La chute de la légendaire Tempelhelm en Hakar signifiait un changement drastique pour la politique entière du continent.

Qu’il s’agisse de Arkmere, vouant une admiration sans limites pour les autochtones de la cité volante, ou bien Dawndale qui observait avec avidité les ressources en leur possession.
La famille Harcourt, et donc Greygarde, avait quant à elle nourrit une certaine forme de méfiance par rapport à ces envoyés des cieux, pour la plupart fidèles à un dieu qui n’était pas le leur.
Cela n’avait cependant pas empêché la nation militaire d’inviter sur ses terres quelques-uns des plus éminents représentants d’Eclipse.
Mais c’était, ironiquement, un béni d’Omni qui avait éveillé une forme d’intérêt particulière vis-à-vis du Roi de la gargouille.

Ian Carter était un homme réputé dans la ville sainte, de ce qu’il en avait retiré, et chaque habitant de ces terres semblait avoir un avis sur ce dernier, en bien ou en mal.
D’abord désireux de l’appâter à l’aide d’un rôle de Porteur, au même titre que ceux que l’on nommait les cavaliers, le refus d’Ishtar Forbes poussera la couronne à considérer Ian Carter en tant que légat.
Et quel travail remarquable avait-il abattu, depuis deux années au service de Greygarde.
C’est d’une verve aiguisé qu’il parvenait à défendre les intérêts de la nation à la gargouille tout en imposant la gloire et la grandeur de son roi.
Ses discours étaient une ode à la puissance militaire de la capitale, un hommage à la couronne et le Roi s’était prit d’affection pour cet homme à l’intelligence aussi affinée que son respect de l’étiquette.

Le légat de Greygarde n’avait rien d’un idiot et semblait coutumier des jeux politiques, Artorias ne pouvait donc s’empêcher de considérer la décision d’instruire son propre fils dans une école militaire située en pleine capitale comme une marque de respect et de confiance lui étant accordée.
De fait, le Roi de Greygarde s’était assuré qu’il reçoive une éducation stricte et intransigeante, comme le voulait la tradition Greygardienne.
S’il avait convoqué Ian Carter en ce jour, néanmoins, ce n’était pas seulement dans le but de le couvrir d’éloges.
Il se voulait, parfois, plus puéril que cela.

Et l’apparition de son invité dans la salle du trône, à travers ses deux portes battantes, illumine le visage du souverain d’un sourire sincère.
Artorias était resté assis sur son trône aux proportions démesurées, fabriqué à partir d’une pierre taillée et sertie de gravures racontant les préceptes de la maison Harcourt et de l’Aube rouge.
Le dossier se terminait en une sculpture massive représentant une paire d’ailes.
Le Roi transmet son excitation jusqu’à sa garde rapprochée, Armand Oswald, avec qui il échange un regard enfantin.

Une fois que Ian Carter eût terminé de lui transmettre les usages, Artorias frappe dans ses mains pour s’annoncer.

Ne vous excusez pas, mon cher légat. Votre travail est remarquable et fait la fierté de la couronne jusque dans cette même salle. Votre place est à Tempelhelm afin de défendre nos intérêts, après tout.

D’un claquement de doigts, les domestiques répartis dans la salle par une symétrie parfaite s’agitent.

Votre voyage a certainement dû se montrer exténuant, nous souhaitons par la présente vous offrir rafraîchissement et pain. Pardonnez l’apparat rustique de nos mets, nous vous assurons néanmoins leur qualité et leur fraîcheur. Je vous prie de considérer avec affection notre hospitalité.

Pourtant, l’assiette qui fut apportée par un domestique s’étant empressé de s’agenouiller auprès du légat n’avait rien à envier à celle des meilleurs banquets.
Le garçon de cuisine était resté ainsi, genou à terre, à l’image d’un meuble laissant à Ian Carter tout le loisir de profiter du repas qui lui était offert.

Savez-vous pourquoi nous avons souhaité communiquer avec vous en ce jour, très cher légat ?

Marque une nouvelle pause, l'attitude changeante.

Nous avions espéré recevoir un présent de votre part.

