T’avais posé la lettre sur le plan de travail,
merde,
t’avais fumé une fois, peut être même deux, peut être même le paquet entier,
merde,
t’avais appelé Morgan, il avait pas décroché, il t’a rappelé, il t’a demandé si t’allais bien,
merde,
t’as dis que t’allais bien, mais c’est pas très grave si ça va pas bien parce que t’allais toujours bien à la fin,
merde.


Tu savais pas si tu avais envie de lire, tu savais pas si tu avais envie de le brûler, tu savais juste que ça hurlait en toi. Orion, tu l’avais aimé comme si c’était un de tes mioches, un mioche plus maigre et trop petit, un mioche à la mine désaxé par les poings de ses aînés mais ton mioche. Puis au final, comme d’habitude, l’amour ça avait pas suffit, ton amour du moins.


Ça ne suffisait jamais le tien, faut croire que le destin sait que t’es pas très douée à ces jeux là.


Alors t’avais cherché à oublier la lettre, et quand le soir était tombé, t’avais bien bougé mais pas la lettre. Alors tu l’as déplié et t’as reposé la lettre. T’as encore appelé Morgan, prétendu que t’avais oublié un truc chez lui et il n’a pas décroché. Il dormait, t’as pas vu l’heure.

Il t’a rappelé après, il t’a demandé si tu allais bien
T’as répondu
“non”

Et il a compris que quand le passé revenait, personne n’allait jamais bien.


T’as pas expliqué Cybèle, t’as lu la lettre pour toi et tu t’es demandé si tu voulais y aller. Si tu lui voulais lui demander et si tu étais capable de lui demander. De lui demander s' il était heureux d’avoir trahi la cité, que s' il était capable d’écrire des lettres pourquoi il n’était pas capable d’écrire ses aveux. T’as mis tes chaussures, t’es partie pour la gare.


La foulée était légère, les pensées absentes et t’as mis tes mains dans ta veste orange. T’aimais pas le orange, mais ça pétait les yeux, ça te pétait la rétine, ça te pétait tout. Comme si en détruisant le monde, tu détruisais ta colère.


Parce que p’t’être ça serait la dernière fois que tu le verrais avant que tu lui dises qu’il comptait pour toi, avant.

Et tu le vois assis sur le banc, tu restes debout, tu le regardes. T’aimerais cracher quelque chose, un grand discours comme Abel savait chanter mais il devait être partie soutenir Omni dans sa lutte contre les dieux parce qu’il ne te restait que le goût de la cendre.

-Pourquoi maintenant ? Ça fait deux ans mon petit reuf.

Tu dis ça comme ça, sans y réfléchir, tes yeux plissés en une fente sévère. Parce que tu comprenais pas, toi comme les hommes.

Tu voudrais faire tomber ce paquet par terre, l’écraser de tes pieds, lui dire que c’était pas comme ça qu’il fallait être cool, pas comme ça que t’avais envie de le connaître puis tu t’es dis que c’était injuste d’attendre que les autres soient comme tu le désires.

Que l’humain est compliqué, plus complexe que le divin et que c’était pas à toi de dicter les choses du monde. Mais tu pouvais pas contenir cette colère en toi, tu sifflais presque entre tes dents serrés, serpent animé mais poing baissé. C’était comme si en renvoyant son visage, tu te rappelais d’à quel point tu l’avais aimé.


Le poids de l’amour entraînait le même en haine, tu le savais maintenant. Et pourtant, t’aimerais le réprimander comme auparavant, de ses jointures de mains abimés à ce visage pâlot.

-T’devrais pas me dire ça, c’comme si t’étais fier d’être une merde.

Les mots dépassent ta pensée et tu ne sais plus les retenir, une vie entière à ne pas s’assumer toi et tes excès, toi et ton ire suintante contre le monde.


-On connait rarement les gens au fond. L’orange me semblait bien pour la journée, ça…rappelle des trucs. on voit pas ma gueule quand je porte de l’orange, c’est cool non?


Tu tires la cigarette, c’est comme un automatisme puis de tes doigts serrés tu la contemples, l’admires sans savoir ce que tu regardes.


-Beau matos, Ishtarbé te paie bien ? Ca se passe comment ta petite traque des infections ? Content d’avoir trouvé une autre meute ?


Caché sous le mépris, l’inquiétude que même toi tu ne comprenais pas. De tes yeux fixés sur ton visage, de ta posture lointaine, tu vou