Tu lui aurais encastré son verre de limonade dans le crâne tant tu as la défaite amère. Lorsque Vadim vous avez chassé de son bureau, tu avais eu un brusque élan meurtrier. Tu avais pesé le pour et le contre de l'assassiner, ici, maintenant. Mais la porte du bureau s'était refermée sur toi avant que tu n'aies pu réellement faire un choix.

Vous aviez attendu des heures. Des heures pendant lesquelles tu n'avais pas eu un seul mot pour Meliodas. Tu craignais que la colère ne te fasse l'étrangler sur place si, d'aventure, tu avais la bêtise de lui adresser la parole. Dépouiller. Vadim vous avait dépouillé. Sans d'autres choix que d'attendre pour signer vos nouveaux contrats tu avais avec aigreur pensée à ces gens en train de déménager vos affaires dans un appartement placé sous surveillance. Tu n'as même pas le luxe de quelques heures pour toi. Ce soir, vous dormirez des caméras pointées sur vos faces.

Tu avais scrupuleusement lu les contrats, pointé du doigt des lignes qui ne te revenait pas pour demander des explications, ou des reformulations. Mais tu avais bien peu de marge de manœuvre, Vadim et ses équipes étaient doués, tout était tourné de sorte à ce qu'aucune de tes réclamations ne soit recevable. Tu avais fini par signer, conscient que tu n'avais pas d'autres choix. Avec un regard dédaigneux pour la secrétaire tu avais demandé si vous pouviez regagner votre voiture et elle t'avait, toute sourire, indiqué l'hôtel où vous reposer le temps que votre appartement soit prêt, ce soir, avait-elle dit. Alors sans un mot tu avais regagné la voiture. Probablement était-elle sur écoute elle aussi, mais ça ne t'as ni empêché de claquer la porte comme-ci tu cherchais à la démonter, ni a frapper sur le volant quand Meliodas s'est assis à tes côtés.

— Ferme ta gueule.

Tu mets les clés sur le contact.

— Je ne veux rien entendre de toi, tu entends ? Tu peux tirer un trait sur l'alcool, tes putes et tout le reste. Parce que Omni et toute sa clique m'en soient témoin je lutte pour ne pas te tuer et tu es à un rien de te faire assassiner.

Il est inconscient, cruel ou peut-être bien les deux. Loin de la fermer, il l'ouvre et pourquoi diable en serait-tu surpris ? Avait-on jamais réussi à faire taire Meliodas Sherwood, spécialement lorsqu'il le fallait ? Non. Meliodas vie. Meliodas extériorise. Meliodas est à l'image de son signe, un feu qui dévore tout et sans retenue. Mais grand bien lui en fasse, à Meliodas. Parce qu'à l'image de ton signe, tu es un raz-de-marée qui engloutit pour le simple plaisir de noyer. Et noyer, voilà ce que tu vas lui faire subir.

La gifle claque dans l'air à la seconde où il a débité sa dernière réplique. Une claque sèche, puissante, à lui tourner la tête.

— JE N'AI RIEN FAIT ?

Et comme la première ne t'as pas apaisé, tu lui en remets une.

— MOI JE N'AI RIEN FAIT ?

Ta voix porte dans l’habitacle de la voiture et si tu en avais la force tu cirais encore plus fort, jusqu'à en briser les vitres, car par les dieux tu es furieux, tu crois que, de ta vie, tu n'as jamais été aussi furieux.

— JE ME RENDS MALADE CHAQUE JOUR DE CETTE TRISTE VIE POUR TOI ! JE TE MONTE UNE CARRIÈRE ! JE REMPLIS TON FRIGO ! JE RESTE ALORS MÊME QUE TU BAISES DANS NOTRE LIT DES PUTAINS QUI N'EN ONT RIEN À FOUTRE DE TOI PARCE QUE RÉVÉLATION, MELIODAS, PERSONNE N'EN A QUELQUE CHOSE À FOUTRE DE TOI !

Tu frappes le volant, car sinon c'est celui que tu vas frapper. Avec énergie tu tapes et tapes en ponctuant tes coups de "PUTAIN DE MERDE !" et de "FAIT CHIER!". Tu tournes brusquement la tête vers lui, appuies un doigt impérieux contre son torse. Si tu pouvais lui transpercer la poitrine pour lui attraper le cœur tu le ferais.

— T'es qu'une merde, tu te fou en l'air tout ça parce que t'es trop lâche pour crever proprement et maintenant parce que t'es trop lâche pour assumer ta misère tout seul, tu m'entraînes dedans.

Tu le regardes, un dégoût sincère dans les yeux.

— Moon doit être dégoûtée de voir ce que t'es. Là-haut, ils sont tous dégoûtés.

Tu t'accroches de nouveau au volant te penches dessus pour souffler, la tête baissée vers les pédales.

— Je te hais.

Tu sembles lutter contre les larmes, mais tu as ta fierté, plutôt crever. Tu souffles, te redresses, abaisses le frein à main quand tu démarres.

— Endure ou crève, parce que j'en ai fini d'être derrière ton cul à tout-va.