Le légat avait saisi sans mal la sensibilité du Roi de Greygarde à la flatterie.
Aussi, lorsqu’il eût encensé à juste titre le simili de repas qui lui fut offert, Artorias laissa paraître un sourire satisfait sur son visage.
Pourtant son regard ne s’était pas détourné de lui, toujours sujet à l’aigreur qu’avait provoqué l’absence d’attention adressée vis-à-vis du souverain.
Toutefois Ian Carter ne se voulait pas contrariant et plutôt que de témoigner de la surprise au sujet de ce motif de convocation pour le moins puéril, il lui accorde à sa requête l’importance qui lui est due.

Cela permet non seulement d’apaiser le Roi, mais en plus, la perspective d’un choix l’amuse et le stimule.
Le souverain s’agite sur son trône, adresse de nouveau un regard à Armand Oswald, avant de s’en retourner à son légat.
Artorias n’était pas réellement friand des surprises, de fait, il juge l’idée de dicter ses conditions plus en adéquation avec son statut et son autorité.
S’il y a bien une personne qui se refusait de baffouer l’autorité royale, c’était bien le Roi lui-même.

Voyez, mon cher légat, nous avons déjà songé à un présent en accord avec notre envie !

Le maître de la Gargouille quitte brusquement son trône pour descendre une à une, d’un pas dansant, les marches qui le séparent de son interlocuteur.
Son garde du corps lui emboîte aussitôt le pas.

Impérial, le souverain se plante devant Ian Carter et écarte sa cape de son épaule pour déposer sa main, celle qui avait laissé place à une prothèse métallique acérée, sous le bras du légat.
Le sourire qu’il arborait jusqu’à présent ne l’avait pas quitté et il avait plissé les yeux, sujet à une forme d’excitation.

Nous raffolons des histoires et la cité volante de Tempelhelm nous est parfois si lointaine qu’elle nous semble encore inconnue. Vous qui avez habité en ses murs, mon cher légat, seriez certainement apte à nous en apprendre davantage à son sujet, n’est-ce pas ?

S’habille d’un rire léger, succinct.

Racontez nous, encore une fois, l’histoire de sa chute.

C’est avec une patience surprenante pour un homme au caractère aussi équivoque qu’Artorias qu’il avait écouté Ian Carter lui conter avec un aplomb légendaire sa version de la chute de Tempelhelm.

Une version vraisemblablement biaisée et articulée autour de sa grandeur d’âme et de son mépris de la vermine, mais sa version quand même.
Et le Roi ne s’était pas embarrassé à le contredire.

A vrai dire, il tombait en accord avec lui sur plusieurs points, notamment en ce qui concerne la place du peuple face à la royauté ou bien les méfaits d’un pouvoir mal affirmé, passif.
L’évocation d’un prophète lié à Eclipse attire son attention, la population de Tempelhelm étant vraisemblablement plus porté sur la vénération du dieu primordial de l’Ordre, mais il ne le coupe pas dans son récit.

Lorsque le patriarche de la famille Carter eût terminé son histoire pour réclamer un rafraîchissement, un nouveau claquement de doigts se fit entendre dans la salle du trône.
Un domestique se précipite jusqu’à eux, une bouteille en verre soufflée de forme sphérique et remplie d’un liquide carmin.
Ce dernier verse avec habileté le vin dans un verre, adressé à l’intention du dynaste.

Le regard du Roi n’avait pas dévié de son légat, comme figé.
A vrai dire, depuis son claquement de doigts, Artorias n’avait pas effectué le moindre mouvement.
Brusquement son emprise métallique se resserrait sur le bras de Ian Carter, comme habité d’un spasme.

Le souverain articule avec fermeté, le regard lourd et la mine sombre.

Ces Steinhart semblent à l’image de ces imbéciles d’Arkmeriens. Prétentieux et oisifs. Et tout comme eux, leur valeur militaire n’excède pas celle d’un enfant. Une engeance répugnante, s’il en est, pour une divinité qui l’est tout autant.

Sa poigne s’allège pour finalement complètement relâcher le bras de son interlocuteur.
Sa prothèse s’en va rejoindre le confort de sa cape.
Le Roi reprend, d’un air plus léger.

