L’invitation du Chuchoteur était intéressée, à n’en pas douter.
Parce que son temps était précieux, que ses alliances étaient en routes et que son influence s’étendait comme une ombre menaçante sur l’ensemble du continent, Vadim n’avait pas plus pour habitude d’offrir sa présence par simple amour du jeu.
Ce qui ne voulait pas pour autant dire qu’il n’était pas en mesure de tirer une satisfaction taquine de ses entretiens.

Le président de Covent s’était présenté dans le restaurant bien avant l’arrivée de son invité.
Puisque ce restaurant, il avait l’intention de se l’approprier.
Sa fortune avait ses usages et s'octroyer un espace public où il se savait protégé des regards indiscrets était une valeur sûre.
Et le nom de Shepherd devait continuer de s’exporter dans tout Arkmere.
Qui plus est il savait qu’en appuyant la position d’Octavio Odonnell en tant que conseiller du Sender et bientôt futur légat, Vadim mettait entre les mains du Tempeleur un pouvoir qu’il devait apprendre à garder sous contrôle.
Le danger avec lequel flirtait Vadim était toujours maîtrisé.
Alors les négociations avec le propriétaire de l’établissement n’avaient pas été longues : il n’existait aucune somme que le Chuchoteur n’était pas capable d’aligner pour répondre à ses caprices.
Avant même que Octavio ne pose un pied dans le restaurant, le restaurant était déjà à Vadim.
Avant même que Octavio ne pose un pied dans le restaurant, Vadim avait déjà en main les clés de cette conversation : l’anonymat.
Ce n’était pas étrange pour un homme comme lui de manger dans son propre restaurant, n’est-ce pas ?

Le nouveau directeur avait patienté, attablé de manière légèrement excentrée.
Tout pimpant, il avait observé le Tempeleur se diriger vers la table et s’était levé de son siège, par politesse, pour le saluer avec une élégance qui le caractérise.
Ses fines lèvres s’écartent dans un rictus charmant alors qu’il se rassied en premier alors qu’il constate avec une certaine satisfaction la manière dont Octavio savait faire preuve de courtoisie.
Il se dégageait du Tempeleur une certaine sérénité, un sang froid nécessaire à ce pour quoi il le destinait.
Jusqu’ici, Octavio avait tout l’air d’un pari réussi.

Je comprends tout à fait votre réaction, Monsieur Odonnel. Mon invitation était pour le moins cavalière et j’avoue ne pas toujours avoir le temps de justifier mes appels. Sachez cependant que vous étiez attendu avec une certaine forme d’impatience.

Vadim croise les jambes et dépose délicatement la paume de ses mains sur ses cuisses.
S’arrête un instant pour adresser un regard curieux à son invité.
La taquinerie creuse ses lèvres alors qu’il reprend la parole.

Vous m’avez l’air de vous être parfaitement adapté à la vie dans notre belle nation. Votre stature et votre énergie sont à la hauteur de votre position de haut dignitaire.

Le cas échéant, j’aurais été déçu.
Vadim balaye une mèche blonde derrière son oreille et adresse un signe lointain à l’un des serveurs afin de faire apporter des rafraîchissements.
Il n’en fallut pas plus pour que ce dernier se précipite et apporte une bouteille de vin blanc encore perlée par l’humidité de la glace qu’elle venait de quitter.

Son observation prend fin lorsque, les yeux plissés, il penche la tête sur la gauche en faisant retomber encore quelques mèches sur son visage avant de le questionner.

Comment se déroule votre apprentissage pour votre prochain rôle de légat ?

Une information qu’il ne devrait, normalement, pas avoir.
Encore plus étonnant qu’il décide de révéler cette information devant le serveur encore occupé à déboucher la bouteille pour remplir le verre d’Octavio.
Le serveur, pourtant, n’avait pas l’air déstabilisé.

Le Chuchoteur n’avait pas grand-chose à faire de l’intérêt que son interlocuteur portait à la saveur du vin.
Oui, le vin était bon, comme tout le reste du menu.
Mais il n’appréciait pas que l’on laisse en suspens une question qu’il pensait, pourtant, avoir formulé de manière claire.
Alors Vadim se laisse aller à un sourire faussement ravi, mais le regard était insistant.

Lorsque ses lèvres s’ouvrent pour laisser la voix de Vadim se faire entendre, la voix en question s'avère brusquement bien plus froide et affirmée.
La candeur avait disparu.

Première leçon, Monsieur Odonnel : je n’opère pas dans les insinuations. Ce qui sort de ma bouche est une vérité que vous ne pouvez contester. Cela pourrait vous être utile, pour le reste de notre dîner.

Aucun vin n’avait été servi au Chuchoteur.
Ce dernier avait pour habitude de ne pas consommer de vin ou de spiritueux lorsqu’il était présent pour affaires.
Et cet entretien avec Octavio Odonnel avait tout d’un entretien.
Quand bien même était-il officieux.

Seconde leçon : lorsque je pose une question, j’attends à ce qu’on y réponde.

Le regard n’était habité d’aucune sympathie au moment où il déclarait cette seconde leçon.
S’il y a bien une chose qu’il détestait, c’était qu’on le prenne pour plus bête qu’il ne l’était.
Ou pour moins influent.

Affiche de nouveau un air enthousiaste, avant de reprendre la parole sans lui laisser le temps de rétorquer.

