Deux ans s’étaient écoulés depuis la chute de Tempelhelm et beaucoup de choses avaient changé.
En parcourant les rues d’Arkmere dans la douceur du printemps, Karma n’avait pas encore cessé de parcourir régulièrement  le ciel des yeux. Il était bien loin de chez lui, l’ex-gardien d’un temple du feu qui n’avait plus lieu d’être, portant encore fièrement les fragments de son noyau autour de son cou et à son annulaire gauche. Et malgré les deux années écoulées, l’accueil qui avait été réservé à de nombreux tempeleurs et la sécurité des rues de sa nation d’adoption, Karma s’y sentait encore un peu étranger.

Ses repaires, il les trouvaient alors en cherchant du regard la jeune femme qui l’accompagnait ce soir comme depuis de nombreux autres soirs maintenant, et un léger sourire ourla brièvement ses lèvres alors qu’il se perdait dans sa contemplation.
C’était elle à présent, sa cité, sa maison. Forte et délicate à la foi, capable de protéger autant qu’elle avait besoin de l’être, leur mariage avait été une évidence après avoir eu tant peur de se perdre.

Au départ, Karma avait craint qu’ils ne soient tous deux que deux âmes brisées ayant simplement besoin de panser leurs plaies et de fuir la solitude en affrontant une vie nouvelle. Il se trouve qu’il n’avait jamais été aussi loin de la vérité. Ils se complétaient simplement. Ils se comprenaient, aussi. Au point que ce soir, alors qu’ils quittaient Hadrien et Lison Steinhart après une visite amicale, il sente que quelque chose n’allait pas.

- Amaya ? Tu es bien silencieuse depuis que nous avons quitté les Steinhart.

Une pointe d’amusement dans la voix accompagne la remarque suivante, masquant dans un premier temps l’inquiétude qui pourrait poindre.

- Alors que tu es toujours très prompt à donner ton avis sur l’architecture d’Ashever ou sur la façon dont nous nous sommes adaptés à cette nation.

Ses pas s’arrêtent au milieu de la rue calme, en même temps que ses doigts frôlent le poignet d’Amaya pour l’inciter à s’arrêter, bien qu’ils soient tout proche de leur lieu de vie. Ses yeux glacés cherchent ceux de la jeune femme. Les années et la guerre ne les avaient pas adouci. La présence d’Amaya, un peu.

- Dis moi ce qui ne va pas. C’est ce que nous avons convenu. Toujours se dire quand quelque chose cloche pour le surmonter ensemble dans le meilleur des cas. Et je vois bien que quelque chose te tracasse depuis que nous sommes partis.    

Amaya était sincèrement heureuse après l'annonce de sa meilleure amie. Elle savait qu'il y avait longtemps eu des doutes sur si elle serait capable de concevoir un jour. Et bien qu'Omni soit toujours là-haut, peut-être dans sa grande clémence avait-il quand même entendu ses prières. La lune paraissait si sereine, difficile de croire qu'un combat continuait inlassablement parmi les astres. Chaque soir, Amaya priait pour qu'Omni triomphe. Au moins, il y avait quelque chose de réconfortant à pouvoir voir la lune, bien qu'elle paraisse plus petite que quand ils étaient encore "là-haut".

Et si Omni avait pu exaucer ses prières, exaucerait-il un jour les siennes ? Avec Karma, ils avaient choisi de rester fidèle à leur Dieu et continuer à être au plus proche de lui, à le servir. Ils avaient peu à peu reconstruit une vie, à deux. Il aura fallut deux guerres et la chute de Tempelhelm pour que le destin les réunisse, comme elle l'avait pressenti dès le moment où elle avait posé les yeux sur lui. Une intuition trop forte pour être ignorée. Dans leur malheur, ils avaient réussi à trouver un bout de paradis avec l'autre. Sans lui, sans Lison, sans Graham, Lilith, Cybèle et tant d'autres, elle n'aurait sans doute pas tenu. Plus que tout, le besoin de retrouver sa famille l'avait guidé. Tout n'était pas parfait, tout était loin d'être reconstruit, mais cette fois-ci, elle ferait les choses bien, sans ignorer les uns et les autres. Sans se bercer d'illusion. Sans qu'on la traite comme une enfant et qu'on la protège de la vérité.

La voix de Karma la tira de ses réflexion. Elle réalisa effectivement, qu'elle n'avait pas dit un mot. Il lui arrivait, parfois, de réaliser qu'elle était dangereusement proche de redevenir obsédée par sa famille, les Carter. Alors qu'aujourd'hui, elle avait sa propre famille avec Karma. La seule famille qui devrait compter pour elle. A son geste, elle entrelace ses doigts dans les siens. Elle devait l'avouer, elle abusait entièrement du privilège qu'elle avait à pouvoir faire cela maintenant. Ils avaient beau être mariés, elle était toujours fascinée que le gardien lui appartenait enfin.