Il faut réveiller les morts pour que lui s'élève. Tu savais le sadisme et la cruauté de telles paroles. Tu savais, mais tu as dit quand même. Il méritait. Méritait d'être confronté à sa décrépitude, méritait de garder le visage de Moon déçue dans son esprit, de graver dans sa chaire la culpabilité, de voir son estomac retourné par la honte. Tu voulais être heureux ! Tout ce que tu n'as jamais demandé, tout ce que tu n'as jamais voulu avoir c'est le bonheur. Un complet et parfait bonheur. Il devait être celui qui te le donnerait. Après avoir essuyé le deuil et la guerre, il devait te l'offrir ! Vous vous aimiez, quelque part, tout au fond. Vous vous aimiez, car dans vos cœurs malades vous saviez que nuls autre que vous ne pouviez vous accepter. Alors quand il te plaque contre le siège tu le regarde en silence, les yeux injectés de colère. Tu l'affrontes avec toute ta haine, qu'il sente, qu'il voit ! Et lorsqu'il se rassoit tu te dresses, ajustes ta cravate comme-ci de rien n'était.

— Me donne pas d'ordre, connard.

Tu sors du parking, le bruit de la ville, voir tous ces gens dans leur petite vie te fait tout drôle. Pour toi, le temps s'est arrêté. Comme à chaque fois que ça ne va pas, tu reproches aux autres d'aller bien. Tu roules, l'hôtel n'est pas très loin. Arrêté à un feu, tu observes les piétons, les sourcils froncés lorsque la voix de Meliodas vient détourner ton attention. Tu le considères du regard quelques secondes, puis le feu passe au vert et tu reprends la route sans rien dire. Tu tournes à la prochaine rue, t'enfonce dans une allée chic où, en son centre, trône un bâtiment luxueux. L’hôtel ou vous allez rester enfermé avant de gagner votre nouveau foyer. Tu te gares devant, alors qu'un voiturier s'approche, tu balances :

— Tu peux regretter.

Tu tournes la tête vers lui, lui et sa belle cœur, lui avec son côté destructeur, lui que tu ne parviens pas à lâcher car ce serait te ramener au fait que tu as vraiment tout perdu.

— Mais on reste une équipe, pour le meilleur et pour le pire. Surtout pour le pire, en vérité.

Tu ouvres la portière sans en dire plus et tu jettes les clés au voiturier avant de t’engouffrer dans le hall de l'hôtel.

Évidemment, vous étiez attendu. On te donne les clés d'une charmante suite où l'on vous invite à vous détendre jusqu'à ce que l’accueil vous prévienne que votre appartement est prêt. Tout a déjà été prévu. Tu montes dans l’ascenseur dans un silence de plomb, gagnes la porte de votre suite. Tout est beau. Tout est dans tes goûts. Pourtant tu ne t’extasies absolument pas de ce que tu vois.

— On est peut-être déjà sur écoute alors fait gaffe à ce que tu dis ou fait.

Tu te tournes vers lui, pointe sa braguette du doigt.

— Le petit oiseau est sorti.

C'est faux, c'est juste pour le faire chier et le faire réagir. Tu te laisses tomber sur le lit, épuisé. Tu masses ton crâne, soupires.

— On a survécu à pire, Mel. Alors de te sous-estime pas, tu vas te sevrer, tu y arriveras.

Il le faut.

— Emmerde-les en silence alors, si Shepherd nous déménage dans un studio je t'étripe.

Tu sens le lit s'enfoncer quand Meliodas vient également s'y coucher. Le regard fixe sur le plafond tu souffles. Ton regard accroche les moulures, tes yeux les suivent, tente de garder dans cet exercice un semblant de concentration. Malgré la nécessité d'accepter votre situation, tu cherches, désespérément un moyen de vous en tirer. Ton cerveau tourne à cent à l'heure mais rien, absolument rien ne te vient. À côté de toi, Meliodas rit.

— Non, sans blague.

Tu te penses l'arête du nez, agacé, puis te figes en sentant sa main se glisser dans la tienne. Tu sens ton cœur se soulever, ta mâchoire se serre en réponse à ce brusque flux d'émotion que tu ne sais pas comment accepter. Ce contact te semble mal venu et déplacé. Pourtant tu ne t'extirpes pas de sa prise pour lui en coller une.

— Je sais que pour toi ces dernières années n'ont pas été simples.

Tu lui jettes un coup d’œil rapide et prudent avant de tourner ton regard de nouveau vers le plafond.

— Moi aussi, Tempelhelm me manque.

Tempelhelm, pour ne pas dire ta vie d'avant. Pour ne pas prononcer le nom de Céleste. Pour ne pas prononcer le nom de Celine. Tu pinces les lèvres, refoules l'envie de pleurer, tu as appris à ne plus hurler et craquer depuis que Meliodas n'est plus en capacité de porter pour toi le poids de ta peine et de tes péchés. Tu prends le temps de bien respirer, la paume de Mel toujours contre la tienne. Tu presses doucement sa main.

— C'est la merde. Mais t'es tout ce qu'il me reste alors on va affronter cette merde ensemble. D'ici un an, après avoir fait nos preuves, je convaincrai Vadim de ne pas aller au-delà de ce qu'on a signé et de te rendre ta liberté. À ce moment là tu ferais mieux de partir ailleurs, dans un endroit plus en accord avec qui tu es. Du genre Dawndale. Là bas, tu pourrais te reconstruire, passer à autre chose.