Au sein de cette famille harmonieuse se sont glissées quelques dissonances. Des désaccords muets aux allures de notes paisibles, une discorde secrète que l’on tait afin de ne pas compliquer ce qui l’est déjà trop.
Les jours, les semaines et les mois défilent tandis que l’on rêve de laisser la franchise s’embraser ; les jours, les semaines et les mois défilent tandis que l’on étouffe les flammes rancunières en scrutant la mine de votre patriarche, dépassé dans une nation où votre nom ne rime plus avec une quelconque renommée.

Ciaran côtoie les spectres du passé au sanctuaire.
Lazare fréquente le Conseil Écarlate aux intentions meurtrières.
Lison séjourne paisiblement à Arkmère.
Et toi, tu vois simplement les liens familiaux se défaire.

Peut-être que finalement, les véritables cadavres des Buchanan ne sont que les quatre membres restants. Famille disloquée par les épreuves et le chaos engendrés par une divinité égoïste et ses fidèles qui n'ont rien à lui envier. Famille menacée par une nouvelle membre insérée, une intruse aux mains tachées de sang.
Et ça gronde de haine et de colère, dans ta gorge, à chaque fois que tu croises cette chevelure enflammée.
Cela te démange, ronge tes entrailles, cette envie de lui réclamer de vous rendre ce que son petit groupe vous a dérobé.

L'atmosphère est lourde, dans la pièce, en attendant l'arrivée du petit prince ; silence pesant et annonciateur de discordes.

La posture droite et fière, tes pupilles se dirigent vers Ciaran en l’entendant fouler le seuil de la pièce. Un regard complice rendu.
Il sait tout, et vous vous comprenez.
Si ses iris sont vides de vitalité, les tiens flamboient d’une rage silencieuse.
Ses mains posées sur tes épaules, tu le laisses introduire le sujet avant de croiser les bras, simplement ajouter d'une voix claire et imposante.

— Nous ne sommes pas là pour t’empêcher d’avoir des relations Lazare, et nous sommes pas là pour te critiquer, il y a deux ans, de t’être subordonné à Isaac Weidmann. On le sait, tu as fait ça pour notre famille, et nous te sommes reconnaissants pour ça. Mais…

Le visage durcit ses traits. Le menton levé, ton regard braqué sur le patriarche, tu hausses l'un de tes sourcils.

— Ciaran a raison. Cette famille en est-elle encore vraiment une, justement ? Nemesis… a détruit Tempelhelm, détestait les dynasties, nous détestait. À cause d'eux, nos parents, nos sœurs, ton frère nous ont quittés… Il n'y a plus d'obligation, aujourd'hui. Notre nom n'a plus de valeur si ce n'est pour nous. Et voir Aralia Grant s'infiltrer chez nous, se promener impunément dans notre demeure.

Léger tremblement dans ta voix.

— Je trouve ça insupportable.

Comme si Nemesis, dans leur haine des dynasties, était parvenu à vous punir en introduisant une bactérie dans votre écosystème.
Tu parles à cœur ouvert, peu importe si ces complaintes s'imprègnent d'émotivité puérile, se dégarnissent de toute vision politique.
Sourcils froncés, tu conclus.

— Encore plus quand nous aurions pu rejoindre Lison.

Votre vraie famille.

Patriarche des gardiens de l’histoire de Tempelhelm, de ses secrets.
Maître des mots au sein d’un conseil insensé, graine de raison implantée.
Bien des dénominations qui écrivent le profil d’un homme de raison, et le silence lie tes lèvres en entendant sa voix d’adulte résonner — raisonner. Tu ne l’interromps pas, laisses ta colère s’atténuer en constatant que Lazare demeure quelque peu rationnel, mentionnant son lien au gouvernement de Greygarde.

Tu étais prête à incarner l’imbécilité de la jeunesse face à l’ancienne génération,
Tu tombes de haut en l’entendant parler de cœur.
Tu te sens comme une enfant ayant tant grandi que tu peux désormais témoigner des failles déraisonnées de ses aînés.

Et tu détestes ça.
La poitrine se gonfle de courroux face à cet acte de trahison.

Ciaran se déchaîne, te laisse dans la stupeur d’ainsi voir le prince silencieux briser son calme. Mais qu'il le fasse. Qu’il laisse éclater la tempête qui se déchaînait chaque jour dans son cœur — épargnant le monde de ses rafales.
Qui es-tu pour le pointer du doigt ?
Un rire étouffé se brise dans ta gorge, les dents serrées.

— Je n’arrive pas à en croire mes oreilles, Lazare…

Un large sourire amer s’étend jusqu'à tes oreilles.

— Tu ne comprends rien… Il ne reste plus que nous, maintenant. Que nous rejoignons Lison ou restons à tes côtés, nous laisserons un morceau de nous derrière… Que tu aies des affaires ici est compréhensible, mais que tu aies le culot de nous faire une demande si égoïste…

La voix déraille sur la fin de ta tirade, syllabes sifflantes entre tes canines, se transforme en un ricanement nerveux.
Un goût métallique se dépose sur tes papilles gustatives ; tu réalises alors que tu n’arrives plus à contenir cette mauvaise habitude de te mordre les gencives, mâchoire rebelle.

— Tous dans cette famille, nous faisions des efforts, des sacrifices au nom des Buchanan. Tu tenais tant à notre réputation, et malgré nos affaires, malgré nos travers, nous avions tout fait pour rester une dynastie discrète. Nous avons tout fait pour ne rien entacher, parce que nous respections tous ton autorité, ton jugement, ton perfectionnisme. Nous avons été nombreux à étouffer par respect, par amour pour notre famille.

Tes parents qui domptaient les lionnes de la fratrie.
Cara qui savait se tenir malgré son décalage.
Ariel qui encadrait sa violence.
Zayn qui censurait ses vices.
Lison qui camouflait sa liaison.
Ciaran qui se laisse écraser par la culpabilité et les pertes.
Et toi qui a sacrifié tes valeurs et tes rêves pour la famille Buchanan.

— Parce qu’à défaut de nos mots, ce qui était authentique pour nous, c’était les liens du sang !

Tes ongles se plantent dans tes paumes, liquide rougeâtre perlant sur ton épiderme blanc.

— Tout ça pour que tu t’amouraches de celle qui l’a versé ?!

Ton timbre diminue de volume, las et chargé de reproches.

— Nous aussi, Lazare, nous aurions aimé croire que le passé n’était pas révolu… Mais comme les nôtres, la femme que tu as connue nous a quittés.

Et une larme coule alors que tu brises cette carapace de déni, laisse entrevoir que tu n'es rien de plus qu'une simple enfant.