L’échange de courriers s’était avéré plus amusant que ce qu’il avait pu s’imaginer.
La plume de Diana-Maria était aiguisée, traduisait d’une certaine forme d’éducation parfois impropre au peuple Greygardien.
Artorias était donc heureux de pouvoir échanger avec quelqu’un de suffisamment intelligent pour savoir quand il n’était pas possible de négocier.
La parole du souverain faisait loi, jusqu’au choix de sa tenue.

Lorsque son invitée se présenta au château Harcourt auprès des gardes déjà avertis de son éventuelle arrivée, elle fut conduite en peu de temps dans les appartements du Roi.
L’intérieur de la pièce profitait d’un certain raffinement, la propreté était exemplaire et coupait court aux fantasmes du peuple qui pouvait bien imaginer des armes ou instruments de torture accrochés aux murs.
La chambre du monarque ressemblait à celle de n’importe quel noble, à la différence des nombreux cadres de verre qui parsemaient les zones libres sur les murs de la pièce.
Ces derniers renfermaient toutes sortes d’insectes.

Artorias avait accueilli Diana-Maria avec un large sourire, traduisant son excitation face à cette rencontre qu’il avait anticipée depuis presque deux semaines.
S’il avait su qu’il suffisait de menacer un directeur d’orphelinat pour la faire venir jusqu’à elle, peut-être l’aurait-il fait il y de cela deux ans.

La courtoisie dont faisait preuve la mère des enfants d’Eclipse était absolument remarquable.
Le monarque profitait de la caresse de ses mots et du respect de ses instructions.
L’on pouvait le dire : il était satisfait.

Le Roi dépose sa main contre son cœur et une voix enjouée se prononce.

Enchanté, Diana-Maria Wright. Le plaisir est partagé. D’autant plus que si la rumeur dit vrai au sujet de votre implication dans la descendance du “fils” d’Eclipse, vous êtes vous aussi une personne sacrée sur nos terres.

Il s’était approché d’elle, le pas joyeux.
Mais apportait avec lui une atmosphère pesante, violente.
Aucun sourire ne saurait dissimuler l’odeur de sang.

Oh, croyez-le, nous adorerions partager notre couche avec vous un soir de crépuscule. Mais vous n’avez rien d’une catin. Et nous non plus. Profitons de l’instant présent pour apprendre à nous connaître, voulez-vous ?

Sa prothèse métallique tendue en direction de Diana-Maria.
Pour l’accompagner se reposer sur un siège.

Vous trouverez certainement notre manière de vous aborder bien cavalière mais nous eûmes peur que vous veniez à notre rencontre en étant armée. Il était également intolérable d’imaginer qu’un simple garde puisse vous déshabiller afin de vous fouiller. Raison pour laquelle nous avons demandé une tenue légère. Il va de soi qu’aucun mal ne vous sera fait du moment que vous resterez sous notre protection.

Ses mains se déposent à plat sur ses cuisses.

Nous aurions aimé vous poser quelques questions. Premièrement : en échange de quoi seriez vous prête à trahir Isaac Weidmann et nous le livrer ?

Le faciès faussement enjoué, Artorias était resté silencieux et à l’écoute.
Elle n’avait pas répondu à sa question.
Artorias n’aimait pas qu’on ne réponde pas à ses questions.

Serait-ce coutume à Tempelhelm de répondre à une question par une autre ? Ou peut-être pensez-vous être en droit de nous réclamer des explications ?

Le teint s’était assombri, la voix s’était faite plus caverneuse.
Quand bien même le souverain avait fait montre d’hospitalité envers Diana-Maria, il était nécessaire qu’elle comprenne qui était en contrôle de la discussion.
En tant que monarque de l’Aube Rouge, Artorias ne se voyait pas inférieur à quelconque héraut que puisse être Isaac Weidmann.
Par ailleurs, ce dernier n’avait jamais tenté d’asseoir cette position en ses terres.
D’ici à ce que le héraut d’Eclipse ne vienne témoigner de son respect à la couronne, il ne sera rien d’autre qu’un étranger.
Il en va de même pour la porteuse de ses enfants.

Après avoir laissé s’écouler plusieurs secondes d’un silence pesant et d’un regard mauvais, Artorias avait revêtu une nouvelle fois son masque de bienséance.

Enfin, votre curiosité s’explique facilement. Alors nous ferons en sorte d’assouvir la vôtre avant que vous ne puissiez assouvir la nôtre.

Son menton était venu se déposer au creux de sa prothèse métallique.
Un sourire malicieux orne les lèvres alors que ses iris se baignent de provocation.

Avant qu’il ne s’annonce officiellement en nos terres comme le vecteur de la parole d’Eclipse, Isaac Weidmann n’est pas plus héraut que fermier. Aucun outrage n’a donc été adressé à notre Dieu, soyez en sûre, puisque votre amant n’est le représentant de rien d’autre que son propre nom. La parole d’Eclipse en Hakar est l’Aube Rouge. Et nous sommes l’Aube Rouge, dame Wright.

Artorias s’était approché d’elle.
La violence bestiale au creux de lui.

Ce qui nous intéresse le plus est de savoir de quel côté de la barrière vous situez-vous. Voyez, d’aucun de notre famille pourrait estimer que votre volonté d’échapper à nos griffes puisse être le signe d’un rejet complet de notre doctrine, pourtant tirée des enseignements de notre Dieu. Mais le fait que Isaac Weidmann se considère toujours, selon vous, comme le héraut d’Eclipse soulève quelques interrogations.

Transperce de ses deux iris bleutés l’enveloppe de Diana-Maria.

”A-t-il pour projet de prendre la tête de notre belle nation”, par exemple ? Vous ne donnez pas l’air d’une servante, Diana-Maria Wright.

L’apparente docilité de la femme en face de lui n’éveillait aucune intention malveillante.
Artorias n’avait pas pour envie d’en faire une servante, mais si elle n’en était pas une, qu’était-elle ?
Le souverain de Greygarde ne pouvait pas autoriser la menace que représente Isaac Weidmann s’il continuait à se considérer héraut de Eclipse.
Toutefois, le discours de Diana-Maria faisait sens.
S’il était en mesure de la dominer aisément dans la situation actuelle, cela ne lui apportait aucune sécurité lorsqu’elle aurait quitté les murs du château.
La séquestrer était une option plausible, mais avait-il réellement pour intérêt de rentrer ouvertement en conflit avec ce qu’elle représentait ?
Nul doute que les Porteurs de Tempelhelm étaient encore loyaux à Isaac Weidmann.
Et par extension : Diana-Maria Wright.
Il en va de même pour celui qui se prétendait être son garde du corps.

Artorias avait conservé une stature droite, impériale, alors qu’il adressait un regard haut à son interlocutrice.

Vous êtes une femme aussi intelligente que loyale. Nous respectons cela. Mais vous ne connaîtrez pas la paix dans la neutralité. Nous ne pouvons pas admettre qu’il puisse exister une dimension dans laquelle vous pourriez profiter de votre influence pour rallier les anciens membres de votre groupuscule afin de vous opposer à nous, même si cela devait être au profit de quelqu’un d’autre.

L’existence d’Ishtar Forbes et de Graham Blomsberry restait une épine dans son pied et il ne pouvait pas accepter l’éventualité d’un ralliement Tempelhien pouvant lui porter préjudice.

Le maintien de Greygarde sous une seule forme d’autorité était primordial.

Ce qui est un paradoxe, parce que nous vous préférons absents qu’officiellement au service de la couronne. Voilà ce que nous proposons : vous continuerez de vivre une vie désuète, loin du rivage politique d’Hakar, mais cette vie se fera sous le regard de la couronne. Vous ne communiquerez à personne d’extérieur à Greygarde sans l’accord de la couronne et vous viendrez vivre sur nos terres afin de faciliter votre surveillance. Tout ceci se fera dans la confidence. Faites cela et nous cesserons de vous pourchasser et nous veillerons à votre protection ainsi qu’à celle de Bartolomeo Wright et des enfants à sa charge. Vous constaterez qu’il ne s’agit pas d’une menace mais d’un échange de bon procédé, une manière de s’assurer que vous ne viendrez pas perturber ce que nous avons battit à Greygarde.

Certainement Mordred serait-elle ravie d’apprendre qu’il avait acheté l’immobilité des deux éléments perturbateurs.

Il ne vous sera rien demandé d’autre que la loyauté auprès de la couronne. Et votre “héraut” se devra de venir jurer fidélité à nous ainsi qu'à notre sœur jumelle.

Sa main humaine se porte jusque devant le visage de Diana-Maria.
Agite son annulaire, lequel était entouré d’une chevalière gravée des armoiries de la Maison Harcourt.

L’Aube Rouge ne souhaite pas vous considérer comme des esclaves mais comme des alliés potentiels. Si vous veniez à trahir notre confiance, nous vous écraserons vous et tous vos partisans jusqu’à faire disparaître jusqu’au son de vos patronymes.

Diana-Maria avait acquiescé, embrassé la bague et le souverain n’était pas doté de la subtilité nécessaire afin de constater le dégoût dans lequel cela l’avait plongée.
Alors il s’en satisfaisait, sans mal, dans un sourire carnassier qui venait se dessiner sur son visage de porcelaine.