« Je me suis dis que tu te serais lassé de m'entendre radoter. On passe toujours par cette rue. »

Mais elle se doute que ça ne suffira pas comme explications. Il y avait bien quelque chose qui la travaillait. Mais elle ne savait pas si c'était le bon moment ni le bon endroit pour lui en parler, d'autant plus qu'elle craignait légèrement sa réaction.

« Je suis très heureuse pour Lison, sincèrement. Je sais que c'était l'un de ses désirs d'être mère. Et je vois bien qu'elle est comblée dans son mariage, épanouie dans son travail. C'était la suite logique des choses. »

Avec un léger soupir, elle prend l'autre main de Karma dans les siennes. Baissa les yeux sur leurs mains jointes, où le reflet des lampadaires faisaient briller leurs alliances.

« J'imagine que... Je voulais savoir ce que tu en pensais. De comment tu voyais la suite. Pour nous ? »

S'ils suivaient le chemin traditionnels, ils avaient eu le mariage heureux. Ils commençaient à s'épanouir dans leurs carrières.
Et ensuite ?

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Quand leurs doigts s’entremêlent, les yeux de Karma ne peuvent pas encore s’empêcher de se poser sur ce geste qui était pourtant devenu anodin au fil du temps, avec elle. Nul doute qu’il ferait brûler vif la moindre personne osant le toucher, peu importe son rang, pour peu qu’il lui soit inconnu. Mais les années avaient passé et avec elles, certaines névroses, accordant notamment à Amaya une tendresse absolument normale. Il restait encore quelques réflexes nerveux à contrôler, notamment ce regard qui surveille même sans être en danger, mais l’ancien Gardien était en progrès.

- Et tu trouves toujours quelque chose à dire pour me surprendre. Je t’assure que je ne m’en lasse pas.

Sans la presser, Karma attend, car il sait que quelque chose se cache derrière sa remarque innocente et délicate qui se voulait simplement apaisante. Il savait bien que ce n’était pas pour lui cacher des choses qu’elle avait tenté de détourner la conversation, mais plutôt pour faire en sorte qu’il ne s’inquiète pas. Longtemps il avait pensé que ce schéma fonctionnait, mais la franchise était trop importante dans sa vie pour ne pas avoir demandé à Amaya de l’intégrer dans la leur.

Accueillant sa question en silence d’abord, il lève une main qu’il détache lentement vers la joue de son épouse, presque aussi pâle que ses propres doigts, pour la frôler délicatement, comme on effleure une fleur fragile.

- Je vois. Tu voudrais savoir ce que je pense du fait de fonder une famille, d’avoir des enfants comme Hadrien et Lison.

Même s’il a progressé dans certains domaines, celui des émotions est encore compliqué et il s’efforce de sourire pour que la neutralité habituelle de son visage ne blesse pas la jeune femme, quand bien même celle-ci ait l’habitude maintenant.

- C’est une question légitime.

Comme beaucoup d’autres questions légitimes qui pouvaient suivre. Et c’est ce qui laissa planer un bref silence entre eux, qui semblait pourtant durer une éternité, le temps que Karma choisisse ses mots, ce qu’il ne faisait pourtant presque jamais.

- J’y ai pensé tu sais. Arkmere est sûr. On ne pouvait pas obtenir une meilleure situation en… tombant littéralement sur eux. Et je suis rassuré que tu sois en sécurité ici. Je ne dis pas que je leur fais une confiance aveugle mais ils ont été accueillant. Et la ville est sereine.

Posant ses lèvres sur le front d’Amaya en un baiser tendre, il souffle doucement.

- Mais j’ai aussi pensé aux frontières… Et à Greygarde. Je n’arrive pas à m’enlever ça de la tête, Amaya. L’ombre d’Eclipse qui plane encore. Je sais que ça fait deux ans mais… Enfin tu comprends, n’est-ce pas ?    

Amaya eut un moment d'hésitation, mais hocha la tête. Elle avait toujours su, depuis toute petite, qu'elle voulait des enfants. Avoir une famille nombreuse comme celle qu'elle avait, et qu'elle avait idéalisé. Et le coup de foudre qu'elle avait eu pour Karma lorsqu'elle l'avait vu pour la première fois était aussi biaisé par cet aspect superficiel, de vouloir avoir des enfants qui seraient dignes du nom qu'elle leur transmettrai. Et aujourd'hui, contre toutes attentes, Karma lui retournait son affection, et elle l'aimait d'un amour sincère qu'elle ne pensait jamais connaître un jour, et un bonheur qu'elle avait cru connaître jusque là, à tort.

