Le travail abattu par Ivoryrift sur le reste du continent dépendait principalement de l’efficacité des équipes envoyées en expéditions.
L’équipe habituelle d’Alvaro était formée de Mésange Seadust ainsi que de Orion Forbes, ses protégés.
Au cours des deux dernières années, l’ancien assassin avait développé une cohésion dans son travail d’équipe et même une forme de leadership, lui qui avait pourtant poursuivi sa formation et ses missions en solitaire sous le joug du Confesseur.

La géopolitique du continent de Hakar lui avait toujours échappé, il n’était pas parvenu à assimiler complètement les mœurs d’un territoire aussi dérisoire que celui de Tempelhelm malgré y être né, il était donc peu probable qu’il arrive à s’adapter à l’environnement d’une nation.
D’autant plus qu’il n’avait jamais juré fidélité à l’une d’entre elles, puisqu’il avait continué à œuvrer dans les intérêts de sa femme Ishtar Forbes.
Raison pour laquelle il se contentait de mener des expéditions au cœur des Terres de l’oubli plutôt que de faire preuve de diplomatie comme pourrait le faire, à contrario, Allani Marquez.
La répartition des missions se basait sur les compétences individuelles de chacun, raison pour laquelle il n’était pas amer d’agir plus sur l’aspect militaire que comme une figure d’influence sur le continent.

Au retour de sa mission, Ishtar avait convoqué Alvaro qui était quant à lui déjà rentré de la veille.
Le rendez-vous aurait lieu dans un cadre plus privé, plus intime du fait de leur mariage, que comme une véritable réunion officielle.
Alvaro devinait donc qu’il s’agissait plus d’une opinion personnelle que d’un conseil stratégique, puisque Allani n’aurait pas été écartée d’une décision importante.

Alvaro l’avait retrouvé dans le salon de leur maison, après qu’elle eût profité d’une douche bien méritée.
Un rictus naquit au coin de ses lèvres à sa simple vision.
Le temps était long, loin d’elle.

Tu viens d’arriver et pourtant tu es déjà sur tes dossiers ? Tu devrais prendre le temps de plus te détendre. L’Eridium ne va pas s’envoler, tu sais.

Le pouvait-il seulement ?
En tant que mari, il aurait apprécié d’Ishtar qu’elle prenne plus soin de sa santé et des muscles endoloris plutôt que d’Ivoryrift.
Mais il savait aussi combien ce groupe était important pour elle.
De même que la sécurité des membres qui composent ce dernier.

L’ancien assassin s’était avancé dans le salon jusqu’à s’asseoir dans un fauteuil à proximité du canapé.
Penché en avant, ses bras reposent contre ses cuisses alors que ses doigts se croisent.

Des “choses” ? Tu as fait une découverte, pendant ton excursion ?

Ce cas de figure n’était pas à négliger.
Les Terres oubliés regorgeaient encore de nombreux secrets.

Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

Comme à son habitude Alvaro avait délivré un silence respectueux lorsque Ishtar commença à faire étalage de ses préoccupations, quand bien même un sourire tendre lui avait été adressé suite au mouvement de son pied contre ses mollets.
Il était vrai que Greygarde était une nation particulièrement hostile à ce qui n’était pas sous leur autorité directe et même pour quelqu’un d’aussi bien entouré qu’Alvaro, il avait toujours préféré agir seul dans cette nation pour profiter de sa discrétion innée.
Le peuple du royaume à la Gargouille était fidèle à la couronne - d’une loyauté imposée par des années de servitude - si bien qu’il était pratiquement impossible d’obtenir des informations sur la famille royale sans éveiller la méfiance des natifs.

Ivoryrift s’était engagé à livrer une étrange pierre aux dirigeants de Greygarde sans pour autant comprendre leur attrait pour cette dernière, cela en faisait également une préoccupation pour Ishtar.
Participaient-ils, sans le savoir, à quelque chose de dangereux ?

D’un autre côté, s’ils ne nous ont pas évincés malgré leur méfiance, c’est que nous sommes déjà indispensables auprès d’eux. Ta relation avec leur Roi a au moins le mérite de nous démontrer qu’ils n’échangent pas avec nous de gaieté de cœur. Je ne suis jamais parvenu à apprendre quoi que ce soit sur la famille royale. Les habitants de Greygarde se cloîtrent dans une adoration morbide rien qu’à l’évocation du nom “Harcourt”.

En ce qui concerne ses protégés.

Pendant l’occupation de la cité haute par Nemesis j’ai eu l’occasion de constater que Orion avait entretenu une relation avec Cronos Lynes, le cavalier de la guerre. Il me semble que ce dernier est devenu Porteur d’une ville Greygardienne ? Vu qu’il n’officie pas à la capitale, peut-être qu’il serait plus facile de l'approcher que d’approcher Lazare Buchanan ?

