Que fallait-il penser Allani ? Que fallait il penser de ce monde ? On imprimait de slivres à propos de tant et de rien, des contes pour endormir les âmes blessées des adultes mal grandi, des fables moralisatrices pour les enfants devoyés mais des guides pour être, n’existaient guère.

A ses pas sans but, à cette mélancolie noire attachée à sa chaire, Allani y apposait des termes creux. Manque de sommeil comme d’autres blâmaient la météo pour des joints douloureux mais Allani accusait la noire bile de la rendre aussi terne. Elle n’avait jamais réellement été la femme à fleurir et à s’épanouir dans le soleil, était-elle ?

Mais chose qu’elle ne prononçait pas quand son fils apparut enfin à ses côtés. Il était rieur et il était grand, ses joues perdaient la graisse de l’enfance pour reveler la mâchoire prononcée des êtres de son sexe, elle voulait l’enlacer pour que dans ses bras il puisse trouver encore un peu de paix.
Mais elle n’avait pas été là pour la tendresse des années douces et enfantines, Allani fut pour Aidès que cette figure puissante. Une mère comme d’autres se figuraient les rochers, immuables dents dans la mer nocturne.

Combien elle voudrait le protèger, l’enfermer dans un lieu où le malheur et la peine n’existait qu’en songe
Combien elle voudrait le prendre dans ses bras et s’enfuir avec lui, lui épargner la mort qu’eil avait déjà sous sa peau et dans ses iris.
Combien elle voudrait qu’il ne manie plus jamais l’épée clignante à sa taille, qu’il ne prenne des muscles que par le bricolage et le sain labeur.

-Bonjour Aidès, je vais bien et toi ?

Ces questions n’allaient nulle part car le sujet fut brûlament dit, flammes léchant le pourpoint de politesse et de courtoisie. Ses yeux se plissèrent en une moue lointaine :

-Rien que je ne puisse encaisser Aidès, il est de mon honneur de les assumer.

Parce qu’elle était puissante et que son corps était sa seule gloire.

-Ne me dévie pas de mes reproches jeune homme. Si tu désires tant apprendre à combattre, des écoles sont disponibles et tu te formeras un solide cercle d’amis.

Et ses mains prennent ses joues en coupe, ses pouces parcourant le grain de peau irrégulier de son enfant avec la tendresse des premiers instants.

-Je sais que tu fais du bon travail, et que ton potentiel est digne d’être étudié mais…ce qu’on fait là n’est pas…

De ton âge, elle ne dit rien. Fille-mère, détruite avant même que l’enfance ne cesse. Allani désirait l’inverse de son existence à Aidès. Une vie où la perte de la joie serait la seule tristesse.

Utile, ce nom la fit trembler comme une vieille plaie dont la suintante douleur revenait à ses pensées.
Utile? Comme s'il avait besoin de ce terme pour être un des astres de ce monde, un des aspects les plus précieux de son existence. Elle souhaiterait qu’il ne soit pas utile, que son fils soit de ses ravissants hommes aux manières amusées et aux rires joyeux. Elle ne souhaitait pas que son nom continue à porter les larmes de ses échecs, Allani méritait de traîner ainsi son corps entre les mains d’Ishtar mais son ultime égoïsme est de refuser ce destin à son fils.

-Tu n’as pas besoin d’être utile pour que je t’aime Aidès, tu n’as même pas besoin d’être proche de moi pour que je pense à toi. Tu es ce que j’ai conçu de plus beau et mon seul souhait, c’est ton bonheur. Si seulement, tu pouvais être capable de faire plus que je n’ai jamais fait.

Il avait repoussé ses mains mais elle continuait à secouer la tête doucement, laissant ses mèches blanchies se mouvoir dans le vent. Ses yeux tristement clos ne supportaient pas l’idée de la blessure, l’idée de la chair blessée de son fils unique et la tristesse de l’enfant qu'elle fut, comprenait que ses propres parents n’avaient sans doute jamais craint pour elle comme elle craignait pour son enfant.

-Raison de plus pour ne pas que tu restes. Souhaites-tu les mêmes cicatrices que moi Aidès Marquez ? Souhaites-tu souffrir pour te sentir utile ? Réponds-moi. Si la voie de la guerre t’exalte tant que ça, je ne peux pas te le reprocher au vu de ta lignée, mais je refuse que tu partages mes guerres. Je n’ai pas le pouvoir de te forcer à partir, mais j’ai la possibilité de te dire ça.

Bras croisés, regard dur, elle incarnait cette force qu’elle s’était déniée. La volonté de protéger quelque chose d’autre que Dame Forbes.

