Elle avait demandé Alvaro Reyes, et à la réception, les imbéciles orgueilleux qui se croyaient importants car ils travaillaient au parlement avaient ricané. "Il n'est pas disponible pour toi" était à la fois hautement improbable aux yeux de Mésange qui s'agaçait déjà à l'intérieur d'elle-même et à la fois abruptement culotté compte tenu qu'ils n'avaient même pas demandé son nom à la gamine qui se présentait devant eux.
Mais Mésange avait compris que certains adultes avaient besoin de rabaisser pour se sentir exister et sans doute avait-elle encore trop les traits des miséreux, quand bien-même elle s'évertuait à ressembler un peu à autre chose qu'à la crasse et à la poussière ; elle se sentit vexée de n'être toujours ramenée qu'à une enfant à problèmes, alors qu'elle avait fait tous les efforts pour être présentable - et Alvaro Reyes était sans doute le seul pour lequel elle se donnait cette peine, se voir souillée dans son élan la rendait amère.

Alors avec ses cheveux proprement lissés, son visage nettoyé, ses ongles récurés et sa tenue repassée, elle se sentit très bête, décontenancée, et s'était mise à crier sur les deux connes de la réception.

JE VOUS DIS DE L'APPELER ET VOUS ALLEZ VOIR

Et combien de temps cela dura ; une demi-heure peut-être durant laquelle Mésange devenait écarlate.
"Mais tais-toi, on va finir par appeler la sécurité" ; et si Mésange avait baissé d'un ton pour ne pas être jetée dehors, elle n'en était pas moins restée fâchée, les sourcils froncés, et restant figée sur place.
"Allez, ouste", disaient-elles, les idiotes.

Bande de pétasses.

Grommelait entre ses dents.
Une des réceptionnistes perdait patience, et s'apprêtait alors à faire comme elles avaient menacé : appeler la sécurité, mais bientôt Alvaro Reyes apparaissait dans le hall d'entrée, et le regard de Mésange se braqua sur lui. Si on pouvait y deviner des lumières, son visage en revanche était toujours le même ; sauvage, souvent indifférent.

Alvaro !

Aurait-elle du l'appeler Monsieur Reyes ?
Mésange n'avait jamais rien su faire avec les politesses.

Les réceptionnistes avaient commencé à se confondre en excuses.
"Excusez-nous", disaient-elles, "on a voulu la faire partir mais elle restait là, elle disait vous connaître..."
Mésange avait froncé les sourcils contre elles, avant de relever un regard vers Alvaro, dans l'attente qu'il la valide.

C'est Maisie...

Comme inquiète qu'il ne la reconnaisse pas, depuis qu'il avait rejoint cette fonction.
Depuis quand les gardes du corps étaient-ils si respectés par des réceptionnistes, d'ailleurs ?
Mésange ne comprenait rien au monde des grands.

La moue était victorieuse, vainqueure de l'argumentaire infantile poussé entre elle et les réceptionnistes qui avaient maugréé, abondant évidemment dans le sens du garde du corps. C'était qu'elles connaissaient leur hiérarchie, les rapaces, mais que Mésange la connaissait mieux qu'elles encore - affichait un regard grand ouvert sur Alvaro, sans plus accorder d'attention aux deux dames de l'autre côté du comptoir.

Ils s'étaient écartés, et la fermeté avec laquelle il s'exprima n'interloqua pas plus que ça Mésange, qui préférait quand on ne prenait, avec elle, aucun détour. Et Alvaro avait toujours été ainsi, direct, efficace ; c'était pour ça qu'en tant que maître, elle considérait qu'il était le meilleur. Car Mésange apprenait vite, et n'avait pas besoin qu'on s'attarde.

Le message de Isaac Weidmann.

Elle n'accorda pas un seul regard autour d'elle ; sans aucune crainte, comme si elle se savait immunisée quoiqu'elle dise - on pardonnait beaucoup aux gamines, surtout quand elles se mettaient à pleurer une fois prises sur le fait. Et Mésange avait appris à pleurer pour se dédouaner de bien des situations.

Mais elle ne comptait verser aucune larme devant son maître.

Tu viens d'en bas. Tu en penses quoi ?

Le regard froid et insistant.
Les lèvres pincées, les mâchoires serrées.

Qu'est-ce que je dois faire ?

Attendait qu'il la guide.