Alvaro était bien conscient que la relation qui avait uni jadis les deux hommes n’était plus réellement cordiale, mais si Orion devait oublier les rancœurs afin de pérenniser la position d’Ishtar auprès de la famille royale, nul doute que ce dernier en serait capable.

Pourtant, malgré des similitudes dans leur tempérament changeant, Weidmann ne s’est jamais déclaré comme un allié de la nation de Greygarde, quand bien même ils vénèrent tous deux Eclipse. A moins qu’ils mettent la main sur lui en premier, c’est un problème de moins.

S’enfonce un peu plus dans le fauteuil, l’air pensif.

J’imagine que Greygarde ne prendrait pas le risque de se mettre en retard par rapport à Arkmere ou Dawndale en se passant de nos services. Cela pourrait provoquer un déséquilibre qui serait à leur désavantage. Mais, là encore, impossible de savoir ce qui se passe dans la tête de ces gens. Ian Carter aurait pu se révéler être un allié précieux. Est-ce que je peux te demander ce qu’il s’est passé entre lui et toi ?

Pouvait comprendre sans mal la réticence entretenue par Ishtar à l’idée de baser la sécurité de leur groupe sur un statu quo aussi discutable que éphémère.
Sa femme ne souhaitait visiblement pas s’étendre d’avantage sur la relation partagée avec Ian Carter et Alvaro, respectueusement, ne fit preuve d’aucune insistance à ce sujet.
Considérerait simplement le dynaste comme indisposé à leur venir en aide d’un point de vue diplomatique.
La remarque échangée au sujet de Isaac Weidmann lui fit hausser un sourcil, Alvaro n’avait jamais été en mesure de comprendre quoi que ce soit au sujet des Dieux et de leur influence.
Le comportement de l’ancien leader du mouvement Nemesis avait été plus nébuleux que jamais et l’assassin avait cessé de chercher à justifier le chaos de cet homme.

A la suggestion d’entrer en contact avec Cronos Lynes par l’intermédiaire d’Orion, le mentor se voulait plutôt affirmatif.

Orion fera ce pour quoi il a été entraîné. Si je le lui demande, il fera de son mieux pour obtenir une audience. Je ne doute pas qu’il puisse se montrer persuasif, au besoin.

Néanmoins, à sa dernière demande, Alvaro écarquilla des yeux avant d’afficher une mine contrariée.
S’il y avait bien un endroit où il n’avait pas l’intention d’abandonner Ishtar, c’était sur le territoire des Harcourt.
Et s’il s’était avéré docile envers elle dans toutes les situations, cela n’avait pas lieu lorsque sa vie était menacée.
Alvaro avait juré de ne pas la perdre et auquel cas, il avait juré de la suivre dans la mort.

Quand est-ce que j’ai cessé d’être ton ombre, Ishtar ?

L’assassin avait décidé d’être fixé sur ses positions.
Il ne se prêterait à aucune négociation en ce qui concerne son accompagnement.

Je ferais parvenir la liste de tes instructions à Allani. Mais je ne te laisserais pas aller à la rencontre des Harcourt sans moi. Je n’ai pas l’intention de t’empêcher d’y aller mais s’il doit t’arriver quelque chose, il m’arrivera la même chose. Et je te demanderais de ne pas insister à ce sujet.

Le regard était fixe, intense, dans sa direction.

N’essaye pas de me faire accepter un monde où tu n’es plus là.

Tu l’as déjà fait une fois de trop.
Et Alvaro n’avait pas l’intention de poser une nouvelle fois ses yeux sur le corps inanimé d’Ishtar Forbes.

L’expression faciale de l'assassin restait inchangée tout le long de son discours.
Son refus n’avait pas pour vocation d’être rationnel ou logique, il n’avait pas la prétention d’être détaché et analytique quand il s’agissait de la sécurité d’Ishtar.
Sa tâche a toujours été de veiller à la protection du héraut de l’eau, depuis qu’il avait accédé à autre chose qu’une vie de meurtres.
Alors c’était évident qu’il ne bougerait pas de sa position.
Peut-être qu’il aurait accepté cet ordre d’Ishtar pour n’importe qui d’autre.
De la même manière qu’il laisserait Orion se charger, seul, de sa mission avec Cronos Lynes.
Mais cela ne s’appliquait pas à sa femme.

La différence que je ferais ? Quelqu’un prêt à perdre la vie pour toi. Voilà la différence.

Nul doute que Ishtar ne trouverait pas d’allié plus dévoué que son mari.
S’il se devait de perdre la vie pour que la peau d’Ishtar ne subisse aucune autre entrave que les siennes, alors il donnerait sa vie avec grand plaisir.
Il lui avait déjà fait une promesse.

Mais d’un point de vue militaire je ne fais effectivement pas une grande différence face à l’armée de Greygarde ou bien la garde rapprochée de la famille royale. Raison pour laquelle ma présence ne serait certainement pas considérée comme une menace pour eux. Tu pourrais même avancer que je ne te sers d’escorte que pour le trajet jusqu’à la capitale.

