Plusieurs jours avaient passé.
Plusieurs nuits sans rentrer ;
A dormir à même son bureau, à Neptunia Harbor.
Allani était passée, avait rangé ses dossiers, avait déposé une tasse de thé.
Et était repartie avant que Ishtar ne se réveille ;
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, les muscles étaient douloureux, de trop de nuits crispées.

Un regard s’épuisa près de sa main ; de l’alliance à son doigt.
Le coeur pleurait mais plus une larme n’était venue encombrer le bord de ses yeux secs.

Elle précipitait ses propres sentiments dans des abysses noires ;
Comme elle se détestait, parfois, Ishtar, de ses tempétueuses émotions, de ses impulsivités et de son orgueil ; comme elle se détestait, Ishtar, de déchirer de ses propres dents, de griffer de ses propres ongles, les amours qu’elle avait mis tant de temps à construire.

Un vertige dans la poitrine.
Avait-elle seulement fait le deuil de son frère ?

A cette seule pensée, elle avait envoyé valser la porcelaine qui s’était écrasée dans un bruit sourd sur le tapis.
Ne s’était pas brisée, par un coup de chance absurde qui la fit ricaner.
Fallait-il une preuve que son impulsivité n’était pas nécessairement destructrice ?

Elle se recroquevilla contre son bureau, abattue.
”Reprends-toi.”
Le coeur étouffait.

Tu me manques, je suis tellement désolée.

Ishtar n’avait pas repris la voiture.
Elle avait marché, lentement, sous un soleil de plomb.
Le temps avait été long.

Arrivée devant la porte, elle y enfonça ses clés, entra.
Une impression de lourdeur gagnait la cage thoracique au premier pas qu’elle fit dans le hall.
Elle se débarrassa de ses chaussures, les laissa sur le côté.
Déposa ses clés sur le crochet à côté de l’entrée.

Et le pas se dirigea vers le salon où il était ; là ;
Immobile.
Ishtar resta muette un instant, ne savait pas bien quoi dire - où se mettre.

Les lèvres entrouvertes d’abord, elle finit par articuler.

Laisse-moi parler.

Elle baissa la tête, les cheveux lâchés cascadaient ;
Retombaient - cachaient son visage.

Lorsqu’elle releva le regard vers lui, ils retournaient devant ses épaules.

Je suis désolée.

Il était rare que Ishtar s’excuse ;
Ou si elle s’excusait, c’était noyée d’une culpabilité trop lourde pour elle-même, trop lourde pour le coeur ; et souvent lorsqu’il était trop tard.
Elle était désolée à Galmor, désolée à Alec ; désolée lorsqu’on ne pouvait plus l’entendre ou seulement dans l’au-delà.

Était-ce trop tard pour ses excuses envers son mari ?
Elle avait laissé s’écouler tellement de temps.
Une sorte de panique l’étrangla, mais elle se racla la gorge avant que ça ne la paralyse.

J’ai compris pourquoi tu me contrariais, mais j’étais frustrée, et me sentant au pied du mur, je me suis rendue plus bête que je ne le suis. Je t’ai négligé. Par orgueil, principalement. J’étais vexée, et j’ai refusé de t’accorder du terrain par fierté.

Serre les mâchoires.
Elle détestait cette position ; cette situation.
Le regard qu’elle déposa sur Alvaro était intense, sévère ; plus envers elle-même qu’envers lui.
Elle ne se serait fait subir cette discussion pour personne d’autre.
Mais son mari ; et son mariage ; valaient la peine qu’elle enterre son ego au moins pour une heure (pour le reste de sa vie, si on lui demandait).

Je m’excuse. Pour ma réaction démesurée. Pour les propos que je t’ai tenus. Pour mes déclarations impulsives. Je ne veux pas me passer de toi, de ta collaboration ou de ton avis.

Les cernes violettes sous les yeux témoignaient des nuits manquées ;
Mais les mots et les pensées étaient plus clairs que jamais.

Je ne pouvais pas revenir plus tôt pour te le dire. Pardon, pour ça aussi.

A l’accueil qu’il réserva, dans un premier temps, à ses excuses, Ishtar souffla du nez.
Pas vraiment comme un rire, pas vraiment comme un soupir.
Il y persistait, cependant, du soulagement.

