❝ One of your own.

One of your own

Elle n'a la prétention de rien, en dehors de celle de le connaître très bien.
C'est l'avantage que confère quelques mois d'écart et deux décennies - bientôt trois - à se côtoyer.
Le temps aura beau filer, la rupture être consommée et la distance s'allonger, difficile d'échapper à ce qui restera une seconde nature.
Il en résulte la perception accrue de sa présence et l'impression persistante d'y être sans cesse ramenée.
Alors avant même de le voir, elle sait qu'il est là.

Elle se retient de soupirer, d'exprimer la moindre émotion.
Qu'il s'agisse de rancœur, de lassitude ou d'indifférence, elle ne lui laissera aucune prise.
C'est plus facile maintenant, depuis qu'elle a retrouvé son individualité, que ça ne l'avait été il y a deux ans lors de leur retrouvailles désastreuses.
Les actes commis ce jour-là avaient au moins le mérite de marquer la fin définitive d'une époque, celle où elle était convaincue qu'il resterait à jamais tout son monde.

Elle l'admet volontiers aujourd'hui ; elle y croyait fort à sa place de privilégiée. Elle pensait être l'unique, la personne indispensable à sa vie, celle dont il ne pourrait se passer.
Ce n'était pas pour rien qu'elle avait mal vécu son mariage, son besoin maladif de perpétuer la lignée, de s'entourer de tous ceux qu'il jugeait utiles ou prometteurs.
Elle avait été jalouse de ses cadets (au risque qu'il les trouve meilleur qu'elle), d'Urielle (elle aurait voulu être la seule), d'Ishtar (celle qui considère comme son égale), d'Isaac, de Galmor (à tous ses ennemis, ses rivaux qui ont éveillé son intérêt, accaparé son esprit) et même de sa Juniper (la soeur dans laquelle il s'est retrouvé, avec qui il partage une forme de folie).

En revanche, il n'a jamais tenu à elle. Il tenait surtout à ce qu'elle continue de le regarder, à l'avoir à ses côtés, disposant de son existence, se nourrissant de son affection sans bornes et de sa loyauté.
Parce que pour lui, c'est ce qu'est censée être sa sœur ; sa propriété.
Il n'y a pas d'amour en cela.
Elle le sait d'autant plus qu'elle l'a aimé sans mesure aucune.

Mais depuis peu, elle commence à faire la paix avec ça.
Pas avec lui, bien sûr. Jamais. Pas après ce qu'il a fait.
Mais elle sera bientôt prête à accepter qu'elle n'a jamais été sa conscience ou son cœur.
S'il ne possède ni l'un ni l'autre, ce n'est pas à elle de compenser.
Pas plus qu'il n'est sa force ou son souffle.
Ils sont certes le fruit d'un même ventre mais ils sont surtout deux êtres bien distincts.
Quand bien même il y existerait de lui en elle - son influence restant indéniable - le temps de l'emprise est révolu.

Lorsqu'elle l'aperçoit, elle ne dit rien.
Pas parce que c'est lui, mais tout simplement parce qu'elle ne dit plus grand-chose à qui que ce soit, n'en ressent plus le besoin.
Elle ne détecte aucune agressivité chez lui et se doute aussitôt que ça cache quelque chose.
Elle sait qu'il s'est entretenue avec Ishtar, qu'il a débarqué chez Elijah, qu'il fera prochainement la même chose avec Amaya, qu'il veut probablement ramener les siens auprès de lui, surtout par confort, en se persuadant qu'il fait ça pour eux, pour leur nom, pour la famille.

Cassandre compte le laisser faire.
Pas pour lui déclarer la guerre.
Pour prendre ses responsabilités.
Ne plus laisser personne subir le monstre qu'elle a contribué à créer.
A ce frère tant aimé, elle vouera le temps qu'il lui reste.
Et peut-être que dans sa prochaine vie, les Dieux magnanimes, feront d'elle et de Ian, un tout et de meilleurs êtres humains.

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Ian & Cassandre

Mai :: Helios Starke

Il ignorait pourquoi il était là. A marcher le long de ces allées aux allures d’inconnu familier. Un instinct. Une sensation nostalgique. Un air de souvenirs à peine effacé. Jamais réellement disparu. Comment pouvait-il en faire autrement ? Comment pouvez-vous faire autrement ? C’était bien malgré vous. Que vous étiez toujours au même endroit. Toujours les mêmes pensées. Toujours cette même flamme qui vous anime.

Tu te souviens Cassandre ? De ces années passées ensemble. De ces années d’enfance. Où tout était plus simple. Elle l’avait vu, elle l’avait côtoyé, elle l’avait accompagné. Le Ian de l’époque. L’enfant farouche à l’égo démesuré. L’enfant luttant sans cesse pour obtenir un quelconque signe d’intérêt. Luttant sans cesse pour rendre fier leur père, leur famille. L’enfant qui avait bien trop porté. Un fardeau déjà bien lourd pour un adulte. Qu’en était-il pour un enfant ?

Tu te souviens Cassandre ? De ces années passées ensemble ? De cette adolescence. De son regard qui se ferme. De ses lèvres qui ne sourient plus. Où tout était plus compliqué. Elle l’avait compris, elle l’avait choyé, elle l’avait aimé. Le Ian de l’époque. L’adolescent froid devenant de plus en plus Carter. Celui sur lequel reposait l’avenir de leur famille. Celui qui devait être fort pour eux. Celui qui avait arrêté de rêver pour eux.

Tu te souviens Cassandre ? De ces années passées ensemble ? De cet adulte. De ses traits rongés par l’ambition. De son regard où brûle une flamme inextinguible. Où tout n’était plus. Elle l’avait quitté, elle s’était détournée, elle l’avait probablement encore aimé. Le Ian de l’époque. Celui d’hier et d’aujourd’hui. Le Carter qu’il était. Celui qui visait les étoiles, le ciel et plus encore. Celui qui était fort pour lui. Pour être digne d’eux. Celui qui rêvait d’eux.

Il se souvient Cassandre. De tous ces moments. De tous ces instants. Il est incapable de les oublier. Ces années traversées, endurées, succombées. Ces années ensembles. Tout pouvait être simple, dur ou insupportable. Elle avait toujours été là. A ses côtés. Tout comme il avait toujours tout fait. Pour la protéger. Avant qu’elle ne se détourne. Jamais il n’avait levé la main sur elle. Avant qu’elle n’abandonné. Jamais il n’avait baissé le poing.

Au fond. Il ne comprenait toujours pas. Pourquoi elle était partie. Au fond, il lui en voulait toujours. De ne plus être là. Bien trop fier pour l’admettre. Incapable de laisser parler ce qu’il reste de sentiments en lui. N’écoutant plus qu’une jalousie sourde, qui venait à ronger petit à petit tout le reste. Ne laissant que remord et regret.

