La route qui menait au succès s’avérait être un chemin périlleux et Vadim avait toujours été convaincu que tout le monde n’était pas destiné à la grandeur, au pouvoir.

Que ce soit en raison d’un orgueil incontrôlé, d’une sensibilité exacerbée à la flatterie ou bien d’une inaptitude à contrôler les catastrophes de sa vie, l’Homme avait tendance à s’oublier et faire preuve de vulgarité, de stupidité.
Vadim ne savait pas exactement dans quelle catégorie ranger ceux qu’il avait convoqués, personnellement, en ce jour.
Mais le chuchoteur n’avait pas maintenu à flot le plus gros groupe d’agroalimentaire d’Arkmere après la mort de sa fondatrice et directrice générale en faisant preuve de flegme et de compassion.
Il en serait de même pour Covent.

Vadim avait volontairement débordé sur les horaires, avait simulé un retard pour entretenir l’appréhension chez Meliodas Sherwood et Cesar Campbell-Sherwood.
Mais peut-être que l’un serait plus sensible que l’autre à la subtilité de cette manœuvre.

Après plusieurs dizaines de minutes d’attente, la réceptionniste avait finalement invité l’acteur et son agent à rejoindre Vadim en haut de la tour faisant office de siège du groupe Cooper et accueillant dorénavant les bureaux de la société Covent.

La pièce dans laquelle ils avaient été accueillis faisait plus office de penthouse que de simple bureau administratif, quand bien même un large meuble de bureau de marbre blanc trônait au milieu de celle-ci.
D’ailleurs l’ensemble du mobilier était de cette même texture, d’un blanc immaculé.
La présence de quelques plantes apportait un peu de vie à l’espace mais donnait malgré tout l’impression d’une décoration ayant été commandée dans n’importe quel catalogue, ne dégageant aucune chaleur.
Aucune personnalité.

À la vue de ses invités, les salutations du chuchoteur s’accompagnent d’un mouvement ample de ses bras afin de capter l’espace, ainsi qu’une voix forte et enjouée.

Meliodas Sherwood et Cesar Campbell ! Quel plaisir de vous voir ! Pardonnez mon retard, j’ai été pris par mes préparatifs en vue de notre entretien. Vous savez bien pourquoi vous êtes ici, n’est-ce pas ? Approchez, approchez !

Dit-il en concluant d’un rire sonore mais évasif.

Vadim n’avait fait montre d’aucune hospitalité particulière et pour cause, il n’avait proposé aucun rafraîchissement malgré la chaleur de la journée.
N’avait, par ailleurs, pas invité les jeunes hommes à s’asseoir.
Une fois Meliodas à une distance raisonnable de lui, il plante son regard dans le sien et le toise pendant quelques secondes avant de détendre son visage dans une mine ravie.

Vous avez fière allure, Monsieur Sherwood. On peut voir que vous prenez votre carrière très au sérieux. Vous devez remplir de fierté votre agent, j’en suis sûr. En plus de remplir ses poches. Haha.

Le chuchoteur recule ensuite d’un pas afin de s’asseoir contre son bureau, se saisit d’une télécommande et en une pression de bouton, fit descendre devant la baie vitrée un écran de télévision.
D’une nouvelle pression sur la télécommande, l’écran s’allume et commence la diffusion d’une vidéo qui se suffisait à elle-même.
L’on pouvait y voir Meliodas dans diverses séquences, passées en boucle, dans lesquelles il allait de la danse évocatrice et peu vêtue à la consommation de drogue douce, bien contraire aux mœurs d’Arkmere.
Le directeur se garderait bien d'évoquer la manière dont il avait obtenu ces images, quand bien même la collaboration du chuchoteur de l'information n'était pas à proscrire.

Vadim dépose la télécommande sur la surface de son bureau, sans ajouter quoi que ce soit, et reprend la parole sans pour autant cesser la diffusion des séquences qui s’enchaînaient derrière lui.

Où sont passées mes manières ? Peut-être souhaiteriez-vous quelque chose à boire, Messieurs ?

Les yeux plissés, un sourire candide gravé sur le faciès autrement inexpressif.

Le regard de Vadim s’était durci par un agacement palpable lorsque le bruit de grincement provoqué par la chaise tirée par Cesar Campbell-Sherwood envahi la salle.
Ce dernier avait pris place sur le siège en question pour ensuite croiser ses jambes et lui répondre avec un panache qui frôlait autant l’impertinence que l’impolitesse.

