Certains jours, t'en a ras le cul des gosses.
Tu connais tes mômes et tu connais leur ego. Dans les couloirs de l'orphelinat, il ne faut pas longtemps avant que tout ce qui se passe à l'école et à l'extérieur ne te revienne (le plus souvent embellie et déformé). Alors quand une bagarre avait éclaté derrière l'orphelinat, il avait fallu littéralement moins de deux minutes pour qu'une de tes plus jeunes, une petite blonde répondant au nom d’Annabelle ne vienne te voir.

— Papa Bart ! Papa Bart ! Y a des débiles qui se battent dehors !

Tu lui redis pour la centième fois que t'es pas son père et pour la centième fois tu comprends qu'elle n'en a rien à faire. Tu te lèves de ton siège, Annabelle est déjà occupée a aller chercher ses amies pour se régaler du spectacle. Tout le monde, ici, aime voir Papa Bart se battre.

Tu arrives face à une scène que tu as vu bien trop souvent. Tu avises le môme acculé. Avise le reste du groupe. Tu te places derrière la victime et toises d'un regard les gamins. Ils décampent. Les enfants d'ici ont un bon instinct de survie. Tu considères en silence l'adolescent qui se tourne vers toi, des yeux fougueux et rageurs. Tu regard passes de sa main à son visage strié de bleu.

— J'vois ça.

Tu ne le reconnais pas tout de suite. Ce n'est que lorsqu'il prononce le nom de son père que tu fais le lien. Tu écarquilles brièvement les yeux. Ce gamin n'a plus rien à voir avec le gosse au visage un peu poupin qui t'avait demandé de dédicacer son carnet a autographe. Tu fronces les sourcils, la guerre n'a épargné personne.

— Et ton père a trahi le reste de la création alors bon.

Tu hausses les épaules. Son insulte te passe au-dessus de la tête.

— Tu vois du Powball autour de toi, gamin ? Non ? Bah voilà.

Tu te demandes... Il n'a rien à foutre là. Qu'est-ce le fils de ton ancien patron fait aussi loin de chez lui.

— T'étais le gamin le plus riche et le mieux lotie de Tempelhelm et maintenant tu te retrouves à l'arrière de chez moi à te battre avec trois punk à chien. Qu'est-ce que tu fiches-là ?

— Nop, pourquoi ? Tu veux qu'on appelle papa ?

Tu hausses les épaules, un sourire un peu maladroit aux lèvres. Tu connais ce genre de mômes, toutes griffent dehors, en guerre constante. Tu as été ce genre de môme. Hargneux. Bagarreur. Quand tu le regardes, tu pourrais presque voir tes traits.

— Ah, cette école-là. On t'élève à la dure, donc.

Tu poses un regard sur lui. Il a grandi.

— Ça se voit.

Et dans ta bouche, dans la façon dont tu le regardes, c'est dur de savoir si c'est un reproche ou un compliment. T'abordes une expression et un ton tellement neutre que le doute est constamment permis. Tu sors une clope de ta poche pour la griller, profites que les gamins ne soient pas sur ton dos à te pointer du doigt pour te dire "AAH ! TU FUMES" pour te détendre.

— Je veux pas plus, je veux pas mieux.

Tu souffles et observes la fumée blanche s'élever en l'air. Tu abaisses le regard vers lui, souris.

— C'est con de gaspiller du temps et de l'énergie pour avoir plus ou mieux quand on n'a pas besoin.

Tu désignes l'orphelinat du menton.

— Et j'en ai pas besoin. Tu veux grailler quelque chose avant de rentrer ? La baston ça creuse.

Tu ne dis rien mais tu n'en penses pas moins. Ce gosse est totalement influencé. Quand il parle, ce n'est pas lui que tu entends, c'est quelqu'un d'autre. Tu ne le connaissais pas beaucoup, en revanche tu connaissais bien son père. C'est presque comme-ci tu pouvais entendre sa voix.

— J'vois.

Tu plisses les yeux, observes ses épaules se détendre. Ça ne te plaît pas, de voir le poids du monde sur ce gosse. Tu vois en lui un élastique qu'on se plaît à tirer, tirer, tirer encore. La jeunesse le pousse à croire qu'il peut tenir indéfiniment comme ça. Mais tu sais, toi qui a été dans ses pas, la cœur dévorant d'ambition et de gloire, qu'un jour l’élastique finit par rompre.

— C'est une question de j'ai envie de vivre et qu'on me foute la paix.

Tu lui tournes le dos, lui fait signe de te suivre.

— À force de brûler trop fort on se consume, gamin. Je l'ai compris bien trop tard.

Tu fouilles dans ta poche pour sortir les clés de l'orphelinat.

— Et ça vaut surtout quand tu laisses les autres attiser les flammes pour toi.

Tu lui jettes un regard avant de poser un pied sur le perron. Tu n'as pas eu le temps d'ouvrir la porte que la petite Annabelle ouvre la porte pour demander avec son grand sourire.

— J'ai tout vu ! T'as juste eu à les regarder et pouf ! Ils sont partis en courant ! Comme des gros nuls ! C'est qui le beau monsieur ?

Tu soupires, pousses la petite fille avec douceur pour passer.

— Un vainqueur, visiblement.

Tu jettes un regard à Roy avant de t'enfoncer dans le couloir. La petite fille ferme la porte derrière elle sans le quitter du regard.

— Whouaaa....

Elle se plante à côté de lui, le regard espiègle.

— Tu t'appelles comment ? T'as quel âge ? T'as une amoureuse ? Si t'en a pas tu veux pas devenir mon amou-

— ANNABELLE !

La petite sursaute, roule des yeux.

— Bon... Bon..

Elle prend Roy par la main pour le guider jusque dans une pièce un peu en retrait. Une cuisine fermée ou deux femmes âgées sont en train de récurer les casseroles pendant que toi tu es devant la poêle à faire cuire des œufs et du bacon.

— T'as le droit à du jus de fruit le vainqueur ou faut que je te broie des saucisses pour ta boisson ?