Il s’était perdu dans ce chemin de la gloire. Où renommé rimait avec désespoir. Il s’était perdu dans ce chemin sans jamais se retourner. Sans un regard en arrière. Bien conscient qu’il était trop tard à présent. Il ne pouvait plus reculer. Il avait bien trop sacrifié. Dis Cassandre, tu le comprends encore ? Tu arrives encore à le comprendre ?

Il l’avait perdu sur cette même route. La voyant s’éloigner. Petit à petit. Elle qui avait toujours été là. Elle qui devait toujours demeurer là. Elle qui jamais n’aurait dû être là. Il le savait. Au fond. Celle qui l’avait toujours obsédé. Avant même Elijah ou Amaya. C’était bien elle. Qu’il n’avait eu de cesse de chercher, retrouver. Pour qu’elle regagne sa place à ses côtés. Celle qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Elle était sienne. Tout comme il avait fait de son rêve le leur.
Elle était là. En face de lui. Il était là. En face d’elle.

Sans un mot. A s’observer simplement. Il n’y avait rien à dire Cassandre. Tout avait déjà été dit. Il n’y avait rien à faire. Tout avait déjà été fait. Il n’y avait rien à tenter. Vous n’aviez jamais essayé.

Pourtant, c’est plus fort que lui. C’est plus fort qu’eux. Ils étaient à nouveau ensemble. Il fallait qu’il parle. Il fallait qu’il comprenne. Il fallait qu’il sache.

Cassandre.

Ce mot raisonne entre eux. Soulève bien trop de souvenirs. Bien trop de mémoires partagées. Bien trop d’époques.

Pourquoi ne pas revenir ?

Direct. Comme à son habitude. Il ne comprenait pas pourquoi elle l’avait quitté pour Juniper. Pas plus qu’il ne comprenait pourquoi elle avait rejoint Ishtar.

Il n’est pas trop tard.

Depuis le premier jour. Il était trop tard. Ils se sont enfermés ensemble. Dès le premier jour. Dès les premiers instants.

Crois-tu que tout aurait été différent, si nous étions venus au monde dans une autre famille ?

Si je n’étais pas Ian Carter. Si tu n’étais pas Cassandre Carter.

A mes yeux. Tu resteras toujours Cassandre Carter. Dans cette vie et dans les autres.

One of your own

Lorsqu'elle se retrouve devant lui, sa première pensée est qu'elle le trouve beau.
Elle trouve cette réaction ridicule et s'en veut pour ça. Elle se serait crue moins sensible à son apparence après tout ce temps.
Mais il est toujours aussi grand et le bleu électrique de ses yeux électrisant.
Dans leur enfance, il n'était pas rare d'entendre qu'ils se ressemblaient, du moins physiquement. En soi, cela relevait de la logique. Après tout, ils partageaient les mêmes gènes et leur écart d'âge pouvait se compter aisément en mois, leur chevelure de neige se confondant parfois. Mais elle n'avait jamais compris ce parallèle, elle qui a toujours été plus menue qu'imposante, elle dont le regard est de sang et dont la constitution - pour une Carter pur sang - est fragile. De plus, il a toujours dégagé une impression de force et de confiance incroyable. Elle, plus volatile, plus nébuleuse, n'a jamais possédé le moindre centième de son charisme naturel. Un jour, à la fois pour la blesser et l'endurcir, leur père avait résumé la chose ainsi : Ian était né génie, Cassandre était née malade. Ce qui ne l'avait jamais pour autant empêché de les mépriser l'un comme l'autre.
D'ailleurs, en le détaillant de plus près, elle remarque aussi qu'il a gagné en dureté et qu'il serait facile de superposer le visage de son géniteur à celui de son frère, sans y voir de différences notables.

Et sa voix résonne, brise le silence et l'instant se fixe alors, immobile et intangible pour eux deux. Il dit "Cassandre" et elle répond :

« Ian. »

Satané effet miroir.

Il poursuit sans attendre, sans s'embarrasser de fioritures.
Il est venu pour quelque chose et parce que les menaces et les coups n'ont pas marché, il le formule par une question.
Quand il demande "pourquoi ne pas revenir ?", elle entend "rentre maintenant".
Il n'en a peut-être pas conscience mais il reste pleinement directif même quand il essaye d'être accommodant.
Les compromis ne sont pas dans sa nature, pas plus que la formule toute simple qui serait de lui avouer qu'il veut qu'elle revienne.

Si elle n'apprécie pas ce que sous-entend sa dernière remarque, Cassandre n'en laisse rien paraître.
Est-ce qu'il pense encore vraiment qu'il peut lui faire croire que son éventuel retour est soumis à une date limite ? Que c'est une offre limitée dans le temps ? Que c'est lui qui possède la main mise sur un choix qui n'appartient qu'à elle ?
Ian est beaucoup de choses mais certainement pas idiot. C'est juste que c'est toujours son égo qui prévaut sur le reste.
Elle décide d'ignorer la réflexion ; elle connaît tous les revers de l'arrogance de son frère.

« Je t'ai cherché. Quand tout s'est effondré et que tout le monde a pensé mourir, j'étais partie pour te retrouver. Mais la ville est tombée avant et je n'ai pas pu te rejoindre. »

Cet aveu lui coûte énormément.
C'est reconnaître qu'à la toute fin, même après tout ce qu'il a pu faire, elle est revenue vers lui.
Ses propos suggèrent qu'il a encore tous les pouvoirs sur son cœur et que son influence perdure.
Mais sa confession, même si elle est aussi honnête que brutale, sert un dessein bien précis.

Elle n'a pas oublié sa question, compte y revenir plus tard.
Elle est d'un calme olympien. Pas froide pour autant, juste placide.
Cette Cassandre là ne lui est pas familière, elle en a conscience.
Si sa décision est déjà prise, elle n'a pas non plus l'intention de lui rendre les choses faciles.

« Es-tu venu pour me traîner de force ? »

Pas de colère, pas de sarcasme, aucune forme de provocation dans cette question, dans le ton qu'elle utilise.
Elle a perdu l'habitude de parler autant et en si peu de temps, sa gorge est sèche.
Autour d'eux, les ruines du quartier de leur enfance.
Cassandre patiente, lève les yeux vers lui et les réminiscences d'un temps passé surgissent alors, où elle attendait après lui, quand il suivait les leçons des précepteurs ou les entraînements militaires de leur père, et qu'elle lui demandait impatiente : "C'est bon, tu as terminé ?"

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Ian & Cassandre

Mai :: Helios Starke

Il y avait une certaine nostalgie dans toute cette rencontre. Dans ces retrouvailles dans ce quartier. Comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Jamais réellement. Depuis combien de temps ne s’étaient-ils pas vus ? Longtemps. Plus que longtemps. Pourtant, en la revoyant devant lui. A cet instant. Il avait l’impression de l’avoir toujours eu dans sa vie. Qu’elle n’en était jamais sortie. Comme une évidence. Comme la plus simple des vérités. Celle dont on ne peut pas nier l’existence. Elle était là Cassandre. Elle avait toujours été là. Elle restera toujours là.