Puisqu'il pensait être en mesure de pouvoir entrer de sa propre initiative dans le vif du sujet, Vadim s’empressa de répondre à son attitude froidement.

Vous n’avez pas été invité à prendre un siège, Cesar Campbell-Sherwood. Si vous avez encore une once de volonté à continuer d’exercer votre métier sur ce territoire, vous aurez vite fait de lever vos fesses - que je paye vraisemblablement trop cher à la vue des images sur cet écran - de mon siège.

Ce dernier étant son agent, il n’était pas irrationnel d’imaginer qu’il touchait un pourcentage sur le contrat signé par Meliodas vis-à-vis de la marque Covent et par conséquent qu’il tirait, lui aussi, son argent des caisses de Vadim.

Vadim abat ensuite brutalement son regard sur Meliodas.
Revêt de nouveau un sourire doucereux.

Une eau gazeuse. Entendu.

Pourtant, le directeur n’avait pas effectué le moindre mouvement pour contacter sa secrétaire et faire venir leurs rafraîchissements.

Après avoir laissé planer un silence gênant, le temps qu’ils puissent chacun s’imprégner des images qu’il présentait devant eux, il reprend avec fermeté.

Puisqu’aucun d’entre vous ne semble enclin à me fournir des explications sur les images consternantes que l’on m’a transmises, je serais celui qui s’occupera du jeu des questions-réponses. Même quelqu’un dans votre état de dépravation devrait être capable de comprendre le fonctionnement de ce dernier, Monsieur Sherwood.

Vadim joint ses mains entre ses jambes, toise du regard à rythme régulier l’agent puis l’acteur.

J’ai pris contact avec vous pour faire office de figure artistique de la marque Covent non pas pour vos “talents” d’acting mais bien parce que votre précédent lieu d’habitation, Tempelhelm, est regardé par la population d’Arkmere comme un endroit saint peuplé d’Elu d’Omni lui-même. C’est ce qu’en disent les légendes, en tout cas. Vous savez qu’une marque en pleine expansion comme Covent reste fragile quand bien même cette dernière affiche des résultats satisfaisants. Savez-vous ce qu’un scandale lié à une personnalité comme la vôtre pourrait coûter à la marque ? C’est qu’il pourrait me coûter à moi ?

D’autant plus que Vadim luttait bec et ongles pour s’implanter dans les terres de Greygarde.

Déjà qu’une marque affichant comme figure publicitaire un Arkmerien originaire de Tempelhelm ne risquait pas d’attirer leurs faveurs, que ce dernier s’affiche comme étant pareil clown face à cette nation militaire n’était pas seulement un risque pour l’image de marque de sa société.
Cela donnait en plus à Vadim une image de faiblard, incapable de tenir en laisse ses partenaires commerciaux.
Quelque chose qu’il ne pouvait pas s’autoriser au vu de l’intransigeance qu’exultait la nation de la gargouille.

Avez-vous une idée de combien me coûtent les frais de campagne publicitaire, le merchandising et le déficit promotionnel ? Pour cette question, je vais vous donner un ordre d’idée. Cela me coûte 100 fois plus de temps et d’argent que ce dont j’aurais besoin pour faire de vos deux vies un enfer.

Cette fois-ci, son regard se plante sur l’agent de Meliodas, Cesar.
Que Meliodas soit suffisamment dépravé pour agir comme un parfait imbécile était une chose, que son agent ayant l’audace de prendre un siège sans y être invité soit trop candide pour le faire surveiller en était une autre.

Vous m’avez demandé ce que je voulais, n’est-ce pas ? Je voudrais entendre de votre bouche une bonne raison de ne pas vous imposer une fin de carrière tellement brutale et définitive que votre dernière opportunité de reconversion sera d’aller danser nu une bonne fois pour toutes dans une campagne Greygardienne.

Vadim s’était montré patient, silencieux, avait autorisé à Cesar un plaidoyer qu’il avait su agrémenter d’une certaine considération pour les ambitions personnelles du directeur.