Hausse un sourcil.

Je sais ce que tu essayes de faire et c’est non. Je ne te laisserais pas seule face à une famille aussi ouvertement hostile. Plus jamais.

Comment Alvaro pourrait-il avoir peur de l’armée Greygardienne ?
Lui qui avait décidé de trancher les Dieux eux-mêmes.
Les bras croisés, le regard était ferme.

Je sais que tu n’y vas pas sans avoir une stratégie, je sais que tu as “calculé” le danger ou qu’alors tu t’y es résolue. Alors tu peux choisir : m’avoir à Greygarde selon tes instructions et dans le respect de ta stratégie, ou bien j’irais seul.

Pour conclure.

Dans tous les cas, tu n’iras pas à Greygarde sans moi. Je sais ce que signifie désobéir à un ordre et si je dois rendre mon emblème pour ça, je le ferai.

Alvaro s’en était accommodé.
Du changement de température, du givre sur les vitres, du timbre glacial qui le transperce.
L’assassin était prêt à rendre son insigne, rendre sa vie, si ça signifiait empêcher Ishtar de se rendre seule dans un nid de vipères.
Alors, lorsque la sentence est prononcée dans un claquement, son regard s’abaisse.
Si elle s’était réellement sentie menacée par la teneur de ses propos, alors il considérait la punition comme juste et appropriée.
Troquerait volontiers sa liberté contre la sécurité de sa femme.

Alvaro ne l’avait pas retenue lorsqu’elle avait décidé de quitter la pièce, rapidement.
Ce n’était vraisemblablement pas le moment de la contrarier davantage.
C’est aussi pour cette raison que, s’il lui avait emboîté le pas, ce n’était pas pour discuter de la sentence.
Bien au contraire.
Arrivé dans l’encadrement de la porte, Alvaro était resté silencieux pendant un moment.
Avant de sortir son trousseau de clefs, qu’il déposait sur un meuble à l’entrée de leur chambre.

C’est d’accord, Ishtar. Je n’irais plus nulle part.

Dépose son regard sur elle.
La voix empreinte d’aucune froideur, d’aucun rejet.
D’aucune colère.

Je comprends ta colère. Tu as peut-être même l’impression que je n’ai pas confiance en toi. Ce n’est pas le cas.

Laisse passer quelques secondes.
Avant de reprendre.

Je n’ai pas confiance en moi pour réagir comme tu l’attends s’il venait à t’arriver quelque chose. Je n’ai pas confiance en moi pour continuer sans toi. Alors, je comprends aussi si tu n’as plus aucune confiance en moi.

La gorge se noue.

J’ai toujours voulu te servir efficacement. Mais ça, je ne peux pas. Je ne peux pas te laisser seule.

Un regard adressé à ses lames, déposées dans un coin de la pièce.

Je te laisse t’occuper d’eux, alors.

L’emblème à sa poitrine plus lourde qu’à l’accoutumée.
Peut-être était-ce le bon moment pour la déposer, elle aussi, en compagnie de ses clefs.

Les mots, Alvaro, n’ont aucune importance.
C’est peut-être pour cette raison que l’assassin en utilisait si peu, auparavant.
Il s’était pris à espérer que sur ce nouveau continent, ils auraient de l’importance, eux aussi.
Parle de confiance, de prise d’otage, d’ambitions et d’abandon.
D’entraver ses objectifs.
Et Alvaro n’avait pas l’intention d’être un frein pour elle.
N’en avait jamais eu l’envie.
Peut-être que si ses sentiments avaient été moins intenses, que si la peur de la perdre était moins présente, il aurait accepté de trouver un terrain d’entente.
Mais Alvaro n’en était pas capable.
Alors il absorbe la colère, l’amertume, la froideur et le corps qui rejette.
Ça le blesse, en réalité.
L’accepte malgré tout.

Le regard se perd vers le sol, incapable de formuler quoi que ce soit.
Je ne rentrerai pas ce soir.

Le poing se serre, malgré lui, et les yeux se détournent des lames.
Si refuser qu’elle se jette seule dans la gueule du loup se résumait à entraver ses objectifs, alors peut-être ne partageaient-ils pas les mêmes.
L’objectif d’Alvaro, quant à lui, n’avait jamais été rien d’autre que d’être en sa présence.
De la savoir en sécurité.
Peu importe Ivoryrift, peu importe Hakar, l’Eridium ou bien Greygarde.
C’était eux contre le reste.
Mais pas cette fois.
Pas plus digne de la Rose que de la Renarde.

C’est entendu, Ishtar. Je suis désolé de m’être mis sur le chemin de tes ambitions.

Alvaro ne la retiendrait pas.
Pas sûr que quiconque sur ce continent le puisse.
Son avis n’était de toute façon plus demandé.