Il l’avait toujours gardé auprès de lui. Les deux ainés Carter. Elle l’avait toujours accompagné partout. Elle, sa sœur. Malgré les réprimandes de son père. Malgré les brimades qu’elle recevait. Il avait toujours été là. Enfant, il l’avait protégé. Elle n’avait pas sa force. Mais c’était grâce à elle qu’il tenait. Qu’il avait tenu durant toutes ces années. Pendant longtemps, il avait subi leur père. Luttant sans cesse contre des attentes de plus en plus lourdes, pour les épaules d’un enfant. Jamais il n’a été félicité. Jamais il n’avait réussi à le rendre fier. Il avait beau se battre, il avait beau arracher les premières places en piétinant ses amis et ses proches de l’époque. Ce n’était jamais suffisait. Ça n’a jamais été suffisant.

Mais malgré toutes les horreurs qu’il avait commises. A l’école et en dehors. Il avait toujours veillé sur elle. En véritable protecteur, personne n’osait lever la main ou s’approcher de cette dernière. Il avait faire taire, il avait écrasé sous son talon, toute personne susceptible de la blesser. Alors qu’il croyait veiller sur elle. En réalité. C’était elle qui veillait sur lui. Lui offrant la force de continuer cette vie.

En la voyant s’éloigner. Il a refusé de comprendre. Il a refusé de l’admettre. S’enfonçant dans un déni toxique. Il lui rejeta la faute. La croyant responsable. La croyant coupable à sa place. Alors qu’il lui avait tout donné. Alors qu’il l’avait toujours gardé à côté de lui. Elle se détournait de cet amour qu’il lui offrait. Sans un mot. Silencieux, mais pourtant bien présent. Elle l’avait trahi à ses yeux. En réalité. Peut-être que Cassandre n’en pouvait plus. N’en pouvait plus de le voir piétiner et détruire. Le voir s’enfoncer davantage dans cette spirale infernale. Sans pouvoir en sortir. Peut-être qu’elle aussi. Elle était à bout. Dans les faits. Vous étiez tous les deux coupables.

Elle l’appelle. Elle le cherche. Il le voit bien. Il le comprend bien. Il l’avait cherché également. Il l’avait tout autant appelé. En vain. L’un comme l’autre. Ils avaient eu le même désir. Sans jamais oser le faire. Sans jamais assumer. Au final. Il ne l’a jamais retrouvé. Tandis qu’elle ne l’a jamais réellement cherché.

Je t’ai cherché lorsque la ville était en ruine. Mais tu avais déjà disparu Cassandre. Pourquoi avoir changé d’idée ?

Il le savait. Au fond. Il l’avait bien compris. Elle n’osait plus. Alors qu’il n’avait plus. Et sa dernière question le confirme.

Ta place a toujours été à mes côtés. Toi et moi on le sait pertinemment. Que tu n’as rien à faire aux côtés d’Ishtar.

Soupir qui s’échappe. En souvenir d’une époque irrattrapable. Qu’ils ne pouvaient plus reconstruire à présent. Ils n’en avaient plus la force. L’avaient-ils jamais eu ? Cette force en eux ? Nous ne le saurons jamais Cassandre.

Laisse-moi te poser une question également. Que comptes-tu trouver ? En voyageant à travers tout le continent ? Des réponses à des questions ? Un nouveau but dans ta vie ? ou est-ce une façon de te laisser mourir ?

Elle avait conscience de ses fautes. Parce qu’elle n’était pas comme lui. Lui qui refusait d’admettre toutes les erreurs commises. Comment pouvait-il en faire autrement ? Il était responsable de bien trop de crimes Cassandre. De bien trop de fautes, pour regretter à présent. Il ne pouvait plus qu’avancer dans cette voix. Il était trop tard pour lui, pour toi, pour vous.

Je n’ai pas grand-chose à t’offrir. Si ce n’est un refuge, comme Ishtar. Un rêve et… Une famille. La tienne.

Mais peut-être qu’elle voudra rêver à nouveau avec lui. Comme avant.

Depuis que tu avais quitté mes côtés.

Plus jamais je n’ai rêvé Cassandre.

J'y suis presque petite soeur. J'ai presque terminé.

One of your own

« Parce-que je pensais que c’était la fin. Pour moi et pour toi. »

Elle est d'une franchise sans équivoque.
Mais elle passera sous silence toutes les implications que ça comporte. Elle ne lui dira pas qu'elle est convaincue qu'il mourra seul (et qu'elle aussi fatalement), qu'il paiera un jour pour la cruauté dont il a fait preuve et qu'il aura beau la camoufler en prétextant avoir fait ça pour les siens, quand vient le tout dernier moment, personne ne désire le passer avec son bourreau.
Si Ian n'est pas le sien - quand bien même sous la colère elle préfère le voir comme ça - il a fait beaucoup de mal autour de lui et bien décidé qu'il est à poursuivre sur sa lancée, ils ne seront pas beaucoup à le pleurer. Il en pense peut-être tout le contraire mais jusqu'ici, indéniablement, il a été un mauvais père et un mauvais frère. Deux rôles qui auraient pu l'absoudre de ses fureurs assassines, s'il ne s'était pas calqué sur le pire modèle existant, c'est-à-dire leur géniteur. Alors elle taira toute cette réflexion afin d'éviter une nouvelle rancœur à ajouter dans la longue liste de leurs récriminations respectives.
Bien sûr, elle ne lui rappellera pas non plus le serment fait il y a longtemps - déclaration et pari à la fois - celui qui disait qu'elle ne laisserait jamais partir seul. Car même si cette promesse sera tenue, Cassandre refuse désormais de le laisser utiliser son amour persistant et de lui offrir l'assurance d'être toujours à ses côtés.

Il précise l'avoir cherché dans la ville dévastée mais elle reste septique. Urielle et Eden sont mortes ce jour là et elle a connaissance du spectacle auquel il s'est adonné avec certains natifs de l'air. S'il a vraiment voulu la retrouver, c'est parce qu'il venait de perdre ses deux derniers soutiens connus. Elle comprend qu'elle devenue incapable de croire les mots qui franchissent ses lèvres. En revanche, elle se souvient très bien de ceux qu'il a hurlé quand il l'a roué de coups, il y a plus de deux ans de cela. Alors de nouveau, elle se fait mutique et l'observe sans ciller.

