Dans ces vastes contrées résident ces êtres qui savent calmer les tourments de leur simple présence.

Des peurs et des craintes bâties sur les piliers d'un vécu chaotique ; une existence misérable menée au sein d'une ville volante dont, aujourd'hui, tu foules les tristes ruines. Telle une victoire sur la vie, alors que les souvenirs demeurent bien enracinés dans tes entrailles.
C'est au milieu des décombres que s'est dessinée sa silhouette divine, le démon aux habits d'ange, l’enfer aux allures de temple saint.
On raconte que les hommes prient les idoles pour trouver la paix, et ainsi tu retournes auprès de Meritxell.

Car sa compagnie sait calmer ton âme en détresse.
Pour que les angoisses et le sentiment de vide enfin ne cessent,
Jusqu'à ce qu'e l l e ne disparaisse.

Ton regard se pose sur les débris du temple de la terre, une forme de fascination s’anime en ton sein ; tel un réflexe mal étouffé, tu t’armes de ton olid afin d’immortaliser ce nouveau paysage - à quoi ressemble ce lieu aujourd’hui. Car si la réalité s’érode sous la pression du changement, les images, elles, demeurent intactes.
L’appareil vibre alors et les lettres de son nom décorent ton visage d’un faible rictus. Ses contours se dessinent à l’horizon et la douceur se peint sur ton expression pudique. Sa main frôle la tienne et, comme si le corps connaissait mieux la nature de son pouvoir que la conscience, tes doigts cherchent à saisir délicatement les siens.

— Bonjour Merit.

Avant d’abandonner ce geste saugrenu, cette tentative maladroite et ridicule, ta main retombant le long du corps.
Son visage rayonne de cette imposture à laquelle tu acceptes de croire avec la crédulité des marginaux, le sourire ému d’être témoin de ses prunelles briller pour toi ; comme personne ne l’a fait avant.
Ses mensonges calculés adoucissant les doutes, et t’enfermant dans un silence béat. Tes orbes dorés se détournent légèrement vers l’horizon.

— Ce n’est pas celui de mon signe, mais je l'aime beaucoup aussi, tu as bien choisi. Je le trouve… rassurant.

Rassurant d’ainsi contempler les restes d’une structure que l’on croyait immuable, inébranlable ; un monument qui a succombé à la chute à laquelle tu as survécu.
Rassurant d’ainsi le contempler avec elle,
Étrangement.

— C'est là qu'il y avait le temple de la terre. On ne dirait pas aujourd'hui, avec ce qui reste.

Faible rictus, satisfaction secrète.
Tes iris de nouveau ancrés dans les siennes, comme un aimant ne sachant aucunement défier les lois du magnétisme. Simple marionnette de son manège sans le savoir.
En terres inconnues, face à l'entonnement de ses mots façonnés, tu ne sais jouer que la mélodie de la sincérité.

— C'est… un peu difficile pour moi d'avoir l'autorisation de sortir, c'est vrai. Mais j'ai pu me libérer… J'ai besoin de souffler parfois, alors je viens ici. Et j'avais envie de te revoir.

Une envie, ou plutôt, un besoin.
Une addiction qui sait calmer les maux avec soin.

— Je ne pensais pas que je t'aurais manqué. Mais… tu m'as manqué aussi, Merit.

Les tourments du quotidiens n’existent plus dans ce paradis tissé de ses doigts ; les souvenirs du temps où tu incarnais une malédiction parmi les bénédictions s’apaisent, reposent sous ces débris où il ne reste plus que vos deux silhouettes.
Tu ignores si ce triste tableau t'inspire du romantisme comme elle, si l’amour est ce phénomène allumant une nouvelle flamme sur ces cendres. Tu n’entends que des glas au son de ses rires, une délivrance dans sa générosité ; sa tête contre ton torse te fait tressaillir, attire l’une de tes mains sur sa taille comme un aimant — ton corps espérant que ce contact ne se rompt jamais.

Car face à elle tu n’es qu’un homme misérable en quête de répit
Tandis qu’elle symbolise la morphine calmant tes nerfs éreintés par la vie.

Vil poison au goût de saccharine, elle berce ton idéalisme dormant en parlant de liberté. Cette douce mélodie d’antan qui éclaire ton visage d’un sourire nostalgique en souvenir d’un prophète. Un hymne qu’elle dérobe odieusement pour bâtir son propre empire, sillonne un large sourire.

— Mon dieu dit la même chose. Ça me fait plaisir que tu le penses aussi.

Et croire naïvement qu’elle prierait au même autel te remplit de joie.
Les yeux levés en direction des deux silhouettes divines menant leur éternelle lutte ; fermant les paupières, tu expulses un soupir.

— Mais c'est bien plus qu'une histoire de permission, tu sais. J'ai enfin réussi à avoir quelques responsabilités depuis peu de temps, et j’aimerais les honorer. Mais… Heureusement, le travail devient moins pénible à cette période de l'année.

Une mélodieuse vitalité remplace alors le timbre monocorde de ta voix.

— Et puis, tu as raison. On l’oublie souvent, mais c'est dans notre nature d'être libres et d'en profiter. Alors, je pense… que je vais rester un peu plus longtemps aujourd'hui.

