Assise au fond d’un fauteuil imposant, à la structure dorée et au velours bleu comme celui des rois, Mordred avait songé en silence, peut-être abattue ou morne, le regard peint de moroses absences, et il se battait au bord des lèvres entrouvertes des mots qui ne se disaient pas.

Du bout des doigts ou du bout des lèvres - de sous les cils d’un regard à peine - Mordred avait joué des gens qui s’étaient pliés soudainement à sa volonté - comme si ça lui était dû - car ça lui était, dans une certaine mesure, dans une certaine réalité tronquée par des codes viciés - le monde s’était mis à danser autour de la princesse pour lui accorder ses caprices.

Et son caprice, ce jour-là, s’était avéré être Ceridwenn.
Habillée, coiffée, amenée dans ses appartements où la princesse flânait, dans une robe de chambre qui traînait en de longues soies à même le tapis, le dos affalé et les jambes relevées, les pieds nus sur l’accoudoir en face.

Elle avait penché la tête pour accorder un regard à la surintendante.
Lui avait désigné le fauteuil en face d’elle.

Installez-vous, Ceridwenn.

Avait reporté son regard vers la fenêtre pendant un long silence qui sembla durer une éternité ;
Avant que Mordred ne se relève dans un léger soupir, redresse son dos contre le dossier, les pieds embrassant les fibres du tapis mais restée assise au fond de son siège.

Me détestez-vous ? Et quelle serait votre réponse si je vous assurais que votre tête resterait sur vos épaules quels que soient les mots que vous prononceriez pour les prochaines trente minutes en ma compagnie ?

Le coeur semble au bord du précipice.
C’est un vertige qui attrape la poitrine face au caverneux de ses dires. Aucun sentiment néfaste ou aucun sentiment tout court ; Mordred se demande si seulement un jour son existence avait eu la moindre importance, sinon celle de son devoir, au regard de l’intendante.

Toujours traitée comme une princesse et moins comme une femme, moins comme une humaine. N’existait qu’à travers un rôle ; Mordred ; aux mille joyaux mais à la substance éteinte, témoignée par personne.

C’est idiot, pas vrai ?

Le regard est las derrière un voile froid ;
Brumeuse Mordred.

J’espérais peut-être que vous me détestiez car il est plus doux de se dire que vous ressentez quelque chose à mon égard plutôt que rien du tout.

Elle pouvait bien faire naître n’importe quelle émotion ; de la tristesse à la colère, de la joie à l’amour ; tant qu’elle faisait naître quelque chose, tant qu’elle vivait un peu au travers des autres.
Au travers de Cerdiwenn, pourtant, Mordred est inanimée.

Ce n’est pas grave.

Le regard qu’elle pose à l’intendante est glacial.
Mordred ne menace pas ;
C’est sa manière à elle de faire du lien ; tendrement ; violemment.

Peut-être seriez-vous plus réceptive à la douleur, Ceridwenn. Je ne suis pas très habile avec l’amour, mais concernant la haine, je crois pouvoir m’en sortir.

Le regard apparemment indifférent ne se déloge pas de son vis-à-vis.

Avez-vous peur de la douleur ?