Allani n’avait jamais connu nulle autre violence que sa propre histoire, ses propres traits jetés aux vents et dont les fragments retombaient sur son visage comme une marque de l’avanie des hommes. Mais une nouvelle ere était née, une ere où les hommes deviennent des monstres et les monstres portent l’habit des hommes pour se mélanger dans un ballet funeste.

Quand elle fermait les yeux, son esprit revenait irrémiablement à ce qu’il s’est passé, son nez attrapait les senteurs d’iode et de sang deversés sur les pavés humides et ces ombres dansaient moqueuses au coin de son oeil. Ishtar Forbes a été parfaite, comme si elle pouvait être autre chose que cela, maîtrisant la situation et ses maigres troupes, elle méritait le titre de Dame et l’éternel respect qui ne cessait de croître en son coeur. Némésis avait frappé, dévastant une civilisation rendue précaire par les hommes et les dieux absents et quand les monstres avaient repris visage humains, c’était l’horreur d’un serment trahi qui avait frappé son coeur.

Tant d’émotions avivaient des pensées, des pensées avivaient des souvenirs et les souvenirs avivaient la honte corruptrice de son âme. Alvaro Reyes. Par l’impulsion de ses actes, elle l’avait blessé, lui qui était allé au devant des faciès répugnants des chiens de Némésis par loyauté, elle l’avait blessé, elle avait humilié Dame Forbes et son bras armé. Cet échec cuisant pesait dans sa conscience avec autant de lourdeur que cette épaule inutile qu’elle se traînait, comme la croix et le fer de son erreur. Alvaro Reyes avait été digne et elle avait échouée, son echec était une offense à ce pour quoi ils se tenaient ici et là comme des ombres, des serviteurs de ces habitants et de leur reine.

C’était pour cela qu’elle hésitait, main contre le montant de la porte, respiration légère et rapide. Se donner du courage, se donner du courage, elle n’en manquait pas quand il s’agissait de détruire et d’obeir alors pourquoi quand est ce que c’était sa propre volonté qui guidait ses pas, elle demeurait ainsi coite comme une nouvelle née ?

Elle était entrée, offrant un léger fredonnement qu’on pouvait donner comme salutation à l’habitant de ce lieu. Blessé. Il l’était. Sa jambe paraissait être une bien étrange appendice ainsi recouverte de bandages et de chaînes, son visage était étonnament nu sans son masque comme si à la lumière du jour, il reprenait enfin une substance humaine et elle eut honte.

Le son de sa voix la fit tressaillir lui rappelant qu’il était impudique ainsi le contempler, et son épaule désatisfaite brûla violemment sous l’épais tissus la recouvrant. Dame…elle ne méritait pas ce titre, elle n’avait rien fait pour mériter le respect qu’il lui témoignait. Elle aurait préféré qu’il crache son nom, en trois fois. Al-la-ni, pour lui rappeler qu’elle avait échoué. Elle le regardait, triste sir, vaillant sir à se remettre debout et Allani su qu’il irait bien. Les médecins lui ont dit sur le trajet, que cela n’était rien qu’une blessure superficielle et du repos a engrangé calmement.

Alvaro continuait à défiler les mots comme si cela n’était rien, parlant de leur employeuse commune avec la même régularité dans sa voix. Puis surprise, raison de sa présence. Elle humecta ses lèvres, cherchant ses mots pour ne pas paraître gauche ou maladroite avant qu’elle abandonna sans nul autre façon.

--Je vous en prie, appelez moi Marquez ou Allani.

Dame lui offrait une grandeur auquel elle n’avait pas le droit de prétendre.

-Dame Forbes ne m’a pas envoyé, et si elle avait un seul requête à vous transmettre, cela serait de vous reposer et de renforcer votre corps avec l’attention qu’il mérite. Vous avez été exemplaire. Si vous désirez vous asseoir, asseyez vous, ne vous embarassez pas de formalité.

Sa main vint saisir son bras, tirant sur les muscles pour raviver la douleur, lui rappeler l’origine de ses actes et le démérite de son comportement. Sa voix restait claire quand elle continuait.

