Costume intégralement noir, gants de cuir noir et masque de corbeau sur sa chevelure brune, quand Elios incarne Atlas, le chuchoteur rattaché au domaine de la surveillance, il est avant tout une ombre. Et cela lui convient très bien. À la lueur tamisée des bougies, sous son masque proéminent, on ne devine rien de qui il est, ni son œil borgne ni sa voix, modifiée par le mécanisme qu’ils utilisent tous. Et si l’identité de ceux arrivés après lui lui est connue, dans de telles réunions il est facile de les oublier, pour se concentrer simplement sur les mots et les décisions de chaque membre de cette illustre assemblée.

Cette fois, c’est le chuchoteur du Commerce, Antarès, qui les a conviés, afin d’analyser l’une de ses propositions. Aussi, tout naturellement, c’est lui qui prend la parole en premier afin d’exposer les faits. Rien qui ne soit une grande découverte, pour Elios. Cela fait écho à certaines transactions illégales et aux manœuvres que ses caméras et ses espions lui ont déjà remontées. Entendant la demande qui est faite, Atlas hoche la tête en silence. Antarès a toujours un charisme certain quand il s’exprime, preuve s’il en est que l’homme maîtrise son sujet autant qu’il tient à maintenir sa domination en la matière.

Ophiuchus parle et pose des questions qu’elle n’est probablement pas la seule à partager, en effet. Quand le silence revient, Elios intervient alors, conscient qu’avant de lui répondre, Antarès attend d’autres avis de la part de l’assemblée. Il appuie, lui aussi, sur le système de modification vocale et cette voix qui n’est plus vraiment la sienne, résonne :

« Tes mots sont entendus, Antarès. Avoir la mainmise pleine et entière sur les échanges commerciaux de notre territoire ne sera jamais chose aisée. Des manœuvres au sujet de marchandises ont lieu dans l’ombre, dont certaines sont remontées à mes oreilles. Je pense aussi que cela doit cesser. Qu’il s’agisse des ducs ou de n’importe qui d’autre, il est impensable que des étrangers se jouent des règles d’Arkmere. »

Un temps.

« Je peux affûter mes yeux et les mettre au service de ton projet. »

S’il lit entre les lignes, Elios se doute qu’Antarès attendait son approbation. Ce n’est pas la première fois que ces deux-là s’accordent, lors de concertations semblables au sein de l’assemblée et avoir un allié en ces lieux est toujours une bonne chose. Il faut dire qu’il n’a aucunement à feindre, le projet du chuchoteur du Commerce se justifie et va dans le sens d’un contrôle plus affirmé de ce qui se passe dans les rues d’Arkmere. Elios ne peut qu’être pour.

Quand il reprend la parole, Antarès réaffirme en des mots plus précis ce qu’il souhaite mettre en place. Renforcer la surveillance, s’attarder sur les frontières et durcir le système judiciaire vis-à-vis de ceux qui se permettent d’effectuer des transactions illégