Gisèle avait proposé à Euphemia de déjeuner ensemble, en dehors de leurs heures de travail. Ca ne serait pas un rapide repas entre quelques heures de travaux, pas une pause café très brève avant de reprendre le travail.
Juste un moment où elles n'auraient plus leur blouse, plus de dossiers à remplir, rien à passer au microscope.

Deux ans semblaient avoir défilé bien trop vite pour Gisèle. Il faut dire que l'ambition de trouver un remède aux infectés et de tout le potentiel qui pouvait s'en dégager derrière l'avait fortement motivée à travailler d'arrache-pied. Elle pensait qu'Euphemia était dans cette même effervescence, de travailler sur quelque chose de tout nouveau, tout neuf, l'effervescence de peut-être réussir là où tout le monde avait échoué.

Et c'était peut-être là que Gisèle s'était emportée.
Elle avait remarqué, sans doute trop tard, qu'Euphemia n'allait pas bien. Elle avait essayé tant bien que mal de faire tampon dans ses rapports externes, que ce soit avec son frère, ou même Amadis. Il y avait comme un besoin désespéré d'attirer l'attention sur elle sans trop oser s'en mêler directement elle-même. Objectivement, Gisèle savait que son intelligence était inversement proportionnelle à son intelligence émotionnelle.
Mais c'était le lot de tous les scientifiques qui réussissaient, non ?

En tout cas, avec Euphemia, elle voulait essayer de sortir de sa zone de confort et passer la limite entre supérieure et employée. Ca n'était pas aussi simple, malgré des années à travailler ensemble. Mais autour de ce café, elle avait fait une liste mentale de sujets qui n'avaient aucun lien avec le travail. Il allait juste falloir piocher dedans et éviter de dévier.

« Le temps se rafraîchit dehors. »

Parler de la météo, fait.

« Comment va M. Lindworth ? As-tu des nouvelles de ton frère ? »

Parler de la famille, fait.

« J'ai entendu Amadis dire qu'il s'en sortait très bien dans ses études. C'est une bonne nouvelle. Qu'il utilise ses compétences dans un domaine méritant. »

Parler des amis, fait.

« Est-ce que tu as passé un bon weekend ? Tu as des choses de prévues pour la semaine prochaine ? »

Parler de futurs plans, fait.

« Personnellement, j'ai prévu d'aller à une exposition avec Edouard. Ca se passe plutôt bien, c'est sûr que c'est pratique d'avoir des intérêts en commun. »

Parler de soi, fait.