Le conseil des hérauts avait prouvé une fois de plus son incapacité à contrôler la menace de Nemesis et avait emporté cette fois-ci Neptunia Harbor dans leur déchéance.
Ce n’est pas le hurlement des habitants de Tempelhelm prenant l’immonde apparence d’une abomination indescriptible qui arrachait ce dégoût à l’ombre des Buchanan.
La chose qui irritait réellement Zayn Buchanan dans cette attaque était la manière dont il avaient mis à mal l’architecture paradisiaque de Neptunia Harbor, faisant fit de la protection des Buchanan et même du héraut de l’eau, Ishtar Forbes.
S’il avait déjà statué sur la possibilité d’aborder ce point avec cette dernière, il avait sur le feu des affaires plus pressantes.
La première tâche qui lui avait été confiée par Lazare était de traquer les adeptes ayant participé au saccage de la cité haute.
Il n’était pas toujours évident de pister des énergumènes comme les adeptes de ce culte, de par leur capacité à se révéler particulièrement intraçable.
Et Zayn n’avait certainement pas le loisir de pouvoir s’absenter de ses fonctions pour renifler toutes les bouses de l’Understadt jusqu’à finalement débusquer l’instigateur de ce massacre.
Par ailleurs, se déplacer de lui-même dans l’Understandt risquait de s’avérer dangereux pour quelqu’un comme lui, il était difficile de prendre la température dans ce genre d’endroit.
Surtout que la situation qui entourait désormais la basse ville était on ne peut plus nébuleuse.
Zayn n’avait reçu aucune nouvelle du confesseur depuis bien longtemps.
L’ombre s’attèle donc à frapper sur son Olid, à la vitesse de ses doigts l’on pouvait constater combien son discours était rodé.
La convocation avait été envoyée sans aucune forme de politesse et se conclut par un “chien”.
Pas sûr qu’il puisse refuser l’invitation, de toute façon.

Il avait fait préparer par ses domestiques un salon dans la grande bâtisse Buchanan, afin de pouvoir s’entretenir dans le calme avec l’un de ses agents.
Zayn avait abandonné depuis bien longtemps l’idée de dissimuler la relation qui le liait à Morgan Cavendish aux yeux de son grand frère Lazare, conscient que ce dernier n’aurait rien à redire en ce qui concerne l’utilisation d’un agent tiers pour effectuer les basses besognes.
Après tout, l’ombre avait toujours respecté les directives de sa lumière.

Le jeune homme attendait patiemment dans le salon, un livre à la main, ce dernier relatant les siècles d’histoire de la dynastie Buchanan.
Zayn se plaisait à se plonger dans cet ouvrage de temps à autres, pour s’imprégner toujours plus de la grandeur de ses aïeuls.
Dans la situation actuelle, il était particulièrement important de pouvoir remonter jusqu’à ses racines et conserver sa foi.
La porte s’entrouvre et un domestique pénètre la pièce pour annoncer l’arrivée de Morgan Cavendish.
Zayn lui adresse un simple geste de main afin qu’elle puisse disposer, chose qu’elle fait sans oublier la révérence qui lui est due.
Aucune boisson n’avait été proposée à Morgan, pas même un siège.
Zayn affiche un visage las et ne prend même pas la peine de décoller son regard des pages de son livre, alors qu’il prend la parole.

Tu es en retard.

Il n’avait pourtant stipulé aucune heure, dans la convocation qui lui avait été transmise.
D’un geste lourd et paresseux, il referme le livre avant de finalement déposer ses iris sur son “invité”.

Pas étonnant, pour quelqu’un de ta trempe.

Affiche un sourire faux, les yeux plissés, passablement irrité par les événements s’étant déroulés à Neptunia il y a plusieurs jours.

Comment vont tes jambes ?

A en juger par son attitude, Morgan n’était visiblement pas friand de ses entretiens avec l’ombre des Buchanan.
Non pas que cela ait la quelconque importance vis-à-vis du maître chanteur, mais il ne fallait toutefois pas qu'il perde de vue la courtoisie à laquelle il devait se plier, malgré lui.
Non pas que Zayn s’encombre de pareille attention à son égard, s’aurait été bien mal le connaître.
Mais il existait dans un monde totalement différent du sien, c’était donc tout naturel qu’il ne se conforme pas à un traitement respectueux envers la pauvre âme qui avait le malheur de se tenir devant lui.
Les pages s’entrechoquent entre-elles, alors qu’il referme le livre d’une colère sourde en appuyant sur les deux couvertures, la tranche au creux de se main.
Le sourire qu’il lui offre est froid, la voix faussement doucereuse, véritablement lugubre.