Elle ne lui reproche pas son silence ou de vouloir choisir ses mots. Il leur était arrivé d'en discuter, jamais explicitement. Mais ils avaient une chambre, qui attendait d'être rempli. Ils s'étaient accordés sur le fait qu'elle serait là pour accueillir une bonne nouvelle. Malgré tout, ils continuaient à prendre des précautions pour le moment, ils profitaient encore de se découvrir l'un l'autre et d'une vie qui ne leur appartenait qu'à eux deux. Ce n'était pas parce que Ian et Urielle avaient eu leur premier enfant très tôt après leur mariage qu'Amaya devait en faire de même, pour un tas de raison.

Elle voyait Karma avec des enfants, parfois. Quand les domestiques apportaient parfois leurs enfants par exemple, ou quand les jeunes hakarois voulaient voir "le dragon". Elle n'aurait pas cru voir qu'il s'adoucirait autant ou serait bien plus tolérant avec eux qu'avec des adultes. Ça l'avait fait sourire. Elle se disait que peut-être qu'ils étaient prêts.

Et pourtant, quand son mari émet ses propres doutes, elle réalise que ce n'est pas de la déception qu'elle ressent, mais un profond soulagement. Elle soupire et relève la tête pour l'embrasser furtivement et passe ses bras autour de sa taille.

« Tu n'imagines pas à quel point je comprends, mon amour. Je suis entièrement d'accord sur le fait que... ce n'est pas tout à fait le bon moment, même si on peut tout à fait se le permettre... »

Elle relâche son étreinte pour le regarder dans les yeux, avec un sourire mélancolique.

« On a encore tant de choses à faire, avant de se poser. On a encore besoin de toi et moi pour protéger notre nouveau chez soi. »

Amaya n'était pas certaine de si Karma voudrait réellement des enfants un jour, si pour le moment il prenait des précautions en essayant d'adoucir la réalité pour retarder une vraie discussion. Mais le jour où ils seraient prêts, ils en reparleraient. Pour l'heure, tout ce qui comptait, c'est qu'ils étaient sur la même longueur d'onde.

« Pour tout te dire, ça me rongeait depuis un moment. Je ne savais pas placer des mots sur ce sentiment. J'ai toujours voulu avoir des enfants... Je veux en avoir, avec toi, un jour. Beaucoup. Mais... »

Elle soupire. Ses mains se raidissent.

« Je ne peux pas fonder de famille en sachant que la mienne est encore éclatée. En sachant que Roy, Mason et Alice ne sont pas en sécurité, avec Ian. »

Roy, surtout, qui était de plus en plus distant avec elle, mais allait de plus en plus mal aussi. La culpabilité l'empêchait parfois de trouver le sommeil quand elle y pensait trop. Et c'était encore pire à chacune de ses interactions avec Ian, qui lui rabâchait que c'était de sa faute, de les avoir abandonné.

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Karma n’avait jamais eu peur de décevoir quiconque jusqu’à présent, si on faisait exception de son grand-père qui avait toujours été son guide, sa flamme dans la nuit. S'agissant de ses proches, il avait toujours été sûr de faire ce qui était juste ou guidé par l’affection qu’il leur portait. Ainsi, il ne pouvait pas réellement se tromper.
Et puis le temps avait fait son œuvre. Obadiah n’était plus là et Karma s’était lié émotionnellement à d’autres, composant avec cette absence de peur qui pouvait parfois le faire passer pour quelqu’un d’insensible.
Mais aujourd’hui, il prouvait que ce n’était pas tout à fait le cas. Car Amaya qui avait remplacé son ascendant sur cet autel immaculé, comme la seule capable de pouvoir le juger. Et même en connaissant sa douceur, son amour, son empathie à son égard, aujourd’hui la plus grande peur de Karma était de la décevoir.

Alors quand elle l’embrasse, qu’elle l’enlace, il lui rend ses attentions en retour, étrangement soulagé de lire les mêmes questionnements dans ses yeux. Et il esquisse un sourire, caressant ses cheveux en la gardant contre lui.

Bien sûr, il aurait aimé pouvoir la rassurer. Lui offrir ce qu’elle désirait dans la plus grande des sécurités, loin des doutes. Mais constater qu’ils en étaient incapables tous les deux lui permettait d’arrêter de croire encore qu’il l’empêchait, lui, de vivre ses rêves. Car jamais il ne se serait pardonné de la priver de bonheur.  

- C’est un désir que je n’avais pas, avant toi. Et outre le fait que je ne te priverai jamais de ce que tu souhaites, j’ai envie de vivre ça avec toi. Je suis persuadé que nous en aurons, ensemble, et que notre famille sera un exemple pour tous. En tout cas, que nos enfants seront heureux.