Charmé à l’idée de profiter de ce cocon un peu plus longtemps, séduit par ces promesses faufilées derrière ses mensonges ; aussi mensongères que ses paumes qui se posent sur tes joues, laissant émaner une tendre chaleur étouffant tout sursaut de surprise. Sa requête te percute avec la puissance d’une rafale, écarquille tes orbes, te plonge dans un silence pensif.
Te demandant quelle est la nature de tes sentiments pour elle.
Et la vérité, c’est que tu l’ignores.

La vérité, c’est que Meritxell ne te laisse pas indifférent, tisse une connexion muette qui peut se lire dans son regard affamé. Le cœur battant au même rythme de ce besoin d’être aimé après avoir tant manqué.
Et la vérité, Alma, c’est que malgré la puissance accumulée, tu restes faible et misérable. Un homme faible qui a tant côtoyé la solitude et le mépris, a tant voulu plaire pour être simplement toléré, qu'il avait enterré l’espoir d’un jour pouvoir plaire de cette manière.
Alors tu cèdes à cette offre inespérée, te penches vers elle pour permettre à vos lèvres de se joindre. Les paupières closes, tes mains se posent sous ses épaules afin de l’amener timidement vers toi, vers ce baiser sincère au goût d’amour chimérique. Le premier baiser que tu n'as jamais offert à qui que ce soit avant elle.
Car même s’il s’agirait d’une grotesque mascarade, tu as envie de croire, ne serait-ce qu'un peu, en ce bonheur illusoire.

Quelques secondes s'écoulent avant que ta tête ne recule.
Les mains refusant de la lâcher, tu scrutes ses réactions de tes yeux mi-clos.

— Dis-moi… Qu’est-ce que tu avais en tête quand tu disais que je n’aurais plus besoin de permission ?

Sourire presque coupable, ton regard crie famine, se nourrit de ce sentiment de paix sans turbulence.

— J’aimerais bien que tu restes plus longtemps, toi aussi.

Qu'elle reste aussi longtemps que nécessaire pour permettre à son poison d'infecter ton cœur.
Et alors peut-être
Peut-être qu'elle pourra enfin te délivrer de cette perpétuelle douleur.

Le monde alentour s'est évaporé.
La distance rompue entre vos deux silhouettes, tu n'incarnes désormais qu'une vulgaire marionnette, resserrant l’emprise de tes bras sur sa taille. Te laissant bercer dans sa réalité déformée où les vérités sont transformées. Une nouvelle réalité où les hommes profondément désespérés deviennent plaisamment sérieux ; où les espoirs pathétiques se muent en promesses poétiques.

Un amour torturé naissant sur les ruines d’un massacre.
Un tableau répugnant auquel ton idéalisme souhaite dédier sa foi, trouver du réconfort dans cette misère familière.
Car la foi n’exige que de croire, dédier ses certitudes en des vérités fabriquées pour apaiser les angoisses.

Un doux instant qu'elle balaie d'un geste audacieux, découvrant ton épaule de ses étoffes. Les muscles se tendent, le cœur s'affole en contemplant tes cicatrices dévoilées — vulnérable au dégoût qu’inspire ton plus grand complexe.
Et fidèle à elle-même, à l'instar d'un tranquillisant, elle calme tes nerfs ; t'enferme dans la confusion, le rouge envahissant tes joues, en approchant ses lèvres de ton épiderme écorché.
Interdit durant quelques secondes, un rire muet secoue finalement tes épaules pour briser ce calme. Sans savoir s'il s'empreint de tristesse ou d'allégresse.

— Je crois que même dans mes rêves, je n'aurais pas espéré ça…

Cet instant te paraît lunaire, si lunaire qu'il éclaire ton expression d'un sourire mélancolique mais sincère. Les doigts remontant partiellement ta manche par pudeur face à ce paysage découvert.

— Mais je t’ai déjà dit ce que je voulais : je veux rester plus longtemps avec toi, Merit.

Demeurer dans ce paradis qu'elle a tissé. Car avant son apparition, tu pensais appartenir à ces âmes enchaînées aux affres éternelles, trop ruinées pour aspirer à une véritable béatitude ; une certitude qu’elle a pu rompre de ses doigts divins.

Peu importe
Si la fatalité rit de te voir sombrer dans ces illusions
Peu importe
Car cette sérénité fabriquée demeure bien réelle.
Faible devant cet intérêt que l'on ne t'avait jamais dédié.
Faible devant ce répit enfin accordé.

— Je ne sais pas comment les autres se sont aimés avant, mais j’ai toujours voulu tout partager avec quelqu'un. J'adorerais… que ce soit toi. Si tu as la soirée pour moi… je l'ai pour toi aussi.

Dans le monde inexploré de l’amour, elle t’entraîne dans cette danse à la cadence précipitée comme une poupée de chiffon. Séduit par son charme, la nervosité déforme néanmoins les lèvres qui se déposent sur sa joue. La tendresse enfin à portée de main, tes doigts saisissent les siens d'un geste hésitant, le cœur battant.
Les mots sortent d'une voix tremblante, vibrant de la douceur et de la peur que t’inspire soudainement cette intimité nouvelle.
Réalisant alors qu’il sera impossible de dissimuler les plaies que même le temps n'effacera jamais.

— Il vaudrait mieux… qu’on trouve un endroit pour s’abriter si on va passer la soirée ici, si tu es d'accord.

Mais si elle peut également apaiser ces craintes, alors tu promets de réaliser son souhait de l’aimer comme elle voudrait être aimée.