-Un enfant de 16 ans n’a pas sa place ici, autant toi que Mésange. Un enfant de 16 ans devrait apprendre et étudier, devrait se faire embêter par des filles ou des garçons, apprendre à manier les armes et le stylo pour décider si il veut l’un ou l’autre. Je te donne le choix que je n’ai jamais eu, alors pourquoi souhaites tu t’enfermer dans la même erreur que la mienne ?

Sa voix était peinée, alourdie. Allani ne comprenait plus la jeunesse.

Cette conversation avait eu lieu trop de fois, un disque répété et usé à la trame par leurs volontés discordantes. Allani ne lui en voulait guère, elle reconnaissait en ses iris d’azur les mêmes volontés que son père, Gage Seadust, l’Homme. Aucun amour ne faisait mouvoir ses pensées, aucune haine pourtant ne troublait ses esprits, elle acceptait juste le fait que son fils ne lui appartenait plus complètement.

L’avait-il été un jour ? Il lui semblait si loin l’époque où Aidès reposait entre ses bras, enfant aimé par un autre enfant mais voilà que le monde était désormais vide de telle candeur. Elle était lasse désormais, percluse de la terreur de le perdre et de la fierté étrange de sentir qu’il devenait homme.

Il ne sera jamais sa marionnette à habiller et à manier selon ses désirs, alors

-Je ne sais pas de qui tu tiens pour être aussi têtu, mais peut-être que je sais au fond..


Ses lèvres s’écartaient en un sourire sans joie avant qu’elle ne secoua la tête.

-Je comprends pas réellement tes choix, Aidès mais cela est peut-être est ce que c’est une bonne chose. Cela signifie que ta vie a été différente de la mienne. Mon avis ne change pas sur la situation, sache le. Mais, je ne veux pas te priver de tes choix.

Elle n’avait pas cette latitude, elle ne se voyait que d’une certaine façon que comme cette mère de trop, cette voleuse alors que celle qui avait aimé son fils était morte. Elle n’avait même pas eu le temps de la remercier de l’avoir aimer, de l’avoir protégé, de l’avoir nourri, d’avoir été tout ce qu’elle n’avait jamais pu être pour l’enfant et pour l’adolescent que fut son fils.

-Si jamais je venais à voir la moindre cicatrice sur ton corps, je t’enverrai de force à Arkmere chez un ancien ami à moi, est ce que c’est clair ?

Parce que Karma refusera jamais d’accueillir son fils.
Parce qu’il lui avait promis.

-Je ne peux pas te blâmer d’être ainsi au vu de ma vie et de l’exemple que je te donne mais soit, tu peux rester à mes côtés dans cette lutte contre l’Infection mais prends juste soin de toi, tu possèdes le corps de l’enfant que j’ai mis au monde d’accord ?

Détachant sa hache de sa taille, elle la fit tourner entre ses doigts d’un air pensif, un regard vers son fils avant de secouer ses pensées.

-Aimes tu tuer Aidès ?

Et sa voix sonnait simplement au milieu de ce monde qui fut le leur.

-Plus tu es fort, plus les gens voudront se servir de toi. Plus tu es utile, plus tu ne seras qu’un outil. Soit tu te fais dévorer par les plus gros et tu tends les derniers morceaux de toi dans l’espoir d’être épargné, soit tu deviens aussi gros qu’eux.


Ses mots lui échappaient comme si elle ne les contrôlait plus, comme si son être entier crachait enfin la toxine accumulée dans son système. Dans les yeux de son fils, dans les yeux réguliers et excités d’une adolescence sauvage, elle voyait la peine qu’il l’attendait, les horreurs tapies derrière les rançons de la gloire. Elle voudrait fermer les yeux, se persuader que le destin sera différent pour lui.

Car Aidès n’a que la moitié de sa faiblesse pourrissante, la moitié de cette pourriture victorieuse que le sang de Gage possédait. Elle voudrait croire qu’en son fils se jouerait enfin l’équilibre tant désiré.


-Tu es déjà fort, pour moi.

De ses yeux las, se jouaient les différentes femmes qu’elle fut. Guerrière, secrétaire, suiveuse aveugle, gardienne du feu destructeur de son idole, l’idée d’être libre constamment maintenu en laisse pour ne pas se perdre.


Alors sans le toucher, elle l’enlaçait. Sans le dire, elle lui professait son amour.


-D’accord. N’oublie pas ça, dès que tu aimeras tuer, tu te seras perdu. Dès que tu trouveras des justifications à tes meurtres, tu seras corrompu. J’ai tant tué que je sens le sang sur mes coudes et mes mains, et j’en regrette si peu. Veux-tu devenir comme moi Aidès ? Si non, je te conseille de trouver une autre justification à ton ambition.

Hache rangée, regard en berne avant qu’elle hausse les épaules.


-Je suppose que nous devons attendre et voir.