Votre version de l’histoire était peu orthodoxe mais elle nous a distraits, légat. Vous êtes un Homme de pouvoir, c’est une certitude, et votre position en notre royaume n’en est que plus évidente. La chute de Tempelhelm se doit d’être une leçon : certains naissent révolutionnaires, d’autres naissent servant, mais une seule naît Roi. Et il est temps que la population de Hakar comprenne une bonne fois pour toutes qu’un Roi existe déjà, sur ce continent. Vous ne pensez pas ?

Parce que sa place de souverain légitime d’Hakar, Artorias n’avait pas l’intention de la troquer à qui que ce soit.
Aussi intelligent et habile que soit Ian, il était nécessaire qu’il assimile l’autorité sous laquelle il évoluait.

Artorias recule d’un pas, l’air intrigué.

Vous n’êtes pas la première personne à évoquer l’existence du prophète d’Eclipse. Nos Porteurs originaires de Tempelhelm, eux aussi, paraissaient familiers avec cet individu. Isaac Weidmann. À vrai dire, il était connu même de notre garde du corps ici présent.

Marque une pause, le temps de jeter un regard par-dessus son épaule, à l’intention de Armand Oswald.
De retour sur Ian Carter.

Mais puisque vous semblez l’avoir côtoyer vous-même, peut-être pourriez-vous nous éclairer cher légat. Où pourrions-nous trouver ce “Isaac Weidmann” ?

Ce dernier représentait, après tout, un bel ajout à la puissance militaire de Greygarde.
Ou bien une menace suffisante pour être notifié.

Leur incapacité à remonter les traces du prophète malgré les nombreux escadrons envoyés pour le déterrer s’expliquait en deux points.
Premièrement la maîtrise du vol qu’avait évoqué le dynaste, Isaac Weidmann pouvait se déplacer sans laisser aucune emprunte.
La deuxième raison était plus simple : il était impossible de déterminer en quelle nation l’homme avait choisi d’élire domicile.
Il était même probable qu’il ait prit la décision de n’apparaître dans aucune d’entre elles, sa capacité à maîtriser l’énergie astrale était suffisante pour survivre dans les Terres oubliés à condition de ne pas se faire remarquer par les troupeaux d’Epeire.

Artorias avait exprimé son désarroi en un soupir longuet tout en adressant une œillade volatile à son garde du corps.
Ce dernier avait été sujet à un regard appuyé par le légat et il ne faisait aucun doute qu’Armand Oswald en savait plus long sur Isaac Weidmann qu’il ne voulait bien l’admettre.

Néanmoins, retrouver cet homme ne faisait pas partie de ses priorités : un caprice, parmi les nombreux autres.
Un homme ne pouvait de toute façon pas changer le cours d’une bataille et si ce dernier venait à s’attaquer à la famille royale, il suffirait d’envoyer un ou deux Primus en sacrifice pour s’en débarrasser.
À la différence d’Ishtar Forbes, celui qui se présentait autrefois comme le prophète de leur divinité commune n’avait fortifié sa position d’aucun groupe.
Un cas isolé, donc.

Aussi, le sujet de la conversation fut oublié presque aussitôt.
Le Roi avait été rassasié des histoires que lui avait contées son légat, l’on se demandait néanmoins si Artorias avait réellement fait venir un homme aussi occupé que Ian Carter à la capitale pour ce bref épisode.

C’était le cas.

Très bien, mon cher légat. Cet entretien fut plaisant. Autant pour vous que pour nous, nous l’espérons.

Un regard froid avait été déposé sur le domestique, agenouillé.
Pas un mot ne fut nécessaire pour que ce dernier se retire après une rapide courbette, en signe de respect.

Le Roi adressait de nouveaux mots au légat.

Nous vous invitons à séjourner dans le château jusqu’à demain. Nous ne souhaiterions pas que vous restiez éloigné trop longtemps de nos affaires à Tempelhelm.

Une main qui se dépose lentement sur son épaule.

L’implication de l’ancien héraut de Omni dans le conseil des légats nous déplaît et nous aimerions que vous fassiez en sorte de vous opposer farouchement à chacune de ses décisions. Peut-être que rendu face à son inutilité, ce dernier décidera de céder sa place à quelqu’un de moins… Impliqué.

Artorias lui avait tourné le dos pour s’en revenir à son trône après avoir gravi les marches une à une, d’un pas toujours aussi enjoué.

Ne nous faites pas honte, très cher légat.

Comme les derniers mots d’une sentence.