Artorias avait fait preuve d’une incroyable patience tout le long de la signature de ce contrat.
Il avait apposé son sceau royal pour en valider les termes, s’était engagé à suivre les stratégies de sa sœur jumelle comme il l’avait toujours fait.
Mais le souverain n’était pas satisfait des manigances, des luttes politiques et des accords commerciaux.
Ce n’est pas dans ce but qu’il avait été modelé, manipulé.
Depuis quand la nation de la gargouille avait-elle sombré ?

Cette patience alarmante, il l’avait conservée même lorsque le marchand eût quitté la pièce et que ce fut au tour de ses “conseillers” de parader et faire éloge d’une intelligence aussi grossière qu’inutile.
Était-ce comme ça que Lazare Buchanan faisait la guerre ?
Était-ce comme ça que Caïn Highblade faisait la guerre ?
La prothèse métallique du souverain était fièrement écrasée contre la table du conseil et ses doigts aux griffes acérées frappaient la surface de cette dernière dans des cliquetis qui contrastent avec le silence du monarque.
Dans une période plus propice, Artorias aurait sauté sur l’occasion de faire la guerre à Arkmere dans les plus brefs délais.
Mais quelque chose au sein de cette assemblée provoquait chez le Roi de Greygarde une frustration, un agacement tel qu’il pensait sa nation incapable d’écraser les terres d’Omni.
Alors, lorsque son heure fut venue pour s'exprimer, Artorias n’avait d’abord pas pipé mot.
S’était contenté d’un regard froid, accusateur, déposé tour à tour sur ses conseillers mais aussi sur son cousin Uther qui avait eu le malheur de rejoindre leur position.
Le souverain n’était pas présent entre les murs de ce conseil pour trouver quelconque stratégie martiale.
Il était ici pour faire respecter l’unité dans sa nation et glorifier sa force.

Le mouvement des doigts de sa prothèse cesse brusquement alors que cette dernière s’élève pour s’écraser bruyamment contre la surface de la table.
Artorias affiche une mine ombrageuse.

”Trop forte pour qu’on puisse émettre la moindre offensive”, “des difficultés insurmontables”, “imprudent de le laisser s’aventurer”. Vous empestez.

De peur.
De faiblesse.
De lâcheté.

Brutalement, le Roi quitte son siège.
Sa cape fouette l’air comme le battement d’ailes d’un dragon lorsqu’il la balaye derrière lui pour commencer sa marche autour de la table.
Sa prothèse métallique se dépose sur les épaules de ses conseillers alors qu’il passe derrière eux.

Pouvez-vous nous expliquer, chers conseillers, quand est-ce que notre magnifique Greygarde est devenue faible ? Quand avons-nous cessé de faire trembler Hakar pour craindre nous-même les actions d’un pauvre marchand ?

Marque une pause alors que le Roi lève le menton pour adresser un regard haut au Maître des pièces.

Est-ce votre conception de “faire la guerre”, Sire Highblade ? Fouiller entre les lignes d’un papier à la recherche d’une “clause cachée” ? Avez-vous l’intention de défendre nos frontières avec des paragraphes et des astérisques ? Nous attendions pareille couardise de la part du Maître des mots et du Maître des pièces, mais vous ne vous illustrez pas comme un général de l’Aube Rouge, Sire Highblade.

Mais le regard du Roi ne s’était pas abattu avec plus de mépris sur Caïn qu’il ne s’était abattu sur Lazare.

Pourquoi faut-il qu’un vendeur de je ne sais quoi soit en mesure de négocier avec nous par ses propres moyens alors que notre conseiller en charge des stratégies eût été incapable de faire preuve de la même adresse pour tendre un piège à nos ennemis ? Seriez-vous moins habile de vos mots qu’il ne l’est, Maître des Mots ? Nous devrions tendre le piège, pas vivre dans la peur de ce dernier.

Ses doigts se resserrent sur le dossier de la chaise de Uther.

Vous empestez, vous êtes devenus grassouillets et feignants. Nous étions les dévoreurs d’Hakar, des bêtes sanguinaires qui faisaient trembler le continent tous les 300 ans, nos ennemis s’enfermaient dans leurs frontières en subissant l’impact de nos coups et en essuyant la mort de leurs pères jusqu’à ce que l’on se retire. Le sang qui se déversait après notre passage suffisait à faire déborder la Grande Mer. Et maintenant regardez-vous, à craindre les pas d’un marchand et à vous protéger avec des “clauses”. Est-il nécessaire que nous commencions à vous démembrer un à un sur cette table de marbre pour vous rappeler l’odeur du sang ? Ce pour quoi existe l’Aube Rouge ?

Finalement, le Souverain retrouve sa place.
Son siège.
Son coude se dépose sur le bras de ce dernier alors que sa joue vient s’écraser contre son poing fermé.

Notre sœur vous a demandé de nous suggérer une démarche pour écraser Arkmere, pas de craindre la brèche qui s’est ouverte. Et ce que nous suggérons, de notre côté de la table, c’est que vous commenciez à vous comporter moins comme des enfants Arkmeriens et plus comme des généraux de Greygarde.

Le monarque ne s’était pas illustré de nouveau en un déferlement de colère.
S’il avait pris la parole c’était pour transmettre un message, appuyer la demande de sa sœur jumelle.
Lui-même ne nourrissait pas une confiance aveugle en la brèche qui s’était ouverte à Arkmere.
Vadim Shepherd était-il suffisamment important dans cette nation pour la faire s’écrouler de l’intérieur ?
Sa définition de la guerre était plus impitoyable qu’un échange d’informations.

Avait patienté jusqu’à ce que, finalement, vienne son tour de s’exprimer.
Parce que tout le monde n’était finalement pas force de proposition, il était temps pour le Roi de diriger.
Et il ne transmettrait pas une stratégie en elle-même.
Des pistes, tout au plus.
Qu’ils se débrouillent pour y parvenir.

Sire Highblade, Sire Buchanan. Leur faiblesse, nous la connaissons déjà. Elle est la même que celle des autres couards de ce continent. L’infection.

Le regard levé vers le plafond, il se perdait à fantasmer d’un futur dominé par son propre essaim.
S’il pouvait prendre la tête de cette espèce parfaite, docile, il pourrait réellement se considérer comme le maître de sa propre Aube.
De l’Aube Noire.

Abat une nouvelle fois son regard sur son cousin, puis sur Mordred.
Tous les trois ne craignaient pas l’infection, bien au contraire.
Ils en étaient porteurs.

Puisque ce marchand souhaite accueillir nos marchandises entre ses murs, pourquoi ne pas envoyer les Épeires qui nous servent de cobaye ? Si leur vision est réellement partagée au reste de l’essaim, guidés par une conscience collective, ils se chargeront d’élargir la brèche pour nous. Il en va de même pour Dawndale. Et nous aurons l’occasion de porter le coup de grâce.

Son attention se dépose finalement sur le maître des Mots et le maître des Armes.

Faisant fit du rappel que nous avons jugé nécessaire, il est évident que vous êtes tous deux des stratèges d’exception. Vous avez une piste. Dorénavant, faites en sorte de la transformer en plan victorieux. La maison Harcourt vous accorde sa confiance.