Des cernes s’étaient gravées profondément sous les yeux, des couleurs violettes et des tasses qui s’accumulaient - du café froid au fond de celles-ci, les mains nerveuses ne tenaient plus le manque terrifiant de sommeil.
Pourtant extatique, les cheveux en pagaille malgré le chignon qui avait réussi à tenir la rude journée, c’est le visage encadré de mèches chaos qu’Euphemia existait - tempête - entre ses fioles et ses tableaux.

Lorsque la porte s’ouvrit, elle crut à Gisèle qui reviendrait comme un fantôme - apporter un café, une couverture, des somnifères, un oreiller, … - et la voix s’échappa toute seule dans un éclat.

Gisèle j’espère que tu ramènes du caf-

Le regard grand ouvert, creusé, était tombé sur la silhouette en avant qui fondait sur elle, les bras tendus attrapant le cou. Immédiatement, sans réfléchir - sans que l’esprit ait eu à y redire - les bras s’était levés pour répondre à l’embrassade, et avait accueilli le corps tout entier de Rhiannon.

Le coeur avait gloussé au-dedans d’une cage thoracique fébrile, une émotion avait explosé tout à coup au regard qui se refusa la moindre larme.

Ah…

Le sourire immédiatement éclaboussait le visage.
Elle ne savait plus, Euphemia, si c’était de la tristesse, du soulagement, de la joie - de l’amour à en faire déborder le coeur car elle lui remplissait tout à coup en se penchant toute entière.

Rhiannon, ma douce Rhiannon, tu es encore plus jolie aujourd’hui qu’hier.

Un rire flotta au visage, et elle s’écarta légèrement pour mettre fin à l’accolade, mais les mains de Euphemia encadrèrent le faciès de son amie, le lui accueillait là entre ses paumes.

J’imagine que tu n’as pas amené de café ?

Le regard très sérieux ; prononcé ; à dévisager dans un silence glacial.
Pour revenir au sourire et à ses éclats aussitôt - Euphemia secoua les mains devant elle en lâchant son visage.

Ah, je plaisante, je plaisante, tu n’es pas mon assistante. Tu es “mon” ; un peu à moi ; assistante, en revanche ? C’est Gisèle, Gisèle, Gisèle est partie tôt, ce soir ! Comment vas-tu, ma Rhiamour, le coeur est-il doux, le coeur est-il lourd ?

Incrédule regard adressé aux deux récipients ; papillonnait des paupières distraitement, Euphemia gloussa d’un rire absent, flottait au faciès une mine aussi traversée d’épuisement que de joie.
N’était pas vraiment là, à peine maintenue par les soins d’une Rhiannon aux milles lumières qui éclataient au bord des yeux et des lèvres.

Hm.

Euphemia leva à son menton deux doigts circonspects. Fronça les sourcils comme totalement consternée ; et une concentration au-delà de toutes limites mise en place pour une tâche qui lui sembla alors être plus importante que tout.

VOYONS VOIR.

Il s’agissait finalement d’une respiration nouvelle comme sortie d’un coma ;
Euphemia croisa les bras sur sa poitrine et prit une mine extrêmement sérieuse.

Nous voilà face à un problème épineux, MADEMOISELLE AUBURN. VOULEZ-VOUS SINCEREMENT MON AVIS ?

Elle pointa du doigt dans sa direction alors.

IL ME FAUT LES DEUX.

Un rire gronda sombre au fond de la gorge.
Sardonique ou excessif.

Mais qu’est-ce qui me fait croire que vous êtes vraiment MADEMOISELLE AUBURN ? Ou peut-être êtes-vous bien celle-là mais vous voulez m’empoisonner DEPUIS LE DÉPART.

Elle attrapa une des fioles sur son plan de travail, parcourue d’un liquide blanc irisé.

POUR QUI TRAVAILLEZ-VOUS, RÉPONDEZ ?!

Des lueurs de joie au fond des pupilles noires.

Le coeur se soulevait sans plus de lassitude avec une fraîcheur nouvelle.
Le regard illuminé malgré les paresses violettes creusées sous les yeux s’écarquillait de tendresses pour son amie - elles flottaient.
Toutes les deux volatiles dans un monde imaginaire qui s’articulerait de nuages fluorescents au-dessus de la tête, le bout des doigts liés et les corps en apesanteur.
On aurait dit qu’il brillait dans les yeux des folies et des candeurs déraisonnées.

Ah…

Alors animée de grands gestes théâtraux, c’est les bras écartés qui reviennent vers elle, le dos d’une main à son front, le visage relevé pour mimer un dramatique sentiment en travers de la poitrine.

La vraie en est capable, mais la fausse aurait été si pernicieuse qu’elle aurait appris à jongler, pour mieux me tromper ?

Euphemia se redressa soudainement et les deux mains attrapèrent le visage de son amie ; le sien s’approcha dans une frondaison abrupte, le regard perçant traversait la silhouette de toutes part - fondait dans les yeux en face.

Il n’y a qu’un moyen de le savoir.

Mais Euphemia, trop prompte à plonger dans l’imaginaire ; et les émotions contraires irrationnelles qui se battaient à l’intérieur ; ne rigolait plus qu’à moitié lorsqu’elle s’écarta d’un pas impérial pour désigner du menton les fioles laissées sur son plan de travail.
De couleurs irisées, de couleurs bleues ou transparentes, de liquides noirs d’un jais profond ; toutes disposées dans un ordre dont la logique n’appartenait qu’à elle.
Des compositions étaient notées sur un carnet à côté.

La vraie Rhiannon pourrait jongler avec trois fioles de son choix - elle choisirait évidemment les moins dangereuses, car même une bonne jongleuse n’est pas à l’abri d’une maladresse.

Le regard intense tombait avec rigueur sur elle.