Grande inspiration, longue expiration.

L’air entre par le nez, ressort par la bouche.

Elle essaie de se calmer.

Mais ça ne fonctionne visiblement pas.

“Le prochain qui tape la clochette comme ça, j’lui fais avaler.”

Yeux carmins aux paupières plissées, sourcils froncés en une colère plutôt forte. Les poings et la mâchoire serrés, voilà que Hae-Jin semble bien irritée. Sa réaction à la clochette qu’on sonne à répétition comme ça amuse la galerie ; les quelques employés présents dans l’arrière-boutique, où elle était affairée à nettoyer quelques tasses, avaient soufflé de légers rires. Certains souriaient, d’autres en ont fait des blagues qui ont fait sourire quelque peu la ballerine. Elle lève les yeux au ciel et, d’un coup, retrouve son air irrité ; elle se dirige d’un pas un peu lourd vers la porte menant à l’avant.

Il était rare, depuis quelques mois, de voir la jeune Mae s’affairer derrière le comptoir de la brûlerie. Occupée par sa nouvelle vie ; les contrats qu’on lui offre, les chorégraphies à apprendre, les jours où le poids d’un deuil qu’on n’a toujours pas complété pèse lourdement sur la conscience et l’empêche de faire quoi que ce soit. Les jours où elle était de passage, c’était surtout pour venir parler à son père d’une affaire quelconque avec laquelle elle avait besoin de son aide. Les quelques rares jours où elle était venue prêter main forte à l’équipe… Disons qu’ils ne s’étaient pas trop bien finis.

Un peu comme c’était sur le point de se finir, aujourd’hui, alors que la jeune femme s’était tout juste extirpée des cuisines avec toute l’irritation du monde collée au visage. Mais la voilà qui s’arrête d’un coup, se freine dans son élan. Les yeux ronds comme des billes scintillent d’une lueur confuse et le cœur loupe un battement.

Elle aurait jamais cru le voir ici. Pas après toutes ces années.

Kieran avec ses manies d’enfant ; elle comprenait mieux, maintenant, pourquoi on avait sonné la clochette de façon si irritante. Même un bambin mal élevé aurait pensé deux fois avant de sonner comme ça.

Kieran, qui lui semblait si rayonnant, alors qu’elle avait plutôt l’air d’un nuage gris gâchant le paysage d’un sublime tableau.

Le cœur se serre, se fissure peut-être un peu. Sa seule présence ici ravivait des tonnes de souvenirs ; ceux qu’elle avait tenté d’enfouir au plus profond de sa conscience pour ne plus jamais y repenser. Parce qu’elle l’a encore sur le cœur qu’il l’ait abandonnée au moment où elle avait eu le plus besoin de lui. Parce que ça l’enrage de le voir qui semble toujours aussi insouciant, qui semble s’être complètement remis de l’incident qui a creusé ce gouffre entre eux.

Elle souffle, Hae-Jin, avant de finalement s’approcher d’un pas rageux, frapper le comptoir de ses poings devant l’importun et le fixant d’un air bien irrité.

“T’as dix secondes pour sortir d’ici avant que j’te balance de l’eau bouillante à la gueule.”

Les mots sont sifflés tout bas, crachés d’un ton quelque peu acerbe. À l’expression peinte sur ses traits normalement si délicats, il est facile de deviner que

Hae-Jin ne veut pas dealer avec sa bullshit aujourd’hui.