melodiam // tenue — les choix sont difficiles. en deux ans, la lionne a dû s’ancrer encore plus loin dans la réalité. devenir ce roc pour lison. le choix n’a pas été le plus facile, bien qu’il ait été le plus logique à ses yeux dorés. laisser les autres buchanan suivre lazare, ne plus pouvoir surveiller la douce amaryllis, ne plus être la présence délicate de son fragile et pourtant fort ciaran… certaines nuits, aldoria sent le remord l’envahir, seule dans sa chambre. mais aldoria reste aldoria.

cette femme forte.
cette femme que rien ne peut ébranler.
cette femme qui semble porter à bout de bras le monde des autres.

elle porte le deuil, aldoria. mais ses yeux ne sont pas rougis, ne sont pas secs. et lorsque, certains soirs, seule dans son salon, elle sent l’émotion humidifier ses yeux, elle reste elle-même. elle se souvient, aldoria. elle se souvient de chaque sourire, de chaque rire, de chaque regard. alors elle prend un verre et trinque à ces âmes parties trop tôt, ces âmes qu’elle rejoindra seulement lorsqu’elle aura le temps de se reposer.

mais souvent — peut-être pas autant qu’elle le souhaiterait — elle va se recueillir. parce qu’oublier les morts, c’est les faire mourir une seconde fois. alors, de toute sa grâce, la lionne s’enfonce dans les rues de tempelhelm. et comme à son habitude, avant d’aller passer du temps avec les marquez qui n’ont pas pu découvrir le monde d’en bas avec elle, aldoria se dirige vers le mémorial érigé aux noms des Buchanan. lionne souhaite leur rendre hommage, comme depuis toujours.

alors que ses talons claquent contre le sol, elle aperçoit déjà une silhouette épuisée tout contre la tombe de cet amour qui n’aura jamais pu éclore et s’épanouir comme il l’aurait mérité. comme ils l’auraient mérité. et malgré le temps passé, ça lui fait toujours aussi mal au cœur de voir ce petit prince détruit.

le deuil est trop lourd à porter pour ciaran.
aldoria ne peut pas le porter à sa place.
mais elle s’est promise de l’aider à respirer,
à se souvenir de vivre parmi les vivants
pour honorer les morts.

son pas se fait délicat lorsqu’elle s’approche. l’odeur des fleurs la fait sourire. un sourire doux, sans la moindre pitié. sa voix, d’habitude si forte et chaude, se veut douce et maternelle.

— bonjour, ciaran.

main parfaitement manucurée se pose sur l’épaule du garçon qui n’aurait jamais dû être aussi abîmé par la vie. regard doré se pose sur la stèle.

— et bonjour à toi, enzo.

elle s'accroupit, la lionne si grande et si forte. elle se fait petite et silencieuse pour le petit prince à ses côtés. de son sac à main, elle sort un paquet de mouchoir et une bouteille d’eau qu’elle tend au garçon, sans rien oser lui dire.

melodiam // tenue — toujours accroupie, la femme contemple le jeune homme et elle se rend compte à quel point il n’a pas été éparnié. enfin, leurs regards se croisent. elle n’a pas perdu son doux sourire, aldoria. elle ne sait pas tout à fait quoi dire, quoi faire. elle n’est pas du genre à faire faussement espérer. mais il y a bien une chose dont elle est sûre : ciaran a besoin de se souvenir que les vivants l’aiment et sont toujours là, eux aussi.

— il sera toujours là tant que tu ne l’oublies pas.

accompagne ses mots au geste. ses doigts viennent effleurer là où bat le myocarde trop blessé du jeune homme. doigts manucurés viennent jusqu’à la tempe de ciaran et, d’un geste très tendre, elle glisse une mèche de cheveux derrière son oreille. sa large paume chaude reste un instant tout contre la joue de celui qu’elle considère comme étant son petit, sa délicate fleur trop fragile pour supporter le brouhaha de la vie.

— chhht… ciaran, il faut que tu arrêtes d’être si sévère envers toi-même. te punir ne sert à rien mon ange. tu vas finir par t’étouffer avec tous ces regrets, ces remords.

de nouveau, les larmes inondent son délicat visage. et elle a mal au coeur, aldoria. elle a mal de le voir si malheureux. elle aimerait pouvoir prendre sur ses épaules solides au moins la moitié de tout ce qui ternit l’âme de ciaran. ses bras hâlés se referment tout en douceur contre le corps frêle du jeune homme. elle aimerait n’être plus que bouclier, soulagement pour lui. absorber ses peines trop lourdes pour lui rien qu’avec ce contact. sa main frotte tendrement le dos du garçon. elle est là, ciaran. elle ne t’abandonnera pas.

— je sais… tu dois respirer ciaran. il faut que tu expires avec force, que tu laisses partir un peu de toute cette tristesse qui reste coincée en toi. les mots sont parfois inutiles quand on sait regarder. et enzo savait te regarder, ciaran.

c’est quand elle sent ses propres boucliers commencer à trembler, que sa gorge se noue légèrement, qu’aldoria cesse l’étreinte. ses mains se posent d’abord sur les épaules du garçon, l’intimant à se reculer juste un peu. et dans ses grandes mains, elle prend en coupe le visage du buchanan. de ses pouces, elle essuie délicatement les torrents sur les joues de son lionceau.

— je ne vais pas te demander de rester fort, d’arrêter de pleurer, de faire bonne figure pour ta petite sœur, pour lison, pour lazare. nous ne les oublierons jamais. la douleur, la peine seront toujours là. mais le temps les rendra supportables. et je serais là dès que tu en ressentiras le besoin pour te rappeler qu’il faut que tu respires. que toute cette peine que tu ressens, c’est à toi de décider quand est-ce qu’elle deviendra plus légère, moins envahissante. d’accord, ciaran ? je suis là. je serais toujours là.

lèvres pulpeuses et maquillées s’étirent en un sourire chaleureux. elle continue de caresser ses joues, ses propres yeux dorés brillants de ces larmes qui jamais ne couleront. ces larmes qui prouvent pourtant la véracité de ses mots.

ces mots qu’elle aurait voulu que l’on prononce pour elle, au moins une fois.