De prime abord, il lui avait semblé plus dur, plus brut encore qu’auparavant. Elle pouvait le voir sur son visage, dans la tension de ses épaules. Il se tenait toujours aussi droit, autant pour en imposer que parce qu’il a toujours été dans sa nature de regarder les autres de haut, mais sa raideur paraissait désormais emprisonner ses mouvements dans un étau puissant.
Paradoxalement, il s’adressait à elle avec plus de délicatesse. Bien entendu, il restait Ian Carter et dans ses paroles transparaissaient toute sa volonté de la dominer, de la garder sous contrôle. Parce qu’avant de même de se dire qu’elle avait rejoint Ivoryrift parce que c'était ce qu'elle voulait, qu'il s'agissait de sa volonté propre, il ne la considérait que sous le prisme de quelqu’un d’autre. A ses yeux, Cassandre se tenait forcément aux côtés de quelqu’un ; il n’arrivait même à l’envisager comme un être à part entière, pleinement indépendant. Elle ne pouvait que chercher une personne à laquelle se raccrocher car inconsciemment, il avait assimilé que sa sœur n’existait que par et pour les autres.
Il lui fallait bien reconnaître sa responsabilité dans l'image qu'il se faisait d'elle. Elle pouvait le voir nettement le schéma qui devait se dessiner dans sa tête : Ian - Juniper - Isaac - Ishtar. Qui serait le prochain ?
Son sourire fut amer.

« Je ne suis pas une poupée qui passe de main en main. »

C'est à son tour de soupirer. Sans même le faire exprès, il parvient à réduire en miettes son peu de confiance en elle. Éternelle Carter ratée, elle restera.

L'instant d'après, lorsqu'il enchaine avec ses questions ininterrompues, il lui revient en pleine figure une autre vérité désagréable. En effet, si elle peut se vanter de le connaître très bien, l'inverse est également vrai. Il connaît tout de sa propension à se perdre et à sombrer, de cette fragilité émotionnelle qui la rend perméable à tout et à son goût prononcé pour le dramatique "dormir et ne jamais me réveiller" pour solutionner ses problèmes.

« N'oublie pas que mon statut de pauvre fille t'as longtemps servi à mettre en valeur ton génie de premier né. »

C'est la première fois qu'elle s'agace depuis le début de la conversation.
Elle a conscience que sa vulnérabilité l'a pousse invariablement à se jeter dans les bras de n'importe quel être susceptible d'accepter ses déficiences. Cassandre s’écœure assez comme ça, inutile de le lui rappeler.

Pourquoi aurais-je besoin d’un refuge ? Qu’ai-je à craindre ? De quelle famille tu parles ? Il est finalement aussi perspicace qu'obtus en ce qui la concerne.
Elle secoue la tête, son exaspération disparaissant aussi vite qu'elle était apparue. Depuis un certain temps déjà, se mettre en colère lui demandait trop d'effort. La lassitude lui était plus naturelle.

« Tu as proposé la même chose à notre frère et à nos sœurs, pas vrai ? Tu ne réalises pas qu'ils ont chacun leur vie maintenant et leurs propres aspirations ? On ne peut pas leur demander ça, pas après tout ce qui s'est passé et encore moins maintenant. »

Juniper, Amaya et Elijah sont parvenus à prendre leur propre chemin. Contrairement à eux, ils sont allés au-delà de leur sang et de leur héritage vicié. Bientôt, et c'est même déjà le cas pour sa presque jumelle, ils auront leur propre famille et autre chose en tête que d'hisser au sommet une dynastie du feu qui n'a plus lieu d'être.
Cassandre souhaiterait qu'il les laisse tranquilles, qu'il leur épargne un nouveau fardeau, mais elle ne peut pas lui dire haut et fort. Il se braquerait, ferait en sorte de lui démontrer le contraire quitte à les prendre à la gorge, conclurait en la jugeant ingrate, lui qui a fait tout ça pour eux. Mieux valait donc éviter de se tirer une balle dans le pied, d'où l'utilisation du "on" fédérateur. Et puis ce rêve dont il parlait n'avait jamais été le sien ; c'est parce que c'était celui de Ian qu'elle l'avait adopté.

Cassandre s'apprêtait à ajouter quelque quand elle fut prise au dépourvue.
A l'entente de sa dernière remarque, elle fronça les sourcils. Inquiète et intriguée à la fois.
Elle le savait prêt à se consumer lui et tous les autres pour parvenir à réaliser ce qu'il appelait ce fameux rêve. Elle comprenait mieux son empressement à réunir les Carter encore en vie.
Pour Cassandre, ce n'était rien d'autre qu'une énième tentative pour plaire et surpasser un père dont l'insatisfaction chronique et le mépris relevaient de la légende, tellement il avait été implacable avec ses enfants, notamment son aîné, toujours en première ligne.

« Ian, qu'est-ce que tu prépares ? »

La plupart des gens l'ignorait mais lan Carter était né avec un cœur.
Un cœur qui battait à sa manière certes, presque droit, déjà un peu de travers, mais qui était bel et bien là, palpitant et brûlant.
Elle peut en attester, elle qui pendant l'enfance cherchait ses bras en permanence pour poser sa tête contre sa poitrine et lui murmurer des secrets qui n'existaient pas.
C'est sous l'influence néfaste des attentes démesurées d'un père que l'organe chaleureux avait rapetissé et s'était noirci, à grands coups de "si tu ne fais pas mieux fils, tu n'en vaux pas la peine".

Il est souvent facile d'oublier qu'un monstre le devient parce qu'un autre l'a brimé au préalable. Si Cassandre, spectatrice privilégiée à l'époque, s'en souvient encore, elle craint de voir son frère définitivement perdu.

Jawn pour EPICODE

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Ian & Cassandre

Mai :: Helios Starke

Il la dévisage en silence. Elle était toujours la même. Malgré le temps qui passe, malgré le visage qui se raidit et les traits qui se durcissent. Malgré la distance et les promesses brisées. Malgré la violence et les rêves abandonnés. Elle était toujours la même. Toujours Cassandre. A ses yeux. Il ne voyait que la petite fille qui s’était tenu à ses côtés. Qui aurait toujours dû se tenir à ses côtés. Pour y vivre et y mourir. Tout comme lui serait resté à ses côtés. Pour la protéger et la guider.

Un calcul simple à ses yeux, qu’elle avait elle-même réfuté. Tournant le dos à l’évidence même. A l’ordre naturel des choses. Il ne comprenait pas. Il ne pouvait pas comprendre. Il la comprenait. Mais il ne comprenait pas son choix. Il refusait de le voir. De l’accepter. Comment pouvait-il en faire autrement. S’arrêter sur de telles questions. C’était remettre en cause l’équilibre de tout une vie. Tous les choix, toutes les décisions, tous les liens brisés. Il ne pouvait pas tout accepter. Il ne pouvait pas tout porter. Alors il s’enfermait dans ce cercle, piétinant tout ce qui pouvait encore être sauvé. De peur d’avoir à encore soulever ce fardeau sur ses épaules.