Morgan Cavendish, ignoble petite merde défoncée au traitement médicamenteux. Nous prendrons le temps que je souhaite pour cette convocation, le reste de ta petite vie pathétique se devra d’attendre.

Pose calmement le livre sur ses cuisses, les yeux plissés et le faciès affichant une mine satisfaite.
L’ombre Buchanan avait parfaitement conscience de l’emprise qu’il possédait sur Morgan, à l’aide de toutes les informations qu’il avait récolté sur lui.
C’est donc avec une assurance qu’il ne prendrait pas la peine de dissimuler qu’il le traitait exactement comme il l’avait toujours considéré.
Mais même pour un animal de compagnie, il ne s’empêcherait pas de favoriser un traitement parfois brutal pour obtenir le respect qu’il juge de rigueur.

Tu n’es pas le premier animal dont je m’occupe, sûrement pas le dernier non plus. Et j’ai toujours su vous faire ramper. Alors, reprenons.

D’un geste de la main, il extrait l’eau d’un des vases posés sur l’une des tables du bureau.
Il envoie l’eau fouetter sa cuisse gauche, dans un bruit sourd.
L’expression de son visage n’avait pas bougé d’un iota.
Zayn reprit, insensible à sa réaction.

Je t’ai demandé comment vont tes jambes, chien, et j’attends toujours une réponse.

Zayn ne manque pas d’observer chaque réaction, dans l’attente du moindre regard de travers, de n’importe quelle excuse pour déchaîner sur lui une nouvelle violence à son goût.
Mais Morgan restait droit, ne laissait s’échapper aucune complainte, n’offrait pas à Zayn ce qu’il désirait : une raison de le briser, encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus se relever.
Parce que le fait même qu’il puisse se tenir debout face à lui était une insulte.
Néanmoins, c’est une chose que l’ombre Buchanan voulait bien lui accorder : il était persistant.
Et Zayn en était adepte, des faux sourires.
Les yeux plissés, un sourire narquois qui effrite les lèvres, il est à son écoute.
La politesse nouvellement retrouvée, le livre s’écrase un peu plus dans la paume de sa main.
Irrité, mais il saurait se contenir, lui aussi.

En trottinant ? C’est un événement, je ferais envoyer des fleurs à celui qui te fournis les saloperies que tu ingères tous les jours. C’est un véritable magicien.

Venait finalement la raison de sa venue.
A cette déclaration, Zayn dépose le livre qui maintenait contre lui sur la table mise à disposition à la droite de son fauteuil.
Les jambes croisées, son regard décortique l’allure de Morgan.
Un jugement silencieux.
Laisse planer le silence quelques instants, avant de reprendre.

Comme tu le sais certainement, j’entretien mon réseau en exploitant le corps de personnes de ton acabit afin de conserver mon ascendant sur l’Understadt et ses acteurs. C’est une pierre angulaire de mon organisation. Et chaque personne qui officie pour moi se doit de me transmettre, une fois par semaine, un rapport détaillé de ce qu’elles ont observé en mon nom dans ce nid à crasse qu’est l’Understadt. Un dossier comme celui-ci.

Dit-il, alors qu’il ouvrait le tiroir de la table adjacente, avant d’en extirper une pochette cartonnée où il était indiqué une date ainsi que la photo d’une jeune femme blonde.
Il le jette à ses pieds.

Comme tu peux le constater, Morgan, ce dossier est vide. Et je ne peux pas me permettre des écarts de ce genre. Alors j’en suis venu à la conclusion suivante : si elle ne souhaite pas remplir sa part de notre accord, je vais devoir reprendre ce que je lui ai offert. Logique, n’est-ce pas ?

Les paumes vers le plafond, Zayn hausse les épaules, le visage même de la malice.

Et c’est pour ça que tu es là !

Un rit qui s’échappe d’entre ses lèvres.

Mes hommes l’ont retrouvé, elle est captive dans une pièce de mon bordel, l’Iceberg. Je veux que tu t’y rendes et que tu me rapportes ce qu’elle me doit.

Une courte pause.