Il avait senti ses mains se crisper, comme à chaque fois qu’ils évoquaient les Carter, l’un d’eux en particulier. Karma était sans cesse tiraillé car il n’avait pas pardonné Ian pour tout ce qu’il avait fait. Même en sachant que son épouse souhaitait recoller les morceaux fragmentés de cette famille complexe, il devait se faire violence, pour elle, pour accepter cette démarche.

- Je sais, Amaya, que le nom des Carter pèse encore sur tes épaules. J’ai renouvelé la promesse que je t’avais faite dans l’Understadt, en t’épousant. Je ne les laisserai pas te faire du mal. Aujourd’hui, cela prend une toute autre forme que ce que tu m’as fait promettre là bas. Mais je la tiendrai.

Ses doigts pâles massent délicatement les mains tendues d’Amaya. Il savait à quel point cette situation la torturait.

- Tu n’es pas responsable des choix déraisonnables de ton frère, mon amour. Et je vois bien dans quel état te mets cette situation. Tu sais que tu pourrais me demander n’importe quoi pour te soulager. Je le ferai.

Comment ne pas en vouloir à son beau-frère, de n’avoir suivi que les chemins les plus tortueux.
Mais pour apaiser la tension, l’ancien gardien souffle presque sur le ton de l’humour.

- Quand tu disais beaucoup, il nous faut préparer combien de chambres supplémentaires ?

Amaya sentit son coeur se gonfler d'amour à nouveau. Karma trouvait toujours les mots justes. Et c'était quelque chose d'assez nouveau, que quelqu'un à qui elle se dévouait entièrement pensait à son bonheur à elle. Et elle avait conscience que Karma faisait beaucoup de concessions à son égard, par rapport à sa famille. Et elle lui serait toujours reconnaissante pour cela. Et elle pouvait se l'imaginer, ce futur à deux, avec des enfants, et où ils seraient heureux.

Mais c'était ce que c'était, un bonheur dans le futur.

Les regrets laissent place à un faible sourire, face à la plaisanterie.

« Tu sais, Lison veut au moins sept ou huit enfants. Je ne lui ferai pas la compétition. Commençons par un ou deux, et nous verrons ou cela nous mène ? »

Elle embrassa ses mains et laissé échapper un soupir, puis passa un bras autour du sien pour marcher à nouveau, rentrer chez eux.

« Tu penses que je serai une bonne mère ? »

Amaya savait que vouloir des enfants ne signifiait pas qu'elle serait prête. Elle avait toujours considéré Roy comme son propre fils, l'enfant divin qui était destiné à de grandes choses. Elle avait fait ce qu'elle pouvait pour le protéger de la tyrannie de Ian quand elle était trop grande, et pour être une figure vers laquelle il pouvait se tourner quand il ne savait pas à qui se confier. Mais ça n'avait pas suffit à le protéger de la tristesse ou de la douleur.  

« Je n'ai jamais connu la mienne. Je n'ai pas eu le temps. Est-ce étrange, que ça soit Juniper Grant, parmi tant d'autres, qui soit celle qui me parle de ma propre mère ? »

Tout n'était pas totalement blanc avec sa demi-soeur. Et ça ne le serait probablement jamais, par principe. Pour autant, elle ne descellait ni haine, ni envie de meurtre envers elle, quand Juniper avait sans doute toutes les raisons du monde pour la détester.

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C’était dans ces moments-là, fugaces, particuliers, intimes, où ils n’étaient que tous les deux, que Karma ressentait réellement et pleinement le pouvoir et l’influence qu’avait eu Amaya en entrant dans sa vie. Et c’était dans ces instants précieux qu’il redécouvrait l’effet que la jeune femme avait sur son coeur aussi sec qu’un désert millénaire.
Lorsqu’elle souriait, même faiblement, l’envie lui prenait de lui rendre ce léger sourire, ne serait-ce que pour la rassurer. Et il découvrait alors l’envie de partager son amusement, et que jamais elle ne se retienne de rire à cause de la rareté de l’expression de ses émotions. Il se surprenait même à rire naturellement, sans que cela ne soit forcé, mais simplement dicté par la tendresse qu’il lui portait.

- Il serait déplacé de concourir sur ce terrain avec Lison, si elle est déjà aussi déterminée. Un ou deux, c’est très bien pour commencer.

Il s’était laissé entraîné pour reprendre leur route, qui les rapprochait de leur demeure encore vide des cris et des rires qu’ils envisageaient seulement à demi-mot tout en restant prudents. Mais la chaleur que provoquait leur ressenti mutuel comblait ce manque qu’ils auraient pu avoir.
Lorsqu’Amaya reprend la parole, Karma, lui reste silencieux, attentif. Il sait à quel point le mot “famille”, pour une Carter, était source de complications.