Quitte à partir seul. Quitte à mourir seul.

Il n’aurait pas dû partir seul. Il n’aurait pas dû mourir seul.

Cassandre. Elle. Toi. Devait rester. Quoi qu’il arrive.

Le seul. La seule.

Elle avait à présent pris son indépendance. S’envolant loin de lui. L’abandonnant à son sort. Le livrant à ce destin funeste. A cette promesse de solitude certaine. Il s’était emporté contre elle la première fois. Conscient de la mort qu’il allait devoir affronter. Sans personne à ses côtés.

Mais maintenant. Il n’y avait ni colère ni regret. Qu’une profonde lassitude. Qu’il partageait inconsciemment avec elle. Ils se ressemblaient. Plus qu’ils ne pouvaient le voir. Plus qu’ils ne pouvaient l’admettre. Les deux facettes d’une même pièce. Il était soleil, chaud, illuminant tout ce qui traverse sa sphère, guidant ceux qui s’écrasent. Consumant ceux qui s’approchent. Elle était lune. Pâle mais réconfortante. Effacée mais présente. Mélancolique de la lumière qui s’éteint. De cette lueur qui disparait petit à petit.

Mais tu n’es pas venu.

Lui non plus. Elle non plus. Personne. Ils s’étaient recherchés sans se trouver. Ils y avaient pensé sans réfléchir. Instinctivement. Sans avoir la force ou l’envie de mettre en mouvement. L’un dans l’autre. Ils ressentaient encore ce besoin, ce souhait. Au fond, ils ne seraient pas croisés en ce jour si ce n’était pas le cas. Mais la fierté était tenace. Il ne pouvait pas admettre. Elle ne pouvait pas accepter. Ils étaient bien Carter. Qu’ils le veuillent ou non. Ils étaient toujours aussi fidèles à leur sang. A leur origine. A leur famille et à leurs gènes.

Cette évidence ne pouvait pas changer. N’allait pas changer. Les Carter avaient beau fui leur sang, fuir cette malédiction. Elle restait à jamais gravé en eux. Juniper en était le parfait exemple. Toute sa vie durant elle s’était rapprochée d’eux. Jusqu’à rêver d’en devenir l’une. A présent. Elle souhaitait redevenir celle qu’elle était avant. Avant d’être une Carter. Mais maintenant que sa nature profonde est éveillée. Elle ne manquera pas de la consumer. Jusqu’à dévorer amis et proches. Jusqu’à devenir parfaite Carter. Car ce sang est plus fort que les autres il gangrène et corromps les gènes. Il s’immisce tel un parasite dans le sang. Ne laissant qu’une ambition démesurée. Qu’un égo brisé. Que des désirs inachevés.

Alors devient indépendante ? Pourquoi rejoindre Ishtar dans ce cas ? Est-ce là la façon que tu as trouvé de vivre ta vie ? En dépendant à nouveau d’une autre ?

Son regard était plus curieux qu’inquisiteur. La décision de Cassandre n’avait aucun sens à ses yeux. Elle n’était pas mue par un sentiment de fierté ou d’autonomie. Bien au contraire. Il n’y avait ni raison ni logique. Si ce n’est un désir inconscient de dépendre à nouveau d’un autre. Ian, Juniper, Isaac et maintenant Ishtar. Elle n’est pas poupée, elle y est condamnée. Elle s’y condamne seule. Et cette prison, personne d’autre ne pourra l’en sortir. Pas même lui.

Et maintenant ? Je n’ai pas besoin de ça pour mettre en avant mon génie. Ce n’est pas pour moi que je te veux à mes côtés. Je n’ai plus besoin de ça. Mon génie, ma gloire, ma renommée, tout ça. Je l’ai bâti moi-même Cassandre. Pendant que tu mettais en avant Juniper.

Au fond. Il avait besoin d’elle. Même s’il n’en avait pas conscience. Même s’il ne pouvait en avoir conscience. Il avait terriblement besoin d’elle à ses côtés. Non pas pour être légitime. Non pas pour être reconnu. Mais par crainte. Par peur. Que lorsque la mort viendra quérir son due. Il soit seul à l’affronter.

Je ne leur ai pas demandé de sacrifier leur vie pour la famille. Je leur ai simplement offert un autre cadre de vie. Qu’ils viennent avec celle qu’ils ont construites. Je ne suis pas contre. Mais toi Cassandre. Qu’as-tu construit ? Qu’est-ce qui te retiens autant dans les terres sauvages ?

Une question qui avait le mérite d’être posée. Surtout qu’elle compare inconsciemment le cas de tous leurs frères et sœurs. Sans parler du sien. Mais il le voyait bien. Cette vie qu’elle avait choisi de mener. Sans rien bâtir. Sans rien laisser derrière elle. Ils savaient tous les deux. Qu’au bout de ce chemin. Ils connaîtront une fin morose et futiles.

Un royaume. Une promesse. Un avenir pour les Carter. La liberté que chacun d’entre nous recherche. Je veux être celui qui l’apporter à cette famille.

Ses termes étaient vagues. Flous. Et peu précis. Mais pourtant. Il n’avait jamais été aussi sincère. Exprimant sans détour ce qu’il avait en tête. Ce qu’il espérait. Ce qu’il voulait construire et bâtir à son tour.

Une promesse. Probablement sa dernière. Qu’il consacrait non seulement à sa propre personne. Mais également à tous les Carter encore en vie.

Et à tous ceux qui viendront au monde.

Pour que jamais cette famille ne tombe dans l’oubli.

One of your own

C'est étouffant.
Ça lui prend au cœur et ça ne lui laisse aucun répit.
C'est plus qu'une mauvaise habitude ou qu'un conditionnement bien ancré.
De son corps à ses pensées, de ses choix à ses actes, yeux ouverts ou paupières closes, tout n'a de cesse de tourner autour de Ian.
Qu'elle reste ou qu'elle parte, qu'elle vire à gauche ou à droite, qu'elle opte pour le bon ou le mauvais côté, il est l'axe central autour duquel elle gravite.
C'est le serpent qui se mord la queue, l’occurrence de toute une vie.
Son frère est une prison dont elle voudrait qu'on la libère.
Parce qu'elle est incapable de le faire pour elle-même, parce qu'elle n'arrive pas à le laisser, parce qu'elle lui trouvera toujours des circonstances atténuantes, parce qu'il déterminera jusqu'à la fin tous les aspects de sa vie.
Il aura beau avoir les mots les plus durs et les gestes les plus violents, elle lui reviendra.
Il dresse un portrait d'elle misérable et sa première pensée est de se dire que c'est de sa faute.
Quand elle s'estime enfin en mesure d'en finir avec cette emprise, elle est prête à lui céder l'instant d'après.
Et fatalement, plus elle se fait pitié, plus elle se dégoûte, moins elle devient capable de lui tourner le dos.

