Il semblait à Allani que des siècles séparaient son corps et ces ruines fraîches, qu’elle franchissait d’un pas leste sans cesser de contempler les gravats d’antan.
Pouvait-elle se languir de ce chaos provoqué par ses choix ?

La vertu fut toujours brandie dans son coeur et dans ses valeurs comme l’unique trait de raison qu’elle possédait, l’intelligence ne lui fut pas donné, la générosité n’a jamais été penchée dans son berceau. Allani aurai aimé naître comme granit fin, destiné à être taillé en une de ces merveilles silencieux dont le regard sybillin guidait des générations à écrire sur elle, pour l’oublier sitôt.

Ces femmes aux pieds légers et à la couronne resplendissantes, les bras parfois chargés de ruches d’ivores ou de corne d’une abondance factice, on les rêvait déesse mais elles n’étaient rien de plus qu’un morceau de la chair de notre terre mère qu’on a rendu objet. Mais Allani subissait le poids des choix cette infinité de route dont elle percevait que parfois l’étrange lueur.

Karma faisait partie de ces routes perdues, de ces êtres dont la présence n’est vécue qu’une fois pour être amené à goûter son absence mille fois et accoudée dans l’obscurité de cette maison encore pristine, elle le voyait venir.

Un âge presque gracieux s’était installé sur ses tempes, elle l’avait connu encore presque enfant, les gestes maladroits mais le regard ancien de siècles innombrables mais voilà que ces siècles étaient glacés, lointains.
Elle avait connu la chaleur des Coucou, elle goûtait désormais la froideur des salutations.

-Bonjour Karma Strauss-Carter. Ta présence m’honore.

Le ton était solennel, une façon de juguler tout ce qu’elle pouvait ressentir, toute cette peine qui menaçait de s’écraser au fin fond de ses pensées pour la noyer, pour la jeter contre les rochers d’Arkmere.

-Dame Forbes ne sait pas réellement que je suis ici, je dois en convenir avec toi. Elle sait que je suis dans les ruines de notre maison d’autrefois mais aucune mission n’anime mes pas. Mais je ne peux rien dire à personne, excuse moi.

Au coin de ses yeux, les rides d’oie frappaient leurs ailes, marquaient son visage d’un âge qu’elle n’aimait guère mentionner tant il était inférieur à sa fatigue.

-Je vois, bien heureux soit cette volonté de retrouver sa famille. Ta femme est une créature sage et respectable, tu as fais un bon choix de l’épouser.

Elle essayait de lui sourire mais cela n’était qu’une grimace disgrâcieuse avant qu’elle ne secoua la tête. Ses mains furent coincés dans le creux de ses bras, avant qu’elle lui accorda un long regard.

-Je sais pas. Mon fils va bien, Dame Forbes est déterminée et ne vieillit pas, Alvaro Forbes se tient toujours à ses mains et pieds. On avance, j’imagine, je ne sais pas. Moi ? Je suppose que je vais tant que tout autour de moi va. Enfin..

Elle allait éructer un “tu me connais” mais il lui semblait bien indigne de faire appel à un passé qu’elle avait délaissé pour un futur et un présent toujours omniprésent. Karma la connaissait et elle le connaissait mais le temps et les actions avaient détruit ce pont entre eux. Elle dansait, chavirait sur les pierres flottées sans jamais savoir si Karma l’attendait toujours de l’autre côté de ce pont défait.

-J’entends grand bien sur tes actions Karma, j’espère qu’Omni ou n’importe quel de tes dieux, croyances a su être généreux envers toi. J’aimerai que tu me racontes un jour. Mais pour ne pas te faire attendre.

Sa main dansait un instant dans les airs, une plante riante apparut dans l’ombre soulevant le petit coffret déposé à même le sol. Sans un mot, Allani l’invitait à le prendre. Ainsi pourrait-il partir si sa présence était désagréable.