Ainsi soit-il.
Et c’était vrai, puisque le roi avait parlé.
En toute honnêteté, Artorias n’avait pas de désir particulier à faire la guerre au héraut d’Eclipse et à sa compagne.
Quoi que puissent être leurs ambitions, qu’il s’agisse d’une paix dérisoire ou non, ils représentent tous deux un danger au vu de leur influence respective.
Parce que Diana-Maria n’était pas juste une belle poupée aux bras de l’envoyé d’Eclipse, elle était sa propre combattante, prête à mener ses propres guerres.
Cela ne faisait aucun doute aux yeux du Roi, puisqu’elle était venue d’elle-même sur ses terres.

Lorsqu’elle demandait s’ils avaient terminé, le souverain agita sa prothèse métallique de gauche à droite, dans un refus énergique.

Pas encore !

Avec une certaine élégance, le mouvement de son épaisse cape accompagnant ses pas, le monarque s’était affairé à rejoindre un bureau taillé dans un bois sombre et massif pour se saisir d’un objet déposé sur un plateau d’argent.

Revenu au contact de Diana-Maria dans un rythme de pas régulier, presque martial, il avait déposé un genou au sol pour lui tendre, dans un premier temps, une plaque métallique sur laquelle figurait l'emblème des Harcourt.

Cet objet sera la preuve de l’égide protectrice sous laquelle vous êtes placée. Elle vous offrira les autorisations nécessaires pour passer nos frontières et vivre sur nos terres sans vous soucier de l’argent.

Ensuite venait le second objet.
Un Olid, lui aussi gravé des armoiries de la maison du Roi.

Ceci vous permettra de nous contacter en cas de nécessité.

Lui adresse un dernier sourire, charmeur.

Pourrions-nous embrasser votre main, à notre tour, afin de sceller notre alliance ?

Le souverain de la nation à la gargouille avait semblé amusé par l’évocation d’une coutume à laquelle même le roi se plierait, lorsqu’il s’agissait de former une alliance.
La question n’avait pas vraiment lieu d’être.

Cela n’est pas une coutume, très chère, parce que la couronne ne s’associe pas à qui que ce soit. Du moins, pas en temps normal.

Artorias n’avait pas la nécessité d’embrasser la main de qui que ce soit, parce qu’il ne formait tout simplement pas d’alliance.
Le roi de Greygarde était une force destructrice qui ravageait tout sur son passage et à laquelle on accordait des faveurs pour n’être simplement pas inquiété de ses élans destructeurs.
Qui plus est, le monarque était une tempête à la direction changeante et il était difficile de considérer qu’il veuille s'enfermer de quelconque manière dans un accord rapidement désuet.
Néanmoins Artorias avait été éduqué dans l’amour d’Eclipse, de l’Aube Rouge, et de fait le héraut d’Eclipse ainsi que sa compagne se devaient d’être considérés différemment des autres.
D’autant plus qu’elle avait porté, de ce que l’on raconte, les enfants de l’unique envoyé du Dieu corrupteur.
Comment imaginer, en ce cas, qu’elle ne se soit approprié aucun trait divin ?

Vous saurez faire preuve de convenance envers nos traditions, nous en sommes sûr. Mais considérez bien que vous êtes un cas à part, Diana-Maria Wright, et que de fait aucune tradition ne s’applique réellement à vous. Vous n’êtes pas “commune”.

Il se saisit alors de sa main avec tendresse entre la froideur de ses doigts métalliques et ses lèvres s’étaient déposées contre le dos de cette dernière.
L’embrassade avait été fugace mais pas dénuée de chaleur.

Après s'être défait de sa main afin de la lui rendre, le souverain s’était relevé.
Se dressait comme une ombre large et menaçante.
Pourtant, il ne faisait preuve d’aucune forme d’intimidation envers elle.
Son visage était empreint d’une certaine candeur, presque enfantine.
Il aimait qu’on s’intéresse aux valeurs de ses terres.
Parce que Greygarde, c’était lui.

Mais avec cet emblème entre vos mains, vous serez en mesure de vous saisir de ce qui vous fait envie, à n’en pas douter.

Quand bien même l’emblème en elle-même n’était pas toute puissante et qu’elle ne pourrait outrepasser les mentions abrogés par lui ou sa sœur jumelle, elle serait bien suffisante pour lui permettre de vivre bien au-delà d’un simple roturier.
Elle serait surveillée avec suffisamment d’attention pour ne pas pouvoir utiliser cette dernière pour s’opposer à la couronne.

Une Reine n’est rien de plus qu’une personne capable de s’élever au-delà de ses pairs, après tout.

Comme il avait su se tenir au-dessus du reste d’Hakar.
Et son père avant lui.