Cassandre étouffe.
Et ça lui demande un effort incommensurable pour éviter aux larmes de noyer ses yeux.
De rester ferme.

« Tu n'as pas besoin de moi, tu y arrives très bien tout seul. Je ne compte pas plus que ça car tu es un homme bien entouré. Je n'ai rien à t'offrir ou à t'apporter. Mais toi, tu as beaucoup à me donner. J'ai compris l'idée, merci. »

Elle a parlé d'une seule traite et si le ton est resté neutre, le débit est rapide.

« C'est pour me dire ça que tu es là ? Pour me faire savoir que tu coches toutes les cases de l'épanouissement personnel et moi non ? »

Elle le regarde droit dans les yeux.

« Tu as raison, je n'ai rien construit. Je passe mon temps à voyager ou à me battre. Je cherche systématiquement quelqu'un à qui me raccrocher. Je n'ai pas vraiment d'amis et quand je m'attache à quelqu'un, ça doit faire mal sinon je pars en courant. Ah et je suis instable aussi, dépressive et auto-destructrice. Je ne m'aime même pas assez pour faire illusion. Bref, un cas d'école. »

Cela fait longtemps qu'elle n'a pas parlé autant et en si peu de temps. Sa gorge est sèche et sa voix s'éraille à certains mots.

« Sachant qu'on est tous les deux d'accord sur ça, que dirais-tu d'être honnête avec toi-même ? »

Elle s'approche de lui et il a beau être plus grand qu'elle, elle parvient tout de même à le tirer vers elle, l'attrapant par les pans de sa chemise, faisant au mieux pour placer son visage à la même hauteur que le sien.
C'est ce qu'elle faisait enfant pour attirer son attention. A cette époque, il se laissait encore faire.
Une fois adulte, il semblait déplorer ou s'agacer de ce besoin qu'elle avait de le toucher, d'être tactile avec lui. Pour autant, elle ne s'accordait ce genre de familiarité qu'en de rares occasions et lorsqu'elle le sentait plus enclin à la tolérance, soit quand ils étaient seuls et que dissimulés derrière ses grands airs, il se souvenait de l'enfant qu'il avait été (de lui et de leur père, de lui et d'elle, d'eux et du reste).

C'est avec assurance qu'elle poursuit, rubis pour saphir :

« Si tu admets là maintenant que tu veux que je revienne pour toi, j'accepterai de considérer ton offre. »

Il n'a pas tort quand il dit ne pas avoir besoin d'elle pour hisser les Carter au sommet, pour construire le royaume dont il rêve, l'avenir qu'il veut pour les leurs. Il le fait très bien tout seul. En revanche, elle a conscience désormais que Ian (le frère et l'homme) ne saurait être seul. Mais son ego est si démesuré et sa mauvaise foi sans égale qui ne jouera surement pas le jeu. Rien ne l'irrite plus que les effusions de sentiments ; la colère et ses nuances il maîtrise, le reste lui est beaucoup plus pénible. Elle voudrait ajouter un "et mets y du cœur" mais se doute qu'il n'appréciera pas la causticité. Il est trop fier pour mentir. Cependant, elle le sait susceptible de jouer le feu et de ne pas la prendre au sérieux.

Elle relâche sa prise, s'éloigne.
Elle sert aussi ses propres intérêts.
Une décision a été prise avant même qu'ils se revoient.
Des responsabilités à prendre. Un engagement à tenir.
Une vie qui tournera court, un fait qu'elle accepte.

« Je n'ai jamais eu besoin d'un royaume ou d'une couronne. Tu sais ce que je veux. »

Ils peuvent mourir ensemble ou chacun de leur côté. C'est lui qui voit.
Du destin, jusqu'ici subit et qu'elle a combattu avec acharnement, elle fera son allié.

Jawn pour EPICODE

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Ian & Cassandre

Mai :: Helios Starke

C’est fou. A quel point le temps s’échappe. Et à quel point il les emprisonne par la même occasion. Le temps avait passé, ils avaient fait chacun leur deuil. S’étant séparé. Tirant un trait sur tout ce qu’ils avaient construis. Crachant sur tout ce qu’ils avaient bâtis ensemble. Se détournant de toutes ces promesses d’enfant qu’ils avaient ensemble. Oubliant les rêves en commun fait sur le toit du monde. Sur le toit de cette tour Carter. Sur cette tour qui les avait vu naître et grandir. Sur cette tour qui les verra mourir ? Tu penses qu’on sera toujours là. Au sommet du monde. Avant la fin. Toi et moi. A regarder ce soleil majestueux. Ce levé une dernière fois. A faire nos adieux aux étoiles qui s’effacent. Tu penses qu’avant la fin. On le fera à nouveau ensemble. Toutes ces choses de nouveau. Toutes ces choses qui reviennent. Cette vie qui reboucle une nouvelle fois. Cette vie qui défile une dernière fois. Cette vie qui repasse encore une fois.

Mais les voilà à nouveau en face. L’un de l’autre. Comme au premier jour. A se rappeler de chaque instants. Plus la douleur monte. Plus leur regard se croise. Incapable de détourner une fois de plus les yeux. Tu as remarqué Cassandre ? Qu’il n’a jamais détourné le regard ? A chaque rencontre. Il ne t’a jamais quitté des yeux. Tu as remarqué Cassandre ? Lors de tes adieux. Il avait les yeux fixés sur ton dos. Lors de vos retrouvailles. Il avait les yeux fixés vers toi, à chaque fois que son poing s’abattait. Son regard était sur toi. Et là encore. Encore une fois. Ses pupilles plongeaient dans les tiennes. Il était incapable de l’admettre. Incapable de le comprendre. Mais inconsciemment. Son regard était toujours sur elle. Comme s’il cherchait celle qui avait toujours été là. Celle qu’ils s’était toujours tenu à ses côtés. Celle qui comme lui.

N’avait jamais détourné les yeux.

Ils détournent tous les yeux du patriarche. Ses frères et sœurs. Les personnes qu’il pensait proche. Ils finissent tous par rompre ce contact. Incapable de supporter l’éclat d’azur de ses pupilles. Incapable de sonder l’âme profonde de cet homme. Incapable d’observer l’abysse qui se terre au fond de son corps. Incapable de percer ce qu’il reste, au travers de cet enfant brisé. Juniper, Urielle, Eden, Elijah, Amaya, Roy, Mason, Alice, Ishtar, Isaac, Delilah, Graham et tant d’autres. Ils avaient tous détourné le regard du patriarche.

Mais pas toi.