-Non, si je suis là. C’est au nom d’Allani Marquez, non pas comme Bras droit de Dame Forbes. Je souhaite présenter mes excuses à Alvaro Reyes, l’homme, tout autant que le garde du corps.

Elle fit basculer son torse en avant, offrant la cascade de ses cheveux dans une posture d’humilité autant que de profond regret.

-Vous avez été blessé par ma faute et mes actions, j’ai mal calculé les risques et vous en avez été diminué. Je suis sincèrement désolée. Il m’est impossible dans l’état actuel des choses de douter de vos capacités et de votre volonté.

Elle pouvait en pleurer, Allani. Mais les larmes n’effaçaient pas le sang des lames.

Le bruit régulier des béquilles sur le sol de ciment aseptisé resonnait étrangement dans le crâne d’Allani, comme un grincement une preuve que les choses changeaint et avançaient. Il feignait l’apathie mais elle pouvait sentir sous les intonations froides des pensées qu’il ne disait pas comme un déplaisir qu’on goûtait sans vouloir trop s’y attarder. Il lui avait déjà reproché sa curiosité, ses mots mal placés pour comprendre et cerner ce qu’il était alors elle ne répondit rien, acceptant qu’il prenne ses excuses sans qu’il ne comprenne la véritable portée de celles-çi. Alors elle relevait la tête, le regard fixé dans le sien, être vidé de la moindre animosité.

Les Némésis, elles les auraient tués si dame Forbes lui avait demandé. Elle en aurai vomi après mais elle aurai été fière de la perfection de son exécution, et voir Alvaro blessé lui rappelait qu’elle ne l’avait pas été. Parfaite. Cela devait être humiliant pour lui de la voir ainsi tourmentée, comme elle souffrait de honte d’être ainsi diminuée sous son regard.  Ce n’était qu’une cheville pour lui, elle c’était l’épaule, la preuve qu’elle avait trop voulu en faire. C’était rageant d’être elle, rageant d’être si près d’être irréprochable pour souiller l’ensemble de son nom.

-Loin de moi l’idée de mettre des mots sur des choses qui ne me concernent pas, Reyes, mais votre rétablissement vous sera probablement aussi frustrante que la mienne. Vos mots sont justes et vos justifications tout à fait sensées mais ce résultat n’est pas parfait.

“Parfait” sonnait comme un venin dans sa bouche, la clé de voute de beaucoup. Que ce soit Némésis ou Omni lui-même, Allani le fera. Ecrasée, détruite, ravagée, si tel était le souhait de Dame Forbes, elle se donnerait. La mission du temple rappelait le poids du devoir qui leur incombait à tout les deux et dans la froideur d’Alvaro, elle y trouvait un brin d’espoir, un camarade plus qu’un collègue. Mais Allani ne prononcera jamais ses mots, les nettoyant de son esprit avec hâte.

-En effet, nous devons être plus vigilants et coordonnés. Les si n’ont aucunes valeurs à ces temps-çi mais si nous avions été plus familliers avec notre façon de travailler et d’agir, nous aurions été plus efficaces. Que cet échec soit un éveil à notre coopération future. Je m’en remets à vous. Et je vous remercie de votre confiance. Combattre avec vous sera source d’une grande joie pour moi. Veuillez compter sur mon entière collaboration et ma disposition à compter de ce jour-çi.

Elle lui rendit l’inclinaison du crâne avec un lenteur calculée, infligeant à chacune de ses vertèbres le respect nouvellement fondé. Le regard d’Alvaro dérivait, derrière son épaule, sur les va et vient bruyants et pressés des infirmers. Sa question était pertinente et elle eut un lourd soupir avant de secouer légèrement la tête, avouant son ignorance.

-A ma connaissance, personne n’est à pleurer du côté de Dame Forbes. Elle n’est pas très bavarde sur ses peines donc je n’en sais pas plus que ça. Le seul haut fait concernant l’une des connaissances dont j’ai conscience est Graham Blomsberry, il a assisté aux dernières heures du héraut de feu et aurai rescapé d’une chasse d’un des Némésis. Bien curieux destin pour cet homme. Le connaissez-vous ?

Robotiquement, elle se mordillait les lèvres, symptômes d’un légère réflexion. Alma ne répondait toujours pas à ses messages.

Ils marchaient d’un rythme lent, les deux blessés d’un temps trop proche et le monde continuait de se presser à leurs côtés. Visages blancs ou noirs, tenues claires et vives qu’elle observait du coin de la rétine sans qu’elle n’y accorde plus que la circonstance de l’existence. Le tourment de ses regrets s’était envolé, il ne restait que la plénitude du travail à venir, de la demande prochaine qu’elle proférait à Alvaro de l’entraîner, de faire d’elle une arme. Mais là n’était ni le temps ni le moment pour une telle demande, elle l’écoutait simplement en marchant dans son sillon.

Les mots étaient étranges pour parler de Graham, le ton se prétendait mal à la platitude des termes évoqués mais loin était d’elle l’idée d’offrir un quelconque commentaire à tout cela. Les mots d’Alvaro étaient à l’auteur du personnage les prononçant, laconique et droit au fait, elle aurait pu en être offensée si elle n’en ressentait pas la froide nécessité d’un tel regard. Oui, Graham n’était qu’une ombre récurrente de son histoire et Allani remerciait les quelques dieux de ce monde de l’avoir épargné mais comme un écho lugubre, elle ne put s’empêcher de répéter les derniers mots d’Alvaro.

-La faiblesse est une bénédiction.

Souffle court qu’elle reprit rapidement pour ne pas se perdre inutilement dans des pensées impromptues.

-Oui très certainement, le brigadier Blomsberry n’est pas une cible intéressante pour Némésis. Abel Desmontes était un symbole, que son repos soit serein.

Elle n’aimait guère dire ses platitudes mais il pouvait lui sembler ressentir l’ombre tenace des morts au-dessus d’eux, lourds d’attentes quant à ces affrontements qui ne sauront être que plus nombreux et plus violents encore. Il fallait être prêts, il fallait vaincre et tuer. Comme le disait-il, Némésis était puissant, nombreux et sans peur. Ils existaient parmi des êtres capables d’affronter un héraut et pire encore même que cette pensée sinistre.

-Ils osent attaquer la cité haute. Ils n’ont plus peur, ils savent leur puissance. S' ils sont montés pour Abel, ils remonteront pour les autres. Isaac peut revenir pour Dames Forbes. Ils n’ont..ils n’ont sincèrement aucune forme de respect ou de décence pour cette ville.

Les mots étaient puérils, mais voici les pensées d’Allani. Elle prônait l’ordre par dessus le chaos démentiel, les choses sacrifiées pour le bonheur des choses qu’on ne peut pas sacrifier et voir ces êtres prétendent la vérité et le chaos au nom d’un dieu, comme si les dieux il y en avait pas assez ici bas. Elle sifflait presque entre ses dents, son aigu caché parmi le brouhaha ambiant de ce lieu.

Le conseil des hérauts, oui bien sûr.
Cela allait venir.
Ishtar lui avait mentionné en effet un pressant conseil à venir, tant de choses étaient à discuter et l’absence d’un garde du corps serait bien moins remarquée que l’absence des utiles.

Avant même qu’elle puisse assurer de sa participation, le regard dense d’Alvaro coupa ses mots avant que les siens ne jaillissent.
-Couper..la langue?

Elle répétait, l’incrédulité rendait sa voix hasardeuse tant elle ne savait pas où la placer.

-Vous souhaitez…que je coupe la langue si on médit de Dame Forbes?

Allani l’avait dépassé, elle lui rendait un regard insondable par la multitude des pensées.

-Je le ferai si vous estimez que c’est le meilleur moyen d’assurer la protection de l’honneur d’Ishtar Forbes. Il m’apparaît évident que le moindre déshonneur à son nom est une offense passible des plus grands châtiments. Cependant…

Cela risque d’être fort compliqué de couper la langue d’un être comme Galmor Steinhart sans risquer une compromettante situation.

-Je vous ferai parvenir un rapport de ce qui sera dit au conseil, soyez en assuré.

Elle reprenait pied, Allani dans les choses concrètes revivait.