Elle l’avait écouté silencieusement, le regard planté sur lui.
Et finalement, elle haussa un sourcil, un rictus creusant les joues.

Tu es obsédé, mon chéri.

Un rire flotta à ses lèvres.
Elle secoua les épaules légèrement, avant de s’en retourner à la cuisine, ouverte sur le salon, mis de l’eau à chauffer en fouillant ses placards pour en sortir des tasses.

Je te fais les excuses les plus élaborées de ma carrière, et tu ne penses qu’à la manière dont tu pourrais me punir. Je vais finir par croire que tu aimes me voir t’implorer.

La fatigue creusait son visage.

Je n’ai pas beaucoup dormi.

Sortait du placard une boîte d’une infusion à la lavande et à la valériane.

Pourrais-tu faire preuve de clémence avec moi jusqu’à ce que j’aie récupéré assez pour t’implorer à genoux comme il se doit ?

Revenait avec deux tasses fumantes, en posait une sur la table basse, et s’installait dans le canapé avec la sienne entre les mains.

Je n’aimerais pas que tu penses que je ne m’applique pas.

Reste.

La voix ne laissait place à aucune contestation, quand bien-même elle était emplie de tendresse. Si Alvaro préférait s’esquiver à la discussion qui les avait fait monter de ton dans un premier temps, ça n’était pas son cas à elle, qui avait passé ces derniers jours à y penser.

C’était d’ailleurs une des raisons de son manque de sommeil ; après, bien entendu, les sentiments déchirants qui l’attrapaient lorsqu’elle pensait à leur échange.

Greygarde.

Elle laissa planer un long silence.
Le regard froid.

Tu viens avec moi. Cependant.

Elle lui avait au moins accordé cela.

Tu attendras en dehors de la salle dans laquelle je rencontrerai le roi.

Guettait une réaction sur son visage.
L’effet que cela aurait sur le message à faire passer serait amoindri, mais Ishtar avait retourné la situation dans tous les sens ;
Alvaro ne l’aurait pas laissée faire, et elle n’avait pas l’intention de lui faire courir un quelconque danger ;
Avait considéré qu’Alvaro serait un danger pour lui-même si elle venait à se montrer aussi audacieuse.

Cela te convient-il ?

Une forme de frustration aux lèvres ;
Car elle se retrouvait à devoir amoindrir sa prestance pour satisfaire les états émotionnels de ses alliés.

Autrefois, il s’agissait de gérer la trop grande empathie de Allani ;
La trop grande sensibilité de Alessio.
Elle ne s’attendait pas à devoir gérer la trop grande affection de Alvaro - n’aurait jamais cru que ses sentiments à lui pourraient être un sujet ; elle aurait ri, trois années plus tôt, si on le lui avait dit.

Elle ne s’en plaignait pas, à vrai dire.
Elle préférait le savoir vivant qu’éteint.

“Non”
Abrupt aux lèvres ;
Ne faisait pas sens immédiatement, car Ishtar songea qu’il n’y avait plus rien à redire.

Lorsque la suite arriva, elle resta muette de ses mots - moins de ses sentiments qui gorgeaient le regard.
Alvaro n’était pas un idiot ; loin d’être un imbécile ; et si elle le savait déjà, elle aimait qu’il se prouve.
Mieux que de la laisser opérer, il lui offrait une collaboration viable, profitable.

C’est entendu.

Une complicité dans le regard.
Un rictus au bord des lèvres.

Tu partiras demain. Je me mettrai en route pour la demeure de Cronos Lynes avec Orion. Nous y resterons le temps qu’il acceptera, puis je me mettrai en route pour Faestor et demanderai une audience avec le roi.

Car malgré tout, la politesse restait de mise et elle n’aurait jamais exigé d’un roi de lui accorder un temps auquel il n’avait pas consenti. Elle savait mesurer ses limites ; demander audience était la moindre des choses.

Alvaro.

Le regard planté dans le sien, sévère.

Comme d’habitude.

S’approcha d’un pas dans sa direction.

Ta survie avant le reste.

Ne se permettrait pas de dire “avant la mienne” car elle n’était pas sourde à ses sentiments qui grondaient ;
Mais rien d’autre n’avait d’importance que de rester en vie - lui et elle.