Toi Cassandre. Tu avais toujours soutenu ce regard. Plantant ton éclat rubis dans le sien. Elle avait toujours été là. A plonger ses yeux sur celui de l’homme, du garçon, de l’enfant. Elle les avait tous regardé. Elle les avait tous observé, elle les avait tous suivi des yeux. Sans jamais cligner des yeux. Elle s’était tenu à distance. A le regarder sans sourciller. Elle était la seule à l’avoir fait depuis le départ. A lui offrir cette terrible affection qui le ronge. Ce désir lancinant que l’enfant a toujours recherché dans le regard des autres. Dans cette chose qui l’échappe. Dans ce regard qu’ils s’échappe.

Au fond. Elle était la seule à lui en avoir offert. Elle était la seule à l’avoir fait.

Elle n’était plus la seule à présent à s’être détournée de lui. Il devait bien l’admettre. La demeure des Carter était bien vide à présent. Pourtant, jamais il n’avait éprouvé autant de colère qu’au départ de Cassandre. Plus jamais il n’avait levé la main sur eux. Plus jamais il ne s’était senti autant abandonné qu’avec son départ.

Parce qu’elle était la seule. La seule sur cette terre.

A l’avoir toujours regardé.

Tu sais bien qu’on se moque de ce que les autres peuvent nous apporter. Ce n’est pas ça ce qui compte Cassandre ! Ouvre les yeux. Tout ce dont on a besoin. Ce n’est ni de ce monde, ni de ses habitants. Tout ce dont on a besoin. C’est cette famille.

La seule chose qu’il leur reste. La seule chose qu’ils ont construites. Ensemble. La seule chose qu’ils aient réellement accomplies. L’un comme l’autre.

Et pourtant. C’est à mes côtés que tu es resté le plus longtemps. A mes côtés que tu n’as jamais cherché à te détruire ou à te bercer d’illusions. Pas aux côtés de Juniper. Pas plus que tu ne tiendras aux côtés d’Ishtar. Quelque chose dont tu as conscience au fond. J’en suis sûr.

Il était la réponse à ses questions. Elle était la question à ses réponses. L’un comme l’autre. Alors que leur orgueil demeurait sourd à cette évidence. Alors que leur fierté parvenait à aveugler le peu de raison qu’il restait en eux.

Elle l’attrape et il se laisse faire. Le regard toujours posé sur elle. Son éclat d’azur croise son regard de braise. L’un dans l’autre. Il reste ainsi. Immobile. Tandis qu’elle lui pose ses conditions. De simples conditions. Qu’un homme pouvait admettre sans effort. Sans sourciller. Que n’importe qui aurait accepté. Tellement cette condition semble risible.

Mais il n’était pas comme les autres.

Elle n’était pas comme les autres.

Dans le cas contraire, ils ne seraient pas en train de s’attirer autant l’un vers l’autre. Elle le sait. Il le sait. Mais ils ne peuvent l’admettre.

Tu as besoin de moi maintenant. Plus que jamais. Tu le sais.

Je le sais. Mais les mots restent en travers de la gorge. Autant que son besoin à lui. Incapable de prononcer ces simples paroles. Incapable d’en dire plus. Incapable de trouver les mots justes. Il n’avait jamais su trouver les mots justes avec elle. Il n’était capable que de démontrer tout ce qu’il ressentait. Que ce soit avec violence ou ferveur. Mais jamais dans la simplicité. Jamais dans le calme. Autant de chose qui leur sont étrangères.

Tout aurait pu être si simple. S’il n’était pas Ian Carter. Et si elle n’était pas Cassandre Carter. Peut-être que dans une autre vie. Tout sera plus simple.

La regarde s’éloigner. Le regard toujours braqué sur elle. Sans sourciller. Sans la quitter des yeux. Rien qu’elle. Il ne voyait rien qu’elle. Encore et toujours. Sans même en avoir conscience. Il n’y avait qu’elle.

Il n’y aura qu’elle.

Je ne t’offre pas un royaume. Je t’offre la liberté que tu désires tant.

Je t’offre moi. Tout ce dont tu as besoin. La SEULE chose dont tu as besoin.

De nouveaux mots qui se perdent dans le silence.

One of your own

Il parle de famille et elle a envie de fuir en courant. Pour elle, quand il prononce ce mot, quand il le brandit en drapeau, il ne lui vient à l'esprit que des qualificatifs comme dysfonctionnel ou brisé.
Lui, il y place tous ses espoirs et son énergie. Son idéalisation aveugle lui pèse lourdement sur le cœur, d'autant plus qu'elle sait au fond que ça ne le rend pas heureux. Il s'agit juste du seul chemin qu'il connaît, le seul qu'il est disposé à suivre. Il ne rattrapera jamais l'ombre qu'il poursuit ainsi et elle, elle restera pour toujours incapable de s'en défaire.

La manière dont il la regarde a quelque chose de désespéré. Elle ignore s'il s'en rend compte, s'il parvient à percevoir derrière son insistance ce drôle d'accablement.
Ian a t-il assez de recul sur lui-même pour réaliser combien il a sombré ? Il en tout cas très doué pour feindre de ne pas voir et continuer à vivre avec.
Cécité volontaire.

Ça n'a pas forcément à être les Carter contre le reste du monde, tu sais ?

Elle voudrait lui crier ce qu'elle pense de tout ça mais elle commence à en avoir assez de parler.

Bien évidemment, il est incapable d’accéder à sa requête aussi simple soit elle.
Il ne lui dira pas les mots qu'elle souhaiterait entendre, n'aura aucun geste tendre envers elle.
Il ne se fera même pas violence, ne prendra pas la peine d'essayer.
Il dit qu'elle a besoin de lui, jamais qu'il a besoin d'elle.

Et Cassandre reste cassée.

« Je ne quitterai pas les Ivoryrift. »

Ça n'a rien à voir avec Ishtar ou avec une quelconque loyauté. Mais qu'elle le dise à haute voix ou non, il n'entendra que ce qu'il veut.

« Il n'y a aucune liberté dans ce que tu me proposes. »

Elle regarde autour d'elle.
Malgré la reconstruction - la rutilante Tour Prime - les ruines restent des ruines.

« Tes enfants sont à Greygarde, Amaya est mariée et vit à Arkmere, Juniper a son propre royaume, sa propre famille et Elijah est très bien où il est, avec la personne qu'il aime. Toi, tu es légat et tu passes ton temps à Faestor a faire la cour à un petit roi. Je ne comprends pas, tu voudrais que je garde la maison en ton absence ? »

Elle pourrait le faire.
Occuper tout un étage de la Tour, attendre son retour le soir, grappiller des moments avec lui, attendre vainement le retour du reste de leur fratrie tout en priant pour que jamais ils ne les rejoignent dans leur folie, se nourrir de solitude, vieillir précocement, le laisser reproduire le même schéma avec ses neveux, faire semblant de ne pas le voir, adhérer à ses projets, participer à ses plans, attendre encore après un mot, un geste, renoncer à construire quelque chose qui lui appartiendrait, à rencontrer quelqu'un, perdre chaque jour en substance mais rester près de lui, être son ombre, son bras droit, jouer les rôles qu'il voudra, puis le suivre dans la mort qu'il aura choisi pour eux deux.
Elle pourrait le faire.
C'est aussi triste que pitoyable.
Ce sont les restes de la Cassandre qui n'aura de cesse d'attendre.

