Elle s’était téléportée, ses pas vrombissant à ses oreilles comme la colère du propriétaire des lieux envers elle.
Ici, la poussière n’eut même pas la délicatesse de s’installer, d’offrir à ces lieux désolés et souillés les apparats de l’âge. Meubles retournés, utilités défoncés, odeur de pagaille parmi le gaz fumé et les aliments périmés.

Allani mit le pied dans le lait presque tourné, couleur incertaine, teinte presque immangeable. Avait-il acheté ce lait, Karma ? Cela s’échappait en nuées dans son esprit, ses pensées qu’elle lisait passivement, ces injures infligées à la volée. Elle continuait de marcher, son empreintée lactée s’amenuisant avec le temps jusqu’à devenir peau de suie.

Dans la chambre, les draps ont été volés. Le matelas a été ouvert, la table de chevet retournée. Il manquait un pied, notait-elle pareussement. Quand bien même, Allani la mettrait debout, elle vacillerai puis elle tomberai. Dans les abysses, au fin fond du monde. Dans l’Understadt, là où son propriétaire mangeait, buvait, viendrait probablement à finir ses jours.

Allani se laissait tomber sur le matelas, subit la pointe du ressort contre son dos. Quelqu’un pourrait venir, un apôtre sans doute, elle était sur leurs territoires après tout. Mais elle voulait ces instants, cette délicate mort infligée par le plus commun des sens. Le regret, était-il ce sens ? Non.

Allani éprouvait de la peine.
Lancinante, violente, écoeurante.

Toutes ses mots, ses secrets, ses confidences, cette vie qu’elle avait imaginé être sienne. Cette amitié qu’elle avait préservé, ses anniversaires qu’elle avait souhaité, le rire de Karma, la nonchalance de ses adieux sous le poids de ce qu’il n’osait dire.

-Je suis désolée.

Cela ne changerai rien, Allani Marquez. Cela ne valait rien. Tes excuses, elle pouvait les rouler en boule et s’en servir pour colmater la plaie béante sur le corps brisé de Galmor. Ses excuses pouvaient remplir l’orbite vidée de Graham. Ses excuses pouvaient moucher les émotions de Karma.

-Je…je n’aurai pas fais un autre choix. Tu le sais pas vrai ?

Elle parlait aux hauts plafonds, comme si Karma pouvait l’entendre. Comme si il avait l’envie de lui pardonner, de l’écouter débiter ses mots fades.

-Quand j’ai su que tu avais survécu, j’étais en colère, Karma. Cela signifie que tu vivras avec l’image de ce que je suis devenue en tête. Que toutes les fois où on a passé du temps ensemble, ça sera juste souillé dans ta tête. C’est monstreux, ce que je pense. Tellement monstreux. Je t’aurai préféré mort et en paix, qu’en vie dans la fosse de l’Understadt.

Elle chassait ses larmes, chassait ces émotions qu’elle ne contrôle plus. Mais ça continua. Le sel se mêlait à la mousse, rouillait le métal. Le coeur blessé hurlait sa symphonie brisée et la cacophonie se prolongeait. Plus un mot, elle s’imaginait. Son corps qui devient carcasse, les vers qui grimpent avec joie dans ses muscles affaissés.

Rigueur post-mortem! Chatonnaient-ils en glissant dans ses veines
Graisse tendue! Se régalaient-ils.

-Je n’avais jamais eu le droit à ce futur, Graham. Je n’avais jamais eu le droit à ton amitié, Karma. Je… je suis la pire pas vrai. J’ai choisi Ishtar, et je me lamente comme une mioche. Putain, Allani Marquez. Ressaissis-toi.

Et quand elle prononçait ses mots, elle s’effondra. On ne peut pas réparer ce qui n’a jamais eu la fonction d’être entier. Allani Marquez ne regrettait aucun de ses choix, elle regrettait simplement de les avoir eu.

Elle regrettait d’avoir été aimée, assez pour s'appesantir sur tant de scénarios disparus.
Elle disparut. Adieu, Allani Marquez. Bonjour, ça.