La proposition de l’agent était la suivante : inciter son ami d’enfance Lazare Buchanan, le maître des mots siégeant au conseil écarlate de Greygarde, à évoquer en bien l’idée d’une collaboration avec la société Covent.
Cette proposition n’avait rien de stupide et prouvait, s’il disait vrai, que Cesar Campbell-Sherwood possédait une certaine forme d’influence en Hakar.
Son nom avait pourtant rarement figuré parmi les acteurs importants de Tempelhelm, à la différence d’Ishtar Forbes ou de Ian Carter.
Cesar Campbell était-il le genre d’homme à dissimuler des compétences dans la négociation ?

Toutefois, l’offre qu’il lui faisait n’éveillait pas son intérêt outre mesure.

Meliodas jouissait lui aussi de son droit de parole mais s’avérait bien moins convaincant que pouvait l’être son agent, ce qui justifiait certainement la hiérarchie parasitaire entre eux.
L’acteur parle de se repentir et Vadim esquisse un sourire amusé au coin des lèvres.
Avait-il jusqu’à présent donné l’image d’un homme pieux, outré par l’attitude dépravée de celui que l’on pouvait observer sur les images ?
Il n’attendait de lui aucune forme de rédemption.
Mais une sécurité.

Lorsque chacun eut droit à la parole, Vadim frappe dans ses mains tout en arborant une mine ravie.

Lazare Buchanan, plaire en Greygarde ou Dawndale et conquérir tout Hakar ? Rien que ça ? Messieurs, si j’avais su que vous renfermiez pareil trésor, j’aurais effectivement fait monter un café et une eau gazeuse à votre intention.

Vadim s’écarte de son bureau pour se planter devant Cesar.

Votre proposition est intéressante mais manque de pertinence. Je ne vous en tiens pas rigueur, il est improbable de demander à quelqu’un étant arrivé il y a de cela seulement deux ans sur notre continent de comprendre avec exactitude la géopolitique de Hakar. Pour faire simple, votre ami Lazare Buchanan est le maître des mots du conseil écarlate. Il aurait fallu me proposer une entrée avec le maître des pièces. Je doute que Lazare Buchanan soit en capacité de se montrer suffisamment convaincant auprès de la famille royale pour appuyer l’éventualité d’une collaboration avec ma marque, parce que cette affaire ne figure tout simplement pas dans ses prérogatives. La Maison Harcourt est connue pour se montrer méfiante envers les étrangers, la princesse Mordred Harcourt en particulier, et qu’un Tempeleur vienne “souffler quelques mots” au sujet d’un partenariat dans un domaine en dehors de sa zone d’expertise éveillerait au mieux encore plus de méfiance chez la famille royale, au pire provoquerait la mort de votre ami pour tentative de corruption. Le peuple Greygardien est fort et fier, il se range derrière la couronne et si l’on souhaite obtenir quelque chose d’eux, il est nécessaire de se montrer aussi fort et fier qu’eux en demandant audience auprès de la couronne directement. Cela pourrait vous être utile, à l’avenir.

Il se saisit ensuite de la cravate de son interlocuteur avec laquelle il joue entre ses doigts.

J’entends, néanmoins, votre volonté de mettre vos relations au service de mes ambitions. L’angle est intéressant et prouve au moins une chose : vous n’êtes pas l’imbécile que j’imaginais. Je n’ai pas besoin de votre aide pour m’implanter en Greygarde. En revanche, je pourrais vous trouver une autre utilité.

Relâche sa cravate puis s’écarte de lui pour retourner s’asseoir sur son bureau.

Vadim attrape un objet de forme sphérique, exposé sur son bureau, et le fait jongler entre ses mains.
Son regard s’abat sur Meliodas.

Vous n’êtes pas le plus intelligent de cette pièce, Monsieur Sherwood, mais ce n’est pas ce que je vous demande. Je veux des garantis, Monsieur Sherwood. Pas que vous sortirez de votre spirale autodestructrice, non, non, je me fiche de votre repenti ou de vos états d’âme. Je veux la garantie que vous irez vous laisser mourir dans un caniveau en silence plutôt qu’en place publique en immolant, au passage, mon image de marque.

Hausse les épaules et marque une courte pause, le temps d’une réflexion, avant de reprendre.