- Je n’ai pas connu la mienne non plus tu sais. Enfin, très brièvement. Et j’imagine que si je rencontrais quelqu’un pouvant me parler d’elle, j’écouterai cette personne.

De sa main libre, celle qu’il n’a pas abandonné à son épouse qui entoure son bras pour marcher à ses côtés, il tend le bout de ses doigts pour remettre une mèche de ses cheveux lumineux en place.

- Quand à savoir si tu seras une bonne mère, je n’en doute pas une seule seconde.

Il reprend rapidement, illustrant son propos, mesurant ses mots à demi, car il pouvait tout dire à Amaya, comme elle pouvait tout lui dire en retour.

- J’imagine que nos familles nous montrent la voie de ce qu’il faut faire, et de ce qu’il ne faut pas faire. Ensuite, chaque personnalité engrange les informations et les traite d’une manière très personnelle, en fonction de ce qui l’a choqué ou apaisé durant son enfance.

Karma savait le sujet délicat, car Amaya lui avait souvent parlé de son frère, seul membre de l’ancienne dynastie à avoir, pour l'instant, une descendance. Et il savait combien la jeune femme souffrait du schéma que Ian Carter reproduisait sur son premier fils, Roy.
C’était rare, mais aujourd’hui, il ne savait pas s’il aurait les mots pour soulager sa femme.

- Ta sensibilité et l’amour que tu portes à ta famille fera en sorte que tu ne reproduises pas les mêmes… schémas, Amaya. Tu seras une mère bienveillante, protectrice et aimante.

Sur le perron, il arrête ses pas, et vient embrasser sa tempe, avant d’ouvrir la porte.

- Si tu as un doute, regarde la manière dont tu t'inquiètes pour tes neveux et ta nièce.

Amaya ne pensait malheureusement qu'à cela, à ses neveux et sa nièce. Elle ne comprenait pas comment les choses avaient pu déraper à ce point, car à l'époque, jamais Ian ne l'avait traitée aussi durement quand elle avait été enfant. Et peut-être que là était toute la différence, elle n'était pas censée être sa descendante et le remplacer un jour.
Roy l'était.

Une fois la porte ouverte, elle s'engouffra chez eux. Il n'y avait pas de domestiques aujourd'hui, puisque c'était leur jour de congé. Amaya devait avouer qu'elle s'était habituée à ne plus forcément avoir quelqu'un pour l'assister au quotidien. Il y avait quelque chose de relaxant à ne pas avoir à jouer le rôle de maîtresse de maison parce qu'il y avait du personnel aux alentours. Ne pas avoir à changer de pièce si elle voulait discuter en paix avec Karma. Ou marcher pieds nus dans sa propre maison sans que ça ne soit vu comme étrange.

Les oreilles traînantes était ce qui posait le plus de soucis. Être agréable et bienveillante avec les personnes qui travaillaient pour eux ne signifiaient pas qu'Amaya leur faisait entièrement confiance non plus, d'autant plus qu'elle savait qu'elle était surveillée. Elle ne savait pas par qui ni comment, mais elle ne doutait pas qu'au moins un des chuchotteurs devait regarder ses moindres faits et gestes.

Et parler des Carter faisait parti des choses qu'elle ne s'autorisaient à faire que lorsqu'il n'y avait personne chez eux. Amaya alluma les lumières de leur pièce à vivre, un endroit qu'elle avait redécoré pour mieux coller à ce qu'elle aimait, quelque chose qui rappelait le temple du feu, plutôt que la tour Carter.

« Est-ce que tu voudrais du thé, mon amour ? »

Le sommeil ne viendrait pas tout de suite pour elle, elle n'était pas contre une tisane pour tenter de passer une nuit tranquille. Ils étaient partis relativement tôt de chez les Buchanan-Steinhart afin qu'elle puisse se reposer, Amaya s'en voudrait terriblement si elle se fatiguait trop à vouloir être de bonne compagnie.

« En parlant de famille... Je pensais retourner prochainement à Tempelhelm. Confronter quelques uns de mes frères et soeurs... Enfin. Tous mes frères et soeurs. »

Entre Cassandre qui la fuyait, Ian que elle fuyait, il n'y avait que Elijah qu'elle pouvait voir relativement sans soucis. Mais les Carter ne pourraient pas se fuir éternellement. Ils étaient voués à avoir une discussion un jour, tous ensemble.

Une autre assemblée de Carter, dans la tour.
Aux chaises toujours plus vides.

« Je voudrai que tu viennes avec moi. Histoire d'être sûr... que je ne fasse pas de bêtises. »

Elle ne voulait pas à nouveau sombrer dans une spirale de soumission pour eux.

