Le pathétisme lui-même dégoulinait d'un mépris âcre à ton égard, Meliodas ; la pitié se noyait dans les draps déjà humides des relents d'alcool fort et de dégueulis. Tu n'étais pas seulement pitoyable, tu étais viscéralement un désastre. Et pourtant ! Les contrats s'accumulaient, la popularité accroissait, les coups s'enchainaient, les soirées aussi, les paris aussi, les folies aussi, les regrets - aussi.

Tu entends subrepticement la présence d'une tierce personne. Mais ton sommeil sans rêve prend le dessus - c'est le néant. Ton esprit est à l'image d'un trou noir ; ton inconscience avale toute pensée sur son passage, jusqu'à ne demeurer qu'une coquille vide et brisée, dont les parois fines font résonner des plaintes que tu le seul à refuser d'entendre.

Hm...

La voix de Cesar parvient finalement à tes oreilles. Trop irritante pour être ignorée, tu tournes la tête sur le coussin imbibé de ta propre bile avant de froncer les sourcils, dérangé par l'odeur.

Alors c'est ça ?
Les dangers d'une richesse démesurée et d'une vie débauchée ?
Arkmere avait beau vous surveiller, ils semblaient ignorer volontairement les débordements et les écarts de l'élite ; il n'est pas interdit de boire de l'alcool jusqu'à en vomir ; il n'est pas interdit de danser jusqu'à mourir ; il n'est pas interdit de s'abandonner au point de lentement pourrir.

Putain mais... Qu'est-ce que tu... fous là...

Une question à laquelle tu sauras répondre quand tu auras retrouvé ta lucidité.
À force d'acharnement, Cesar réussit à te lever. Le regard vitreux, tu ne t'attardes pas sur lui et files directement à la douche. L'eau coule pendant des dizaines de minutes ; tu t'endors contre le carrelage plusieurs fois.

Quand tu sors, ce n'est pas plus frais - mais objectivement moins cramé.

T'as tout rangé.

Que tu constates à voix haute. Ça t'énerve... parce que tu sais que tu lui es redevable maintenant.
Comme à chaque fois qu'il s'incruste dans ton espace, est témoin des dégats.

Je t'ai rien demandé Cesar...

C'est passif agressif. Tu lui en veux, autant que tu t'en veux de lui donner ce pouvoir sur toi.

Et tu devais pas me rendre la clé la dernière fois ? T'as refait un double PUTAIN ?!

Tu portes une main à ton front, t'as mal au crâne.

Sa main qu'il frappe sur la table fait résonner en toi des bourrasques corsées contre les parois internes de ton crâne. Tu siffles entre tes lèvres un geignement irrité. Il t'intime de te la fermer et tu te la fermes, uniquement pour ne pas déclencher une nouvelle migraine en te mettant à crier. Toujours à prendre l'excuse de son travail, toujours à avoir le dernier mot. Le pire c'est qu'il a raison, personne n'a jamais été aussi doué que lui pour te gérer. Le problème c'est que tu n'arrives pas à le gérer lui ; lui et ses doubles des clés, lui et ses manies de te juger, lui et sa grande gueule toujours prêtes à cracher des vérités. Putain, ce qu'il t'énerve !

Ouai, ça t'arrange bien.

Il pointe du doigt le confort et le luxe dans lequel tu vis, selon lui uniquement grâce à lui.

T'en profitais bien aussi, t'en as toujours profité. Arrête de faire ton grand prince ça m'agace. Tu faisais ça aussi quand on était...

Tu t'arrêtes en plein milieu de ta phrase. Tu ne veux pas poursuivre la discussion en ce sens.
Tu ignores son café et fais le tour du bar dans un premier temps pour atteindre le frigo. L'ouvres d'une main et ignores les bières entassées dans la porte, ce que tu cherches c'est la grande bouteille d'eau gazeuse. Tu en descends goulument la moitié, jusqu'à manquer de t'étouffer.

En plus... attends... quoi ? On est dimanche. Ou... samedi ? Mercredi ? Mais ... Quoi ?

Tu cherches ton téléphone, ne le trouves pas, évidemment.

Alexa, quel jour on est ?

Une voix féminine répond dans les hauts-parleurs.

Vendredi, Meliodas.

Tu reposes lentement ta bouteille. Réalises à quel point t'es déconnecté du monde ces temps-ci. L'impression d'avoir enchainé des soirées toute la semaine, comme à l'époque de la bonne Tempelhelm.
Avant la guerre, avant l'oppression, avant Cesar.

Fais chier.

Tu contournes de nouveau le bar pour t'y assoir. Tu attends que Cesar ne te serve ton repas pour te plaindre.

Des légumes en plus ! T'aurais pu au moins commander.

Quand tu t'entends, aussi capricieux qu'un bébé, tu comprends pourquoi il a divorcé.

