sur l’occasion ; mais tu es Amadis. Mais là n’était pas la raison de ton hésitation.
Un petit détail que tu n’as pas mentionné est que tu ne bois pas d’habitude d’alcool – pour des raisons personnelles. Ce n’est néanmoins rien de fort, alors … Tu peux bien laisser passer pour cette fois.
Elle s’ouvre si rarement, Jonquille : tu ne voulais pas la brusquer d’un refus, rejeter son approche un brin maladroite. Parce que tu sais que si la situation était inversée, tu aurais pris un refus pour un rejet : et un rejet pour un abandon.
Et tu n’abandonnes personne.
Alors, tu lui souris, franchement.

- Merci ! Il y a du poulet, des pommes de terre, des oignons … Et quelques ingrédients secrets ! Bon, et des épices, mais ce n’est pas compliqué à deviner. Je le fais sans carottes, j’espère que ça ne te posera pas de problème ?

Les ingrédients secrets sont de la pomme et du miel.
Tes sœurs préfèrent sans carottes, mais tu as bien compris qu’il est préférable d’éviter d’aborder le sujet de la famille avec elle.
Il s’installe dans le salon, sur le canapé, laissant à Jonquille le soin d’aller chercher les bières – il ne va pas s’amuser à fouiller son frigo.

- Tu sais … Il faut que tu fasses attention à suffisamment manger. C’est important pour prendre du muscle – et ça serait bête que tu fasses un malaise pendant une session de sport !

Pour avoir grandit sans avoir grand-chose à manger, c’est un sujet qui te tient à cœur ; mais elle est grande, alors tu n’insistes pas plus que ça.

Assis droit sur le canapé, tu attends qu’elle arrive avec les bières, toujours souriant. Tu essayes de faire la discussion, un peu maladroitement.

- Qu’est-ce que tu as acheté de bon ?

Tu essayes de rester dans les sujets légers, doux.