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Rejoignant son épouse dans un silence entendu, en écho à leurs réflexions pertinentes pour la raison mais pénibles pour le cœur, Karma était entré en second pour refermer sans bruit derrière eux, et verrouiller la lourde porte de leur maison.

Entre ces murs, il avait fallu du temps pour que l’ancien gardien du temple du feu puisse se sentir chez lui. Il était d’ailleurs  intimement persuadé qu’il ne s’y sentait bien que parce qu’Amaya s’y trouvait avec lui, et avait déployé de nombreux efforts pour faire de ce lieu une ode à leur vie d’avant. Karma ne le lui avait jamais clairement exprimé, mais il lui était profondément reconnaissant d’avoir choisi de faire revivre un peu de leur temple dans la demeure qu’ils avaient obtenu d’Arkmere. Grâce à elle, les murs froids et grandioses de l’architecture arkmerienne s’étaient réchauffés.

Cela avait surpris le personnel de la maison, il n’avait pu s’empêcher de le remarquer. Mais qu’ils s’adaptent à ce qu’ils voyaient peut-être comme une fantaisie était bien le cadet des soucis de Karma.
Leur présence était à elle seule une source d’inquiétude pour le sous-général des armées, et ce dernier appréciait bien plus ces jours où Amaya et lui étaient les seules âmes qui vivent entre les murs de la maison.

- Avec plaisir, ma douce. Attends, avant de t’enfuir.

Il l’avait débarrassé de la veste légère qui lui couvrait les épaules avant de retirer la sienne, portant sur la jeune femme un regard tendre alors qu’elle s’afférait à leur préparer un moment rien qu’à eux.

Ils s’étaient débrouillés quelques temps sans personnel de maison. En fait, ils avaient d’abord refusé d’engager du monde : par besoin de se retrouver seuls tous les deux, par méfiance et par discrétion. Et puis il avait paru étrange, avec leurs statuts respectifs, qu’ils ne fassent pas travailler ceux qui en avaient besoin dans leur nation d’accueil. Alors ils s’y étaient pliés presque à contre-coeur.
Discuter de sujets délicats, loin d’oreilles trop curieuses, devenaient pour le couple, un jeu stratégique lorsqu’ils n’étaient pas seuls.
Il était alors normal pour tous les deux d’apprécier ces moments plus… libres.

- C’est, objectivement, une véritable réunion de famille que tu es entrain de programmer, Amaya ?

L’idée ne l’avait pas étonné. L’envie qu’Amaya portrait en elle, de renouer avec les siens n’était pas un secret. Par contre, sa demande elle, eut le don de le surprendre.
Aussi inquiet que curieux, Karma s’était approché à nouveau, prenant appui contre le meuble le plus proche.

- Tu sais bien que je t’accompagnerai au cœur de Greygarde si tu me le demandais, bien que je tenterai probablement de t’en dissuader avant. Et même si Ian ne sera probablement pas ravi de me voir, bien sûr, si tu le désires, je viendrais avec toi.

Un sourire malicieux étire ses lèvres malgré l’inquiétude qui perce encore difficilement dans ses yeux froids.

- Et je te soutiens depuis le départ dans ta volonté de renouer malgré l’éclatement de vos convictions. J’aimerai malgré tout savoir ce que tu en attends d’eux. Elijah et Cassandre derrière Ishtar Forbes… Ian et ses enfants à Greygarde… Toi, à Arkmere. Qu’en est-il de Juniper Grant ? Qu’as-tu envie de leur dire ?

Amaya sourit, lorsqu'il prit sa veste, et elle s'affaira à faire boullir de l'eau et à regarder la sélection de thé qu'ils avaient. Certaines plantes étaient différentes, à Hakar, et elle s'était amusée à en découvrir des nouvelles, à en faire pousser certaines. Les thés, notamment, étaient plus exotiques, et elle en avait acheté bien trop pour espérer un jour tous les finir. Mais c'était plus fort qu'elle, quand elle voyait un mélange qu'elle ne connaissait pas, quand on lui proposer de sentir les différentes combinaisons, elle revenait inévitablement avec des boîtes à ne plus savoir quoi en faire.

D'ailleurs, c'est une boîte prise au hasard qu'elle décida d'essayer pour ce soir, elle espérait que ça ne serait pas écœurant, et elle rit jaune quand Karma lui demande si elle prévoyait une réunion de famille.

« Ah non, par Omni, non ! Rien de tel. Je comptais les voir individuellement pour commencer... Vu comment les relations sont tendues en ce moment, personne ne viendrait même si je les invitais. »

Et c'était une triste réalité, mais elle avait assez de présence d'esprit pour savoir que ça ne serait pas une bonne idée. Elle n'était pas comme Ian, et elle ne voulait pas forcer les uns et les autres à rester attachés s'ils ne le souhaitaient pas. Elle voulait avoir une approche différente de lui, même si leur but était, au fond, le même.