Tu hausses les épaules. C'est lui qui a choisi de divorcer après tout - même si c'est mal vu ici parce que vous avez prêté serment sous la Lune. C'est lui qui a choisi de te quitter et pourtant il est toujours là, à te le reprocher. C'est comme si rien n'avait changé - il a toujours assez de pouvoir pour t'amener à te détester. Alors que tu t'adorais putain ! Tu te trouvais incroyable, et une partie de toi s'accroche au fait que tu vaut encore le coup.

Je t'emmerde.

Tu t'assois en soupirant bruyamment - critiques pour le plaisir de critiquer. L'olid posé sur le comptoir, tu constates qu'il l'a retrouvé avant toi. Tu l'accroches à ton poignet sans rien dire et commences à manger.

Toujours dramatique à ce que je vois, je vais pas mourir d'une petite gueule de bois.

Tu ne le regardes pas, occupé à scroller sur l'écran virtuel le feed du réseau social d'Arkmere.

D'acc.

Tu ouvres ensuite ta messagerie professionnelle.

Et c'est quoi comme rendez-vous ? OH NOOON. Du business et de la négociation. Tu veux pas y aller seul ?

Tu as mal à la tête, tellement qu'elle te donne l'impression qu'elle va exploser.

Je veux dire, c'est juste le renouvellement du partenariat non ? Ils sont pas satisfait de ce qu'on a fait l'année passée pour leur lancement ? Elle marche super bien la boite je crois.

Tu l'utilises d'ailleurs à outrance. Les colis vides Covent s'accumulent près de la porte de ton appartement.

C'est important que tu sois là, qu'il insiste. Tu te penches sur le profil de ce Vadim Sheperd. Il ne te disait rien de plus que ce que tu savais déjà vaguement - un businessman super occupé et arrogant qui préférait les salles de réunion épurées aux boites de nuit branchées. Un Homme avec trop de pouvoirs pour lui seul - un petit chef dans une tour d'ivoire. Il y a eu une époque où tu savais les mater. Tu les coinçais sur un plateau télé pour leur faire cracher habilement leurs vérités ou dissimuler leurs méfaits.

Ouai je vois le genre. J'y serais.

Tu n'es pas très a l'aise avec le fait de te vendre. Avant, on se disputait pour ta présence. Dans ce pays c'est toi qui doit ramper pour leur rappeler ta valeur. Même grâce au succès de la société de production de Lison, il fallait encore leur prouver que vous étiez bien les élus auxquels ils croyaient.

Tu me connais. J'ai du respect pour ceux qui le gagnent. Et y'en a peu, sur ce continent, à le mériter.

Comme tu t'en doutes à le voir s'affoler, qu'il n'a pas compris, tu précises.

Je me tiendrai bien, évidemment. Ce que je peux penser n'a aucune influence sur ce que je peux dire.

Tu finis ton assiette, manges seulement pour te nourir car d'appétit tu n'en es pas fourni. Derrière toi, Cesar s'active déjà.

Pas un peu trop tape à l'oeil pour un rendez-vous pro ? Enfin, c'est comme tu veux.

Le dos tourné.

En boule dans la salle de bain je crois, ou étendu. Ca dépend si Sylvia l'a fait.

Ta femme de ménage.
Celle que Cesar semble déterminé à remplacer.

(...)

Une fois habillé, tu t'assois dans l'immense canapé, t'y allonges de trois quart, les bras étendus et les jambes étirées.

Comment tu me trouves ?

Il ne répond pas mais son silence est en soit, une réponse. Il t'intime de te décaler un peu pour qu'il puisse s'assoir et tu obéis en ricanant. Tu places tes jambes par dessus ses épaules. Tes orteils viennent chatouiller son cou et le lobe de ses oreilles. Tu plisses les yeux et bailles bruyamment, toujours crevé de ton manque cruel de sommeil. Tu tiens grâce à la drogue mais les lendemains d'excès sont synonyme de décès.

Évidemment que je suis bien foutu. C'est pour ça que t'es obsédé par ma personne depuis trois ans.

Tu arques un sourcil, un sourire mutin au coin des lippes, volontairement enfantin.

Lorsqu'il se penche sur toi avec ses pinceaux et son anti-cerne, tu te replies sur toi même pour lui faciliter la tâche. Tu ne bouges pas, las mais docile.

Une fois la tâche terminée, tu te redresses sur les coudes. Cesar parle de l'hôpital et tu te glaces. Tu le repousses, non sans attraper son poignet au passage, que tu gardes prisonnier entre tes doigts moites.

Non. Hors de question.

Hors de question de foutre les pieds dans une clinique de nouveau pour si peu, surtout maintenant qu'il n'est plus là pour la gérer. Tu ne fais confiance en personne et encore moins au personnel hospitalier de ce pays qui t'est toujours étranger.

T'as compris ? On garde le rendez-vous fixé pour le check-up et c'est tout.