Même dans la colère , il restait digne. Il restait froid, il promettait son mensonge et son secret à celle qui fut son amie. Elle saignait de l’impureté de son coeur, saignait de savoir qu’elle n’aurai peut être pas pu lui rendre cette faveur.
Les fantômes des photographies du passé ne mentaient qu’avec le plaisir des traîtres, leurs lèvres liés en une moue de la douce nostalgie. Avant Allani se serai précipité à ses côtés, aurait enserré ses bras de sa poigne et elle lui aurai souri comme si sourire suffisait à effacer les abus et les tourments. Mais ces jours sont passés, ces instants sont désormais morts.

Ils ne restent que les fantômes et les mémoires pour tenir compagnie à sa peine.

-Tu en as de la chance.

Car Allani regrettait encore. Elle ne regrettait guère la moralité de ses actes, ayant appris que le bien et le mal n’avaient de sens que pour celui se pensant rigoureux et vertueux. Le ton dur de Karma ne lui avait pas échappé mais Allani ne le relevait pas. Il avait le droit de penser ce qu’il désirait penser d’elle, il n’était qu’un autre dommage collatéral de ses choix infructueux.

Karma Strauss,
si six ans de cela Allani Marquez, ne lui l’avait pas demandé le chemin
Si six ans de cela, il ne lui avait pas répondu
si six ans de cela, elle ne lui avait pas fait rire
si six ans de cela, ils ne s’étaient pas retrouvés à s’apprécier

Aurait-il moins souffert ?

-Mon fils… J’ai cru que je n’avais aucun droit dessus, j’ai été obligée de l’abandonner à sa naissance. Mais maintenant qu’il est là, j’aimerai juste me battre pour qu’il ne devienne pas comme moi. Mais ah- c’est plus compliqué que prévu.

Elle repoussait ses cheveux de son front, pensive, appréciant sans y comprendre la texture.

-Malgré tout, tu sollicites mon bien-être. Non. pour cette raison, je ne mérite pas d’aller mieux. Va Karma Strauss-Carter, tu as toujours été le plus noble de nous deux.

Elle le pensait. Elle le jurait, elle l’affirmait sur les tombes des tombés et sur la mémoire des vivants. Même eloigné d’elle, sa haute opinion de Karma ne diminuait guère, s’avivait par le temps et les souvenirs délaissés d’autrefois. Mais maintenant, cela ne servait guère d’en parler et d’agir sur ceux-çi.

Il appréciait son présent désormais, de son oeil expert, il contemplait les gravures et les ornements de la dague. Saura t’il un jour qu’Allani avait dépêché un forgeron pour nettoyer et préparer cette lame ? Que ces gravures ont été faites en son nom et en son honneur ? Non, car il devait penser qu’elle l’avait eu par le biais du hasard. Il s’y adaptait avec tranquilité, faisant jouer le feu d’un monde dans l’orbite de ses yeux.

Une malice passagère quand il vint à la complimenter sur sa trouvaille. Une tendresse impie quand il comprit que c’était un geste d’une amie. Une moue froncé quand il crut qu’elle avait agit pour ces notions passés.

-Je t’en prie. C’est quelque chose qui me tenait à coeur d’exaucer. Tu as dis la raison de mes agissements mais tu n’as pas besoin de l’entendre pour la confirmer ou l’infirmer.

Elle fit tomber la plante à ses pieds, la laissait s’endormir sous les dalles de la cité.

-Je peux te le raconter. Je l’ai trouvé dans une enchère là où nos pas nous ont menés. Je savais que certaines…personnes avaient un goût pour les armes de Tempelhelm et il a été aisé de les convaincre de m’en céder une. Je n’ai jamais eu le plaisir de l’argent si ce n’est pour me nourrir. La lame n’était pas dans un si bel état, j’ai pris soin de la restaurer. Elle est à toi, en toutes choses.

Ses yeux plissés, et un instant relâché.