Le sifflement de la théière marqua une pause dans leur conversation, et elle attrappa deux tasses pour les servir. L'odeur lui paraissait floral et mentholé, elle ne disait que ça ne pouvait pas avoir un goût immonde. Elle laissa les feuilles infuser en pesant ses mots. Qu'est-ce qu'elle voulait leur dire, à tous ?

« Que je reste leur soeur ? Que je suis là pour eux ? Nous avons tous choisi des chemins différents, et je pense que quelque part, malgré des débuts difficiles, cela aura permis de prendre du recul sur la situation de chacun. Mais quand je vois Lison enceinte et à quel point je pense qu'elle aurait voulu que toute sa famille soit là avec elle pour vivre ce moment ensemble... Je me dis que, si ça devait nous arriver, j'aurai aimé qu'ils soient tous impliqués. Après tout... On avait eu un semblant de calme avec tout le monde quand on s'est marié. »

Rien n'avait explosé, ou si peu. Elle avait eu beaucoup de craintes ce jour-là que des fantômes viennent la hanter, mais les couacs s'étaient éclipsés avec le temps. Elle s'était engagée pour une nouvelle vie pour l'éternité, et elle n'avait pas de regrets.
Avec un sourire tendre, elle encadra le visage de Karma de ses mains en se rapprochant de lui.

« Et je me moque de ce que Ian pense de toi. »

Et ces mots-là, elle était heureuse de pouvoir les dire et réellement les penser.
Il y avait un espoir que son frère ne réussisse plus jamais à l'influencer.

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L’odeur du thé, à peine le sachet ouvert, commençait déjà à embaumer délicieusement la pièce. Plongé dans l’eau, il parfumerait d’autant plus, rappelant encore un peu plus les appartements privés des membres du temple du feu et de son gardien.  
C’était un bon choix, bien qu’avec tout ce qu’Amaya avait amassé en deux ans pour eux, tous deux grands amateurs de cette boisson, Karma songea avec amusement qu’elle avait probablement laissé le destin et le hasard décider de la saveur de ce soir.

Installé contre un plan de travail, l’ancien gardien suivait des yeux les mouvements de son épouse, attentif. Le sujet était délicat et il ne le savait que trop bien. Pour autant, et même s’il ne savait pas s’il serait d’une grande aide, il était prêt à tout entendre et à l’aider. Sa famille à lui ne comptait pas autant de membres, encore moins autant de dissensions. D’une certaine façon, cela lui donnait du temps libre pour sa famille à elle.

- Un par un, c’est un bon début. Tu es un maillon fort qui les rassemble. Ils accepteront sans aucun doute de te rencontrer sur un terrain neutre. Tempelhelm est tout indiqué pour ton projet.

Karma voyait bien qu’elle réfléchissait, et que chaque jour, elle retournait le problème de sa famille dans son esprit, encore et encore, comme un puzzle ou un casse-tête. C’était ce qu’était devenue la famille Carter.

Le sous-général d’Arkmere inspira profondément. L’odeur embaumait bel et bien toute la pièce maintenant qu’Amaya avait plongé les feuilles de thé dans l’eau. C’était apaisant, même pour une discussion aussi délicate.
Son éternel léger sourire aux lèvres, il accueille Amaya dans ses bras, la serrant tendrement contre lui. La petite dernière de la dynastie Carter avait fait du chemin.

- Je comprends. De toutes les dynasties que nous avons connu, les Carter sont les seuls à être restés debout malgré tout. Je suis sincèrement désolé pour Hadrien et Lison.

Peu importait l’éclatement de sa famille aux liens compliqués, elle restait un vestige de leur vie entre les nuages, au plus proche d’Omni. Et bien que cela ne leur ait pas beaucoup servi, comme à tous les autres tempelheurs, ils avaient le mérite d’être toujours là. Presque tous.
Il y avait certaines choses qui ne seraient jamais pardonnées. Mais la démarche d’Amaya était noble.

Karma déposa un baiser tendre sur son front, puis sur ses lèvres, lui volant un baiser avant de lui faire signe de prendre place au salon. Il amènerait le thé.

- Je me moque de ce que peut penser ton frère. Notre mariage sans accroc est la preuve qu’il n’est pas totalement opposé à ma présence à tes côtés. Un bon point donc.

Quand ils s’installent, la brise d’été vient s’engouffrer dans le salon ouvert sur la terrasse, et Karma vient s’asseoir près d’Amaya.

- D’autant plus que j’aimerai profiter de sa maîtrise de la foudre pour travailler la mienne. Entre beaux frères et avec son égo, j’espère qu’il verra là une occasion de briller tout en étant productif.