J’aimerais être bien compris à ce sujet. Je ne suis pas votre ennemi, Monsieur Odonnel. J’ai pour intérêt votre réussite dans les hautes sphères d’Arkmere et j’ai mis en œuvre certaines actions pour m’assurer de votre ascension. Comprenez donc ma volonté de nouer un lien de confiance entre nous. Faites preuve de perspicacité, que diable.

Octavio avait finalement fait preuve d’une certaine sagacité en feignant l’incrédulité lors de la première déclaration de Vadim.
Le Chuchoteur était resté à l’écoute des paroles du futur légat, de sa diction en passant par son langage corporel de le choix de ses mots.
Le natif de Tempelhelm avait tout d’un politicien, faisant usage d’autant de langue de bois que d’adaptation vis-à-vis de son interlocuteur.
Il était retombé sur ses pattes avec tellement d'adresse que s’en était surprenant.
Mais Vadim était loin de s’en plaindre, bien au contraire, il préférait converser avec un esprit vif comme le sien, à même de comprendre sa position, plutôt que de se lancer dans un combat de coq avec une personne du même acabit que Graham Blomsberry.

Les lippes du Chuchoteur s’étaient donc écartées dans un sourire ravi, visiblement satisfait par le répondant de l’arpenteur.
Nul doute qu’il était possible de faire quelque chose avec lui.

C’est donc ça.

Il ne faisait aucun doute que le natif de Tempelhelm prenait effectivement très au sérieux ce qu’il pouvait apprendre de son rôle de consultant.
Vadim ne connaissait cependant pas son interlocuteur sur le plan personnel et il était difficile d’appréhender les intentions de celui qui était dorénavant devenu un homme de confiance du Sender.
Loin s’en faut l’idée de le lui reprocher, il était lui-même du genre à courir après ses propres objectifs.
Il lui suffisait de s’assurer d’aligner ceux de Octavio sur les siens.

C’est amusant, vous parlez comme si nous allions manipuler l’enfant.

Laisse un rire se faire entendre.
Les entrées furent rapidement servies.
Il s’agissait là d’un assortiment de plusieurs hors-d'œuvre.

Cette fois-ci, Vadim avait fait preuve de retenue et n’avait pas surenchéri sur la conversation avant que le serveur ne se soit éloigné de la table.
Puisque le but de cet entretien était d’établir un lien de confiance, il n’avait rien à gagner à le mettre mal à l’aise.

Vous avez l’air d’être un garçon intelligent, Octavio Odonnel. J’ai pris connaissance du poste que vous occupiez précédemment dans la ville sainte, avant sa chute et je me questionne : qu’est-ce qui vous motive à occuper un poste de pouvoir entre nos murs plutôt que de rester aux côtés de celui que vous avez servi pendant plusieurs années ? Je ne crois pas en un manque de loyauté venant de vous. Est-ce que vous conservez des liens avec les habitants de Tempelhelm ?

Le chuchoteur avait laissé à Octavio une tribune suffisamment large pour qu’il puisse s’exprimer librement sur les ambitions qui enflammait sa voix.
Et le moins que l’on puisse dire c’est que l’homme en face de lui n’avait rien de décevant.
Peut-être un peu manichéen, il avait malgré tout à cœur de défendre les intérêts de la nation d’Arkmere et son discours était suffisamment inspirant pour s’attirer la sympathie du peuple ou bien du Sender.
Pourtant, ce qui l’avait le plus intrigué, c’est la manière qu’il avait de justifier la séparation professionnelle entre lui et l’ancien héraut de l’air.
Nos violons ne sont plus accordés.
Et Vadim était de ceux qui savaient valoriser l’ambition plutôt que l’attachement au passé, quand bien même il s’agissait là d’un aspect qu’il avait du mal à appliquer dans sa relation avec Nemo, son frère aîné.
Si Octavio avait suffisamment de force de caractère pour se séparer d’une personne aussi proche de lui afin de continuer sa guerre, alors en faire un allié était définitivement un bon choix.

Vadim s’était affairé à déguster les hors-d'œuvre apportés précédemment avec élégance et raffinement.
Un œil curieux se déposait de temps à autre sur son interlocuteur, suivi d’un rictus fugace avant de reprendre son écoute.

Une fois que celui-ci eût terminé sa prise de parole et après s’être essuyé la bouche, Vadim lui emboîte le pas.

Vous avez saisi la chose la plus importante à retenir : la nécessité du pouvoir. Vous êtes une personne importante dans notre société : proche du Sender, natif de la ville sainte ayant survécu à sa chute. D’aucun pourrait presque vous qualifier de véritable légende aux côtés des hérauts comme Graham Blomsberry. Votre discours est puissant et porte haut les valeurs d’Arkmere. Pourtant, ce n’est pas suffisant.

Dépose avec douceur ses couverts aux côtés de son assiette avant de poursuivre, une lueur malicieuse dans le fond des yeux.

Vous n’êtes pour l’instant qu’un outil qu’on déplace aux côtés du Sender pour renforcer sa position à lui. Votre pouvoir n’est qu’une extension du sien. Il suffirait que le Sender change, par la volonté des Dieux, pour que vous soyez jugé inapte à conserver votre place. Monsieur Odonnell, vous êtes en équilibre dans le vide. Et il n’est pas confortable d’occuper une position sans stabilité.

Les mains liées entre elles.

Ce que je vous propose, Monsieur Odonnell, c’est de vous apporter mon soutien personnel dans votre croisade. De stabiliser votre position à l’aide de mes finances et de mon influence. De vous permettre de devenir votre propre Homme de pouvoir. Une collaboration étroite entre nous. Qu’en pensez-vous ?