« Tu es incapable de me donner ce que j'attends de toi. Ce n'est peut-être pas plus mal. »

Si c'était le cas, elle lui aurait été de nouveau acquise.
Toute entière vouée à Ian.

« J'ai toujours voulu qu'on soit tous les deux. J'en ai jamais rien eu a foutre de notre nom. »

Elle ne s'agace même pas.
Elle ne craint plus sa colère.
Elle ne ressent plus de honte à admettre combien il compte.

« Je dois partir en mission demain et je ne reviendrai que dans deux semaines alors si tu veux de moi quelque chose de concret, demande maintenant. »

Initialement, elle s'apprêtait à rejoindre le dernier appartement qu'elle louait pour préparer ses affaires et profiter d'un lit digne de ce nom ainsi que d'une douche avec eau chaude.

Alors qu'il parle maintenant ou qu'il se taise à jamais.

Jawn pour EPICODE

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Ian & Cassandre

Mai :: Helios Starke

Discours de sourd qu’ils tenaient l’un avec l’autre. Ils avaient beau parler. Ils avaient beau s’écouter. Ils avaient beau s’entendre. Il n’y avait pourtant aucun échange. Que des paroles vides de sens, si ce n’est pour celui qui les prononce. Ils étaient arrivés à ce stade, où ils avaient beau se comprendre. Ils étaient incapables de le reconnaître. De l’admettre. Bien pire de l’assumer. Elle demeurait sourde à son appel. Il restait aveugle face à sa détresse. Elle entendait sa voix mais une part d’elle ne le tolérait pas. Il voyait toutes ses peines, les pupilles braquées sur elle. Mais il était incapable de le prendre en compte.

L’un comme l’autre. Ils étaient maudits. Maudit par le monde, par les dieux, par qui que ce soit. Maudit à se chercher sans arrêt. Pour mieux se retrouver. Tout en étant incapable de demeurer ensemble. Maudit pour être piégé dans cette boucle. De laquelle aucun ne sortira vainqueur. Il n’y avait plus rien à gagner Cassandre. Dans ce domaine. Ils avaient déjà tous perdus.

Il n’y avait plus d’attende, plus d’envie, plus rien à espérer. Si ce n’est qu’un jour, la mort vienne les délivrer. Pour les sauver, enfin, de cette tragédie qu’ils sont obligés de vivre encore et toujours, chaque année d’avantages. Pour que jamais leurs blessures n’aient l’occasion de se refermer. Ne faisant qu’empirer au fil du temps. Pour que lorsque leur regard se croise, elles servent de rappel. Qu’une éternité ne saura les en délivrer.

C’est donc ça. Ta réponse. Ton choix. Me tourner le dos définitivement ? C’est donc là réellement, tout ce que tu désires Cassandre ?

Là encore, il n’y avait toujours pas de colère dans sa voix. Ni de haine. Il ne restait plus rien. Qu’une profonde amertume. Teinté peut-être de regret. Face à ce gouffre. Face à ce vide. Qu’il percevait dans son regard. Il s’était retrouvé seul. Pour la première fois de sa vie. Il était seul.

Tu cherches si ardemment à mettre fin à ces liens que te retiennent à nous. A moi. Soit.

Il n’avait pas abandonné pour autant. Ce n’était qu’un constat. Qu’une simple prise de conscience de sa part. Qu’une réalité qu’il avait du mal à accepter. Encore moins à tolérer. Surtout venant d’elle. Et pourtant, plus il croisait son regard. Plus il devait se rendre à l’évidence.

Ils reviendront. Tous autant qu’ils sont. Tu n’es pas la seule enchaînée à ce fardeau. A ce sang qu’on partage. Nous ne sommes pas les seuls. Et lorsqu’ils verront ce que j’ai à leur offrir dans cette ville du renouveau. Ils reviendront. Tous autant qu’ils sont. Je pensais que toi aussi, tu aurais fait de même.

Ce qui était le plus frustrant, ce n’était pas cette prise de conscience tardive. C’était l’erreur qu’il a commise. En faisant confiance à celle qui aurait dû toujours se tenir à ses côtés. En lui faisant confiance à elle. La seule qui n’aurait jamais pu trahir ses pensées. Ce simple fait, provoquait en lui bien plus de frustration que cette révélation en elle-même.

Il n’y avait donc plus rien à sauver ?

Y avait-il seulement eu un jour dans leur vie quelque chose à sauver ?

D’aucun pourrait croire que oui, d’autres y verraient une cause perdue d’avance. Mais lui ? Mais elle ? Que voyaient-ils ?

Au-delà du regret et des déceptions. Au-delà des remords et des perditions ? Que leur restaient-ils donc ?

Que voudrais-tu de plus ? Que ce que je t’offre là. Ici et maintenant. Dans un avenir proche ? Le monde ne te suffit pas ? La gloire ? la richesse ? la renommée ? La promesse de vivre éternellement à nos côtés ?

Il haussa la voix, non pas pour céder à la colère, comme la dernière fois, mais pour s’abandonner à cette incompréhension qui n’arrête pas de ronger son esprit. Incrédule, il ne comprend pas les émotions qui l’envahissent depuis le début de leur discussion. Alors petit garçon parle fort pour se défendre. Hurle à la face du monde cette injustice. Cette destinée qu’il n’a pas méritée.

Qu’est-ce que tu veux de plus Cassandre ? Qu’est-ce que tu attends de moi ? REPONDS ? DIS-MOI CE QUE TU ATTENDS DE MOI ? Je t’ai tout donné. J’ai toujours veillé à ce que tu ne manques de rien. A ce que rien ne t’arrive. A ce que personne n’ose même avoir l’idée de s’en prendre à toi.

Il s’enflamme. Au niveau des émotions. Il s’enflamme. Laissant échapper toute cette incompréhension sourde qui gronde en lui. Toute cette injustice qui l’anime depuis des années, qui n’a eu de cesse de le hanter depuis toutes ces années.

Tu veux rester ? Tu voulais rester avec moi ? Alors que c’est toi qui es partis ? Tu t’entends Cassandre ? Tu me reproches ce que tu as toi-même choisi. C’est toi qui t’es détournée, c’est toi, qui seule, à prise cette décision. Jamais. Jamais au grand jamais. Je n’ai cherché à t’éloigner loin de moi.

Il ne restait plus rien ?

Ce que je veux. Ce que j’ai toujours voulu. C’est que tu regagnes ta place.

Celle que tu n'aurais jamais dû quitter. Abandonner.

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