Un léger rire passe ses lèvres entrouvertes. Il dure peu de temps, rare comme de la neige en été. Avant de s'enfoncer dans le dossier du canapé.

- Par qui commencer, alors ? Tu étais très proche de Cassandre. Elijah et elle seraient peut-être les plus faciles à contacter. Après tout, ils ne sont pas à Greygarde, eux. Sais-tu quels sont les liens qu’ils ont tous entre eux ?

Amaya ne peut s'empêcher de lâcher un rire jaune lorsque Karma parle de s'entraîner avec Ian, avant de réaliser que son mari était tout à fait sérieux. Elle se redresse, alors qu'elle s'était assise sur le canapé pour le rejoindre.

« Mais quoi ? Qu'entends-je ? Qu'ouïe-je ? Tu es sérieux, tu veux t'entraîner avec lui ? »

Même elle savait qu'elle ne supporterait plus ses instructions aujourd'hui. Avec le recul qu'elle avait pris, et la vie qu'elle avait construit, Ian était devenu trop arrogant, trop clivant, trop provoquant pour qu'elle puisse apprécier le moindre de ses conseils. Et elle avait trop de fierté pour s'abaisser à lui demander de l'instruire aujourd'hui, d'autant plus qu'il retenait pratiquement en otage ses neveux et sa nièce.

Pour cela, c'était étrange, de penser que la dynastie des Carter restait encore debout. Elle n'irait pas jusque là. Chacun portait encore leur nom, mais certains étaient morts. Peut-être comptaient-ils le plus de survivants, mais ils n'étaient plus une fratrie soudée. Hadrien était malheureusement seul, et elle ne comprenait pas le choix de Lazare d'avoir laissé Lison pour une nation des plus violentes. Elle soupire doucement.

« C'est... compliqué, avec Cassandre. Je sais que Elijah est en contact avec elle, mais elle ne me répond pas. Je pense qu'elle me fuit. Elle ne veut pas répondre à mes questions ou réaliser que la soeur qu'elle a abandonné est différente de celle qu'elle verra maintenant. Je ne sais pas trop comment Ian et Elijah s'entendent, mais suffisamment cordialement pour rester en contact. Un vrai casse-tête... »

Elle se masse la tempe avec une main, dépitée de voir où sa famille en est venue à tomber.

« Nous souffrons tous d'orgueil. J'espère que si on a des enfants un jour, ils n'hériteront pas ça du côté de ma famille. »

MADE BY @ICE AND FIRE.

La réaction d’Amaya ne s’était pas faite attendre, quand il fut question de parfaire sa maîtrise de la foudre auprès de celui qu’il devait maintenant appeler “beau-frère”. Et Karma n’était pas surpris. A vrai dire, il s’attendait à l’étonnement de son épouse, voire même à quelques mises en garde. Mais il était lucide quant au potentiel de son idée.
Après tout, ils n’étaient plus nombreux, ceux qui maîtrisaient un élément particulier comme ils l’avaient toujours connu. Ceux qui en maîtrisaient le stade avancé se comptaient aussi sur les doigts d’une main ou presque. Et même si Ian était ce qu’il était, il était aussi celui qui en possédait la maîtrise depuis plus longtemps.

- Très sérieux… Il s’agirait plutôt de perfectionnement. Mes débuts, auprès de toi, Cybèle et Graham, m’ont beaucoup apporté. Mais tu me connais, j’aime aborder nos capacités sous plusieurs angles. Elles sont précieuses dans ce monde qui n’est fait que d’ombre et de lumière.

Pour la première fois depuis le début de la journée, il affiche un réel sourire tendre pour rassurer Amaya.
Il savait combien l’idée même pouvait faire des ravages dans son esprit.

- Tout ira bien. Et puis j’aurai une excuse pour te suivre comme ton ombre et ne pas te laisser faire ça toute seule.

Passant une main dans les cheveux blonds d’Amaya, il reposa doucement son front sur le sien, bercé par les senteurs exotiques du thé et le parfum de l'encens qui flottait dans la maison.

- Tu prendras ton temps, tu feras les choses bien. Petit à petit, et morceau par morceau. Tu es le noyau de cette famille et tes intentions sont pures. Je serais là pour t’aider. Cela prendra le temps qu’il faudra mais je suis persuadé qu’ils répondront à ton appel.

Il faudrait servir le thé. Karma était terriblement à cheval sur le temps d’infusion.
Mais sans un coup d’oeil à la théière, l’ancien gardien attire d’abord la jeune femme contre son torse pour l’étreindre.

- Quand nous aurons des enfants, ils hériteront de ta détermination, de ta force, de ton courage et de l’amour que tu portes à ta famille.

Et Karma ne disait jamais quoique ce soit qu’il ne pensait pas.

- Fais moi confiance.