Nous allons renégocier le contrat, voulez-vous ? Premièrement, nous nous chargerons de réévaluer votre rémunération à la baisse. Deuxièmement, vous changerez de résidence pour intégrer l’un de mes immeubles. C’est valable pour vous deux. Bien entendu, vous y serez sous surveillance radio et vidéo en permanence. Je ne peux pas vous permettre de profiter de quelconque intimité, au vu de ce que vous seriez capable d’en faire. Vous profiterez de certaines autorisations de sortie, pour vaquer à vos occupations, mais ces dernières seront encadrées selon mon bon vouloir. Cela fera de vous, Monsieur Sherwood, un ambassadeur à temps plein de la marque Covent. Le contrat prendra effet pendant une durée d’un an à compter de sa signature. La clause de confidentialité, quant à elle, s’étendra sur une durée de dix ans. Ensuite, vous serez libre.

Vadim ne dissimulait pas son intention de vider Meliodas de toute sa substance au cours de cette année.

Lance la sphère en direction de Cesar, doucement, pour qu’elle atterrisse entre ses mains.

À partir d’aujourd’hui vous resterez affilié à Monsieur Sherwood aux fonctions que vous occupiez déjà, mais vous travaillez pour moi.

La présence d’un Tempeleur dans ses équipes pourrait lui ouvrir de nouvelles opportunités.

La nouvelle faisait son effet sur les deux collaborateurs et Vadim considère d’une œillade brève leur réaction.
En ce qui concerne le discours tenu par Cesar, Vadim n’y accorde que peu d’importance.
Le Chuchoteur n’était pas en charge de l’administratif et il accordait toute confiance à sa ribambelle d’avocats pour s’assurer que la cage prenne autant forme entre les lignes du contrat qu’entre les murs de leur nouvelle habitation.
Et s’il arrivait par malheur que l’un de ses deux nouveaux collaborateurs s’en viennent à chercher un vice de procédure, il suffirait de s’accorder avec le Chuchoteur de la justice pour refermer le piège une nouvelle fois.
Vadm avait pour habitude de ne dévoiler ses intentions que lorsqu’il s’était assuré la victoire.
En l'occurrence, à leur arrivée dans le bureau.

L’éclat de Meliodas, quant à lui, provoque chez le président un rire plein de douceur, amusé.
Ce dernier semblait posséder la capacité de témoigner de son refus de se plier à ses conditions tout en s’y résignant en l’espace de quelques secondes.
Donne même l’impression, au final, de ne pas y avoir été forcé.
S’il y a bien quelque chose qu’il ne pouvait pas enlever à Meliodas, c’était son talent d’acteur.
Il en fallait, pour se convaincre soi-même d’avoir été autre chose que l’architecte de sa propre chute.

L’air de rien, il reprit la parole.

Je suis ravi de votre coopération, Melias Sherwood. Soyez assuré que vos services seront appréciés à leur juste valeur par moi et mes équipes.

Pourtant, la faute faite à son prénom n’avait rien d’un hasard.
Une moquerie.

Penche sa tête sur le côté alors qu’il adresse à Cesar un regard un peu moins complaisant.

Ne vous inquiétez pas, Monsieur Campbell. Vous serez mis rapidement en relation avec les services concernés. En ce qui concerne votre présence, j’ai bien peur que vous soyez effectivement contraints de rester à Ashever. Pas d’inquiétude pour vos affaires, nous avons déjà commencé à charger vos effets personnels dans des véhicules en direction de la capitale. Ils se chargeront également de la mise en place de ces derniers. À vrai dire, cette opération a commencé au moment où vous êtes arrivés dans cet immeuble.  

Hausse les épaules et laisse ses mains frapper ses cuisses, se cambre en arrière dans un mouvement félin et se redresse, après s’être étiré.
Affiche une satisfaction pédante.

Puisque nous en avons terminé ici, il n’est de si bonne compagnie qui ne se quitte, mes amis. Le contrat est déjà en préparation, vous devrez patienter quelques heures le temps que tout soit mis au propre. J’ai fait préparer par notre hôtesse, à votre attention, les rafraîchissements que vous avez demandés. Deux limonades, c’est bien ça ?

Contourne son bureau pour s’asseoir à son siège.
La vidéo ne s’était toujours pas arrêtée.

Vous m’excusez de ne pas trinquer avec vous, mais je suis persuadé que vous m’avez suffisamment vu pour la journée. Ou pour l’année, hahaha.

Puis, d’un geste des mains, il “chasse” ses invités de son bureau.