Il n’était pas rare pour Jacob de devenir le mentor d’une personne, sur Tempelhelm.
Une partie de son travail consistait aussi à transmettre ses connaissances afin que son projet perdure par-delà les âges et pousse, dans une finalité certaine, la race humaine à atteindre son plein potentiel.
C’est ce à quoi il aspirait dans cette transmission avec Edouard Hopetaker.
De même dans son approche avec Alix Cameron.
Mais sur Hakar, les possibilités étaient limitées, tout simplement parce que le niveau technologique du continent était suffisamment arriéré en comparaison de la cité sainte pour qu’il soit incapable de concevoir n’importe lequel des habitants des trois royaumes comme un “génie” digne de ses enseignements.
Pourtant, parmi tous les habitants de Dawndale depuis sa prise de poste en Magnus, il avait eu la surprise d’apprendre l’existence de Rhiannon Auburn, dont les résultats scolaires étaient parfaitement invraisemblables de réussite.
Elle avait éveillé son intérêt.

Deux ans plus tard, celle à qui il avait tant transmis au sujet de la technologie et des méthodes de Tempelhelm s’était de nouveau illustrée par son absence à une réunion des Magnus.
Plus encore que l’insulte que cela représentait aux membres de la chambre, ce comportement portait également atteinte à l’influence du Magnus de l'Évolution, puisqu’il était celui qui avait appuyé l’intégration de Rhiannon parmi eux.
Cela donnait l’impression d’un mentor incapable de maintenir quelconque forme de contrôle ou d’emprise sur son apprenti.
Jacob avait en horreur ce genre de position.
Raison pour laquelle, à la fin du meeting, les premiers mots qu’il adressa à sa secrétaire furent ceux-là.

Ramenez moi Rhiannon Auburn. Maintenant.

***

Le vacarme assourdissant à l’extérieur de son bureau, provoqué par la chute d’un corps humain et d’un amas de boîtes, arrache le Magnus de l'Évolution à sa lecture.
Un long soupir traverse les pores de son masque en un grésillement difforme alors que ce dernier se lève de son siège pour venir ouvrir la porte.
Adresse un regard haut à Rhiannon, la froideur remplacée par une confusion communicatrice.

Auburn. Arrêtes tes âneries et viens dans mon bureau, je te prie.

S’en retourne à son bureau, prend place dans son siège de bureau et abat une nouvelle fois son regard sur le Magnus de la médecine.
Probablement qu’avec le génie se développait une forme d'excentricité, se dit-il en touchant son masque du bout de l’index.
Mais avec elle, cet aspect semblait être omniprésent.

Il ne détestait pas, à vrai dire, le comportement de Rhiannon.
Sauf lorsqu’il lui portait préjudice.

Tu as encore ratée une réunion, Rhiannon. C’est la deuxième d’affilée. Les autres Magnus commencent à se poser des questions et franchement, moi aussi.

Joint ses mains sur son bureau, le regard placide.

Qu’est-ce que je vais faire de toi ?

Rhiannon communiquait sans mal l’ennuie que lui faisait ressentir les réunions de la Chambre des Magnus.
Cela était parfaitement compréhensible : les scientifiques n’étaient pas des politiciens et chacun portait plus d’intérêt à l’avancement de ses travaux qu’à la gestion d’une ville soi-disant méritocratique.
Pourtant cette mission incombait à chaque Magnus et il était nécessaire que Rhiannon, en sa qualité de celui de la médecine, se plie aux exigences de sa fonction.

Le contraste entre leurs deux attitudes était évident.
Jacob demeurait parfaitement immobile et inexpressif alors que Rhiannon s’agitait sur place, déposait des gâteaux sur son bureau et que la couleur de ses joues se voulait variable.
Son regard toujours planté sur son interlocutrice, le Magnus de l’Evolution s’était accordé un soupir audible.

Je ne te demande pas d’écouter aux réunions, Rhiannon. Moi-même je n’éprouve pas d’attrait particulier à la vie politique de Dawndale. Mais cette étape est nécessaire pour nous donner les moyens de faire avancer la science plus que dans n’importe quelle autre nation. Ne te plaint pas d’un pouvoir qui puisse te servir dans ta passion.

Parce que Rhiannon possédait un véritable talent, dans son domaine.
Et Jacob n’avait jamais aimé voir une flamme aussi brûlante que la sienne s’éteindre.

Après avoir adressé un regard intrigué à la boîte déposée sur son bureau, Jacob avait relevé le regard pour transpercer de nouveau son apprentie.

Qui plus est, ta présence est nécessaire pour suivre mon vote. N’oublies pas ce que j’attends de toi. Je ne cultive pas ton talent et ton intelligence que par charité.

Quand bien même l’intérêt qu’il lui portait était réel.
Mais s’il avait voulu simplement profiter de son intelligence, il lui aurait fait intégré ses labos.
Pas la chambre des Magnus.

Est-ce que nous sommes bien d’accord ?