Tu vas me ramener ses yeux et sa langue. Bien entendu, il faudra t’en emparer avant. Mais je compte sur toi. Tu as de la dextérité, n’est-ce pas ? Tu es un sportif, après tout.

L’ombre ne s’attendait pas à autre chose qu’un refus, venant de la part de Morgan.
Il faut croire que son comparse n’avait visiblement toujours pas compris sa place dans la hiérarchie qui le liait à Zayn Buchanan.
Morgan propose alors de prendre la place de la jeune femme, au sujet de sa mission.
Zayn esquisse un sourire, un sourcil levé, avant de reprendre d’un timbre rieur.

Quelle drôle de réaction, il en faut si peu pour te choquer ? Ce n’est pas une question que cela me fasse triquer ou non. Je met simplement un point d’honneur à ce que chacun me règle ses dettes et si je venais à faire preuve de la moindre forme de clémence envers des gens comme elle, j’aurais bien du mal à assurer la pérennité de ma petite entreprise. Si je lui laisse ses yeux et sa langue, la prochaine fois, je devrais faire encore pire. Et on ne veut pas ternir son image avec de la violence gratuite, n’est-ce pas Morgan ?

Peut-être que le plus terrifiant chez Zayn Buchanan, ce n’était pas sa propension à faire le mal.
C’était sa capacité à faire preuve d’une cruauté réfléchit, un manque d’empathie flagrant qui le pousse à se montrer mauvais en connaissance de cause et sans afficher le moindre regret.
Zayn n’était pas un homme qui jouait au recouvreur de dette ou au mauvais garçon pour se draper d’une image qui n’est pas la sienne.
Zayn était tout simplement mauvais, du plus profond de son être.
Joint ses doigts, son sourire toujours gravé sur son visage.

Prendre sa place ? Ne sois pas ridicule. Je suis celui qui décide de vos missions, je suis celui qui décide de la place de chacun. La sienne était de m’apporter des informations. La tienne est de m’apporter ce que je demande. Par ailleurs, je ne t’ai pas convoqué ici pour négocier.

S’esclaffe un instant, avant de reprendre.

Quand bien même je suis sûr que de vendre ton corps à sa place ne te dérangerait absolument pas.

C’était ça, le paradoxe avec Zayn.
Lorsqu’il obtenait enfin un peu de pouvoir sur quelqu’un, il s’assurait de le faire sombrer, de le faire tomber toujours plus bas, pour que jamais on ne se permette de lui désobéir à nouveau.
Pour qu’on soit éternellement à lui.
Rouvre le livre qu’il gardait entre ses mains, se désintéresse de Morgan visuellement.

Tu vas faire ce que je te demande, cela ne fait aucun doute. Je sais me montrer persuasif. Je me demande simplement combien de fois je vais devoir me répéter, pour me faire comprendre.

Tourne une page.
Puis deux.

Je suis curieux. Qu’est-ce qui te pousse à refuser cet assignement ? Tu veux la sauver elle ou te sauver toi ?

Dans l’attente de son prochain piège.

“Je ne suis pas un tueur”.
A cette déclaration, Zayn pouffe de rire, sans plus d’explication.
S’imagine que cela devait être bien suffisant pour évoquer son incrédulité à ce sujet.
Toutefois c’est par deux fois que Morgan venait se refuser les ordres de l’ombre Buchanan et à cela, l’homme ne pouvait s’empêcher d’afficher un visage vraisemblablement agacé.
Pas tant par le refus essuyé plusieurs fois, mais bien parce que Morgan ne semblait pas comprendre la teneur de la collaboration qui le liait au second fils Buchanan.
Alors Zayn ferme brusquement son livre et se lève de son siège, pour se diriger vers Morgan.
Lui fait face, le regard assombri d’une colère sourde, d’une haine froide.

Alors tu n’es pas un tueur, c’est ça ? Tu es un drogué, un handicapé, une prostituée, un chien, mais pas un tueur ? Comme c’est noble de ta part.

Penche sa tête sur le côté, pour le regarder d’un autre angle.

Qu’est-ce que je vais bien devoir t’arracher pour que tu comprennes ta position, mh ?

Sa langue claque contre son palet.

Qu’est-ce qui te donne l’impression de pouvoir faire autre chose que de m’obéir ?

Un dernier regard de dégoût lui est adressé, alors qu’il s’écarte de lui pour retrouver son siège.
Il croise les jambes et joint ses mains pour venir les déposer contre son genou.
Zayn reprend un visage faussement souriant, le ton chantant.

