Au milieu de cette ville déchue, Lison frissonnait de ses bras dégarnis. Combien de fois l’enfant avait vu ses hauts bâtiments comme immuables ? Ces rues grouillantes de vie n’avait jamais été autre chose qu’acquises dans son esprit formé par la noblesse de son sang, on n'imaginait pas les lieux comme vides.

Mais pourtant, ils l’étaient, les habitants continuaient à vivre comme les fantômes des mausolées d’antan.

Lison ignorait ces pensées, pressait le pas, laissant le vent venir à elle, enfant timide accueillant la fille bénie de sa cité. Il fallait revoir Ciaran tel un passé qu’on ne pouvait pas laisser s’éteindre dans les nuées du temps. Par delà le désir, c’était cette sombre nécessité qui poussait Lison à hanter ces lieux reconstruits, à laisser sa robe de coton onduler sur ces hanches élargies.

Ciaran, un cousin ayant suivi le frère au sein de ce pays aux mœurs sombres, digne de l’ère des Dominus. Aucune haine animait son cœur car ta seule patrie sera toujours au creux des bras de ses aimés, mais le monde ne le décidera jamais ainsi.

Ne connaîtraient-ils jamais un instant de paix comme ses années consumées à vivre ensemble ? Pouvait-elle offrir à Hadrien cette coupe d’harmonie sans lui rappeler son propre foyer brisé ? Ô Ciaran, que de choix durs cette chute leur a assénés. Et elle le vit sur le banc,

tendrement,

comme si les astres s’arrêtaient à son chevet, pour souffler leurs bienfaits dans ce visage d’ange. Les années et la peine ont été des rudes amants à son air de jouvence et Lison se peinait toujours de se dire qu’elle était bien loin de lui pour souffler ses mèches de son front, bien loin pour lui rappeler que la vie ne se limitait pas à la mort et aux lueurs artificielles.

Mais aucun reproche ne pouvait teindre ses lèvres quand elle lui sourit. Il était heureux de la voir, presque autant que son coeur en liesse frappait sa cage thoracique alors elle prit ses mains, se penchait un peu pour effleurer son front de ses lèvres.

-Et toi, toujours aussi charmeur. Ne me flatte pas, tu sais que je suis infernale quand je me trouve belle, mais merci j’apprécie.

Fallait bien dire qu’elle commençait à craindre les changements de son corps, les formes disparates et épaisses autour de son cou et de ses bras, son ventre distendu, tout cela la terrifiait plus qu’elle n’osait le dire. Le bouquet la fit rougir et elle rit avec cette gêne délicieuse de celle trop émue, peinant à trouver les termes.

-Voyons, tant de belles pensées, c’est adorable, merci beaucoup Ciaran, j’espère que tes voeux se réaliseront, je ne veux pas avoir quelqu’un d’autre à pleurer.

Et elle s’asseoit, s’appuie presque contre lui à respirer son odeur mêlée. Ses yeux suivaient la courbe de ses mains, cette masse de chose cachées et ces présents trop nombreux dont elle ne pensait guère mériter l’ombre.


-Tu n’aurais pas dû vraiment Ciaran, je suis presque honteuse d’être ainsi les mains vides de tout présent. Je pourrai en boire dans 4 semaines, mais peu, tu fais déjà un très bon oncle, ne te soucie pas de ça. Du moment que tu l’aimes un tant soit peu, cela est assez pour moi. Tu n’as pas besoin de le gâter, il sera très heureux de te connaître, j’en suis sûre. Mais je te remercie en tout cas, ça me touche affreusement.

Et sa main pressait la sienne, avant de la reposer sur sa cuisse.

-Laisse moi te gâter aussi. Comment te portes-tu ? Les régnants de ton pays te traitent avec gentillesse dis-moi ? Je t’offrirai bien les premières échographies de mon fils mais c’est un cadeau bien égocentrique ne penses-tu pas ?

Tout ne tournait pas autour d’elle et bien heureusement.

Sa plus grande culpabilité était sa propre tristesse, cette boule sombre dont elle ne faisait que repousser l’inévitable surplus, crises de larmes étouffées dans la soie de son atelier ou dans les bras d’Hadrien. On comprenait la perte d’un frère, d’un cousin, d’une cousine, d’une famille, d’une réputation, d’un foyer, d’une ville, d’une nation que lorsqu’on voyait les reflets de joie dans les yeux des passants, qu’on se rappelait d’avoir eu ces mêmes couleurs dans les iris et que désormais tout était de noir et d’acier.

Ciaran comprenait, elle le savait.
Absorbant sa douleur dans les cicatrices de leur passé, défiguré quand le soleil se couchait sur eux.


Lison ne soulevait plus rien de douloureux désormais, laissant faire les vagues lécher leurs plaies et le souvenir les tenant doucement. Qu’il aime le fils dans ses entrailles la comblait bien assez, si jamais elle devait avoir à dépérir en donnant vie, alors il sera aimé, il sera tenu à la lumière.


Quelque part, la famille continuera à exister même dans les linceuls et les deuils et cela suffisait bien.


-Le dernier… oui… ça ne sera plus Amaryllis, tu lui feras un bisous d’ailleurs. Vous me manquez, comment va Lazare?


Les mots sur la couronne inquiètait nullement Lison, rassurée de savoir au moins l’un des trois a l’abri de ces intrigues, à l’abri de ce pouvoir corrupteur et souillé qu’était celui de Greygarde. Alors elle pressait doucement sa main dans la sienne.


-Du moment que tu es en bonne santé et tranquille, le reste est suffisant. Qu’Omni protège mon frère et ta soeur, je n’aime pas la réputation de Greygarde. Je sais que c’est désormais ton pays, mais je ne l’aime pas et je ne l’aimerai jamais. Promets moi de ne pas faire de folie Ciaran.

Fouillant dans son sac, Lison distrayait la lourdeur de ses mots pour extirper un petit morceau de papier. Papier noir, image blanche d’une silhouette encore un peu difforme dans les mains de Ciaran, cela paraissait presque fragile.

-Le voilà, c’est un garçon, tu vois là. Son terme est en novembre, il paraît. Un scorpion ou un vierge s' il naît avant terme…

Couvrant le ventre de ses deux mains, anxieuse sans comprendre pourquoi.

-J’espère juste qu’il sera en bonne santé, doit-il ressembler à moi ou à Hadrien, ou à Galmor ou à Zayn… Si il est scorpion, il sera tant comme Zayn, c’est injuste que Zayn ne le rencontrera jamais. Si je l’appelais Zayn, tu crois qu’il m’en voudrait ? Il trouverai ça stupide je pense même.

Et les mots se coinçaient dans sa gorge.
Trop.