-Je te prie de ne pas voir ce présent comme autre chose que cela est. J’aurai en horreur que tu penses que j’essaie d’acheter ton pardon. Si elle te convient alors, cela est plus que je n’espérais.

Et il le savait.

Allani aurait aimé être autre et elle-même pour Karma, pour lui offrir à ses yeux clairs toutes les facettes de l’amitié qu’il méritait de connaître. Elle aurait aimé chuter à l’Understadt avec lui, rire des choses grotesques de leur condition ensemble, fermer les doutes par la simple certitude que ce qu’ils font est juste. Les liens noués sont des cordes sordides, fluides quand l’instant se veut grave et solide quand la légèreté souhaiterait s’installer dans les mœurs. Elle le laissait s’approcher mains allongées le long de sa taille, acquiesce d’un murmure à sa demande, parler plus haut que son souffle lui semblait pesant et cru dans ce lieu solennel, dans ces ruines d’une amitié passée.

-Si l’opportunité se présente, je serai à tes côtés Karma, en qualité qu’alliée. Il n’y a peut-être jamais eu de jugement, mais il y a eu de la colère, de la peine, de la rancœur, je le sais. Je l’ai tant vu sur les visages de ceux que j’aimais, le tien, celui de Graham, mes anciens alliés comme mes anciens ennemis, rien de tout cela n’a jamais fait sens pour eux. Alors pour une fois, accorde moi le droit de dire que j’aimerai faire un choix pour toi. Au nom de notre ancienne amitié et d’un futur plus incertain.

Elle relevait la tête, rejetait ses larmes dans la fierté d’un sang qu’elle se découvrait.

-Je te considère toujours comme ma plus sincère amitié Karma, je n’attends pas de toi ce même terme. Ce poignard est ce que tu as dis qu’il était, une représentation de ce que nous étions avant et la promesse renouvelée de mon désir de t’assister.

Même si ses mains sont liées, même si elle ne sait plus qu’appeler foyer, les années passées lui ont appris qui elle était.

Elle lui sourit à ses mots, elle lui sourit comme elle souriait au vent et au ciel pendant sa jeunesse. Elle lui souriait parce qu’elle voulait lui répondre qu’elle ne méritait pas sa tendresse et il l’avait deviné, il l’avait suspendu de sa sagesse et elle rit. Elle rit comme si elle était amusée mais qu’elle n’était que touchée. Touchée par sa tendresse, par sa grâce, Omni seul savait combien elle avait pu l’apprécier Karma. Mais désormais, il ne restait que la cendre d’un passé et les graines d’un espoir sans trop hâté.

-Tu m’as trop bien cerné, j’allais répondre exactement ça. Mais merci Karma, sincèrement, si un jour je dois partir, je penserai à tes paroles et je te présenterai mon fils. Il me ressemble terriblement, ce n’est pas toujours une bonne chose. Si jamais ton cœur désire autre chose de moi, fais moi signe, tu sais très bien que je déplacerai montagnes et ciel pour te satisfaire.

Il a vu qu’elle avait raffiné cette dague de son amour de la beauté et elle rougit un peu, cachée dans la pénombre.

-J’aurai aimé faire plus de travaux artistiques, la guerre me lasse, que tu en aies fait ton métier me surprend. Mais peut-être te connaisse-je moins que je le pensais ?

Un vœu pouvait être fait, un seul. Et ses lèvres se mouvaient seule, délicatement.

-Merci Karma, mais mon seul vœu égoïste ne peut pas être exaucé par tes actions. Un jour, j’aimerai que tu puisses accueillir mon fils dans l’une des écoles d’Arkmere, il n’a pas l’âge de la guerre. Si un jour tu devenais père, tu comprendras l’horreur de voir sa chair prendre les armes.

Comme si Karma pouvait changer le cœur d’un homme blessé. Comme si Karma pourrait la guider vers la réconciliation vers Graham.