J’imagine qu’on y peut rien alors, n’est-ce pas ?

Lève les yeux vers le plafond, fait en sorte de taire son agacement.
Mais les menaces sont à peine voilées.

Puisque tu n’es pas capable d’obéir à un ordre aussi simple, alors je n’ai pas besoin de toi. Qui a besoin d’un chien à la patte cassée, après tout ?

Hausse les épaules.

Ta sœur s’occupe bien de la protection du héraut de l’air, n’est-ce pas ? Je suis sûr que c’est une femme intelligente. Et surtout, une femme à l’écoute. Tu penses qu’elle pourrait tuer pour protéger l’un de ses proches ?

Zayn savait Morgan doté d’un tempérament pouvant facilement laisser place à la violence lorsqu’il était acculé.
Raison pour laquelle l’ombre Buchanan n’avait pas tardé à réunir l’eau de tout ses vases autour de lui, afin de pouvoir répliquer dans l’éventualité d’une attaque.
Si Zayn n’avait rien d'impressionnant sur le plan physique, l’on ne pouvait nier que sa maîtrise de son don était irréprochable et bien au-dessus de la moyenne, à l’image d’un membre de dynastie.

Tu peux disposer, je trouverais quelqu’un d’autre pour me lécher les pompes.

Un pas menaçant dans sa direction avait suffit à Zayn pour constater avec satisfaction que sa provocation n’avait pas manqué à atteindre Morgan et le plonger dans un état de rage presque irrationnel.
A la menace qu’il n’avait même pas pris la peine de dissimuler à l’aide d’un sous-entendu, l’ombre Buchanan se contente de lui adresser un sourire détendu, vraisemblablement imperturbable à l’idée que quelqu’un comme Morgan puisse se montrer violent envers lui.
S’il n’avait aucune inquiétude au sujet de sa capacité à maîtriser quelqu’un du calibre de Morgan par la simple utilisation de son don, un animal acculé n’était pas quelque chose qu’il pouvait se permettre de prendre à la légère.
L’énergie du désespoir pouvait le pousser à faire des choses stupides, comme l’inciter à s’approcher de lui en proférant des menaces.
Nul doute que pour cet affront, il enverrait Xaira lui rendre une visite de courtoisie, qu’il se souvienne de la sensation de voir un autre de ses membres plier sous le poids de son genou.

Toutefois, s’il déplore le manque de subtilité dont son interlocuteur semblait faire preuve en sa présence, il appréciait avoir en face de lui autre chose qu’une simple carcasse vide.
Il n’en serait que plus plaisant de le faire marcher au pas.

C’est une menace bien ambitieuse pour quelqu’un comme toi, Morgan. Je serais curieux de savoir comment est-ce que tu pourrais t’y prendre, pour me “détruire” ?

Un sourcil levé et un sourire narquois qui habille ses lippes.

Et si cela était réellement dans tes capacités, pourquoi ne pas l’avoir déjà fait ? Tu apprécies à ce point le traitement que tu reçois de ma part ?

L’ombre se redresse brusquement, attrape le col de sa chemise sans ménagement.
Le regard obscurcit par tout le mépris qu’il pouvait ressentir envers ceux qu’il considérait comme le “bas peuple”.
Celui qui devrait simplement se laisser guider par sa majesté.
Et le remercier pour cela.

Tu n’es pas en droit de me menacer, Cavendish. Tu es insignifiant. Ta soeur est insignifiante. Toute ta famille, toutes tes relations. Il me faudrait à peine une demi journée pour détruire tout ce que tu as construit : te faire éjecter de ton poste d’entraîneur des Vertigo Falls, jeter l’opprobre sur ton nom et t’envoyer fouiller les poubelles de l’Understadt.

Relâche le col de son vêtement pour venir attraper son visage, par les joues.

Si tu venais à toucher ne serait-ce qu’un seul de mes cheveux… Ou pire encore, à m’incapaciter, ma collaboratrice la plus proche a pour directive de divulguer tout ce que je sais pour toi, preuve à l’appui, et rendre la vie de ta sœur misérable. Je sais ce qui est important pour toi. Et c’est pour ça que tu viens ici, peu importe l’heure, peu importe la raison, peu importe les mauvais traitements. Parce que je ne te demande pas. Je te commande.

La prise qui se réaffirme.

Nous sommes d’accord, Cavendish ?