Le soleil s’invite dans des couleurs roses et orangées ; pastels bleus au ciel tendre ; les lumières matinales engorgent la chambre dont les rideaux sont tirés, jamais fermés pour profiter des matins paresseux.
Deirdre a passé un kimono d’un coton raffiné bleu foncé, léger et les tissus volatiles caressant jusqu’à mi-mollets, de multiples grues blanches et rosées pastel pour motif. Elle l’a noué à sa taille et s’est dirigée vers la salle de bain où elle ne passe que quelques instants à se rafraîchir le visage et la nuque, avant de passer un noeud dans un chignon décoiffé à l’arrière haut de son crâne.

Elle a rejoint la cuisine, chaussée de pantoufles duveteuses roses, et a fait préchauffer le four, préparé une plaque de cuisson, lancé sa bouilloire, installé un plateau avec des tasses et des fruits ;
Elle fait tout cela dans une minutie délicate, avec un soin plus tendre qu’il n’est habituel ;
Machinale les jours précédents, tendrement enthousiaste pour ce jour seulement.

Elle enfourne les viennoiseries préparées à l’avance et sorties pour l’occasion lorsque la sonnette résonne à deux reprises.
La poitrine se soulève ;
La bouilloire sonne la température idéale.

Deirdre rejoint le pas de sa porte, et ouvre cette dernière, décortiquant un sourire mécanique à ses lèvres, exprimant des sentiments aussi froids qu’à l’accoutumée ; maladroitement car elle ignore comment faire preuve de chaleur, souvent.

Prise au dépourvu alors, elle s’apprête à saluer Céphas lorsqu’il s’agenouille abruptement ;
Et elle reste en suspends, les lèvres entrouvertes, le regard papillonnant.

Uh-

Deirdre appréhende mal le second degré ; l’humour ; les blagues de manière générale.
Alors elle penche la tête sur le côté, curieusement.

Je préfère “Deirdre”.

Elle lui tend une main de ses longs doigts graciles, l’invite à se relever avant de souffler de ses narines et d’un sourire - ce qui s’apparente le plus à un rire sur le faciès de Deirdre, à vrai dire.

Enfin, loin de moi l’idée de t’empêcher de me sanctifier, cela dit…

Elle s’en retourne à la cuisine, et d’un mouvement de la main, accompagné d’une injonction murmurée ; “ferme la porte” ; indique à Céphas le petit meuble à chaussures qui prend place sous l’escalier.
Une paire de chaussons l’y attend, beaucoup trop grands pour appartenir aux petits pieds de Deirdre.

Une odeur de biscuits flotte dans la pièce.
Elle sort les viennoiseries du four et les parfums embaument la maison entière.

Il fait beau, ce matin, je pensais nous installer au jardin.

La maison entière respirait une profonde solitude ;
Quand bien-même tout y était propre, tout y était rangé et joli, tout y était pensé et décoré, tout y était d’une chaleur presque factice, et pleurait une tristesse mélancolique indicible.
C’étaient les fleurs sèches ;
Les statuettes ici et là qui représentaient un animal ou l’autre ;
Jamais une présence humaine, pas un cadre, pas une photo, une maison gorgée d’aucun souvenirs, d’aucune relation ; rien du tout.

Une belle lumière baignait par les baies vitrées.
Deirdre emmène le plateau jusqu’à la petite table de jardin et les sièges en osier ; des coussins moelleux y sont disposés, et elle s’assied, implicitant automatiquement la place en face d’elle à Céphas.

Bienvenu chez moi. As-tu mis longtemps jusqu’ici, depuis ta maison ?

Le dos droit, les genoux serrés.

Libre ?

Elle regarde avec lassitude la maison qu’elle a choisie ;
Aimée, à sa manière.

Deirdre se voulait libre ; se voulait insaisissable.
Se croyait sûrement indépendante, et se surprenait à entendre l’implicite qu’il lui proposait ;
L’imaginait-il esclave ?
Était-elle esclave ?

Je n’aimerais pas d’entendre mon écho dans d’immenses pièces vides.

Elle sert le thé avec délicatesse, tend une tasse à Céphas et une coupelle dans laquelle elle dépose deux sucres et une cuillère ; avant de se servir elle-même.
Elle tend une toute petite assiette sur laquelle un croissant aux amandes généreux et croustillant ; encore chaud ; trône fièrement.

Et je n’aimerais pas les soins maladroits et inadéquats apportés par des salariés indifférents.

Deirdre aimait que personne n’intervienne dans son espace ;
N’aimait aucun intrus, aucun inconnu ; que personne ne s’invite dans son cadre privé, intime ;
Ne voulait aucune autre odeur que la sienne pour attraper de leurs mains impropres les draps de son lit ou la vaisselle en porcelaine.

Et malgré cela, elle l’avait invité chez elle.
Dans son domaine où il ne pouvait exister qu’elle.

Comment mes fleurs pourraient être belles si ce n’est pas moi qui leur témoigne que je les aime ? Elles ne seraient que des fleurs, si ce devait être un jardinier qui les taille. Alors que celles-ci, ce sont les miennes.

Le jardin était fleuri de toutes parts ; de toutes évidences, Deirdre avait la main verte.
Des buis de fruits sauvages en faisaient le pourtour.

C’est le seul endroit, en vérité…

Elle baisse le regard vers son croissant à elle.
Puis vers sa tasse.

Qui m’appartienne tout entier.

Elle frotte ses mains contre ses genoux, visiblement dérangée.
Par son propre corps ; peut-être.
Elle serre les mâchoires, avant d’arquer un sourire.

Il y manque seulement de compagnie. Mais te voilà, alors je suis ravie.

Il y a comme un aveu sous-jacent, et elle baisse à nouveau les yeux, attrape son croissant, mord dedans.
Il y a comme dans le rictus arqué à ses lèvres une forme de moquerie envers elle-même.

Elle termine sa bouchée.
Relève le regard pour le planter dans le sien.

Si ça n’avait pas été toi, j’aurais du me contenter de mes fleurs.

”Il n’y aurait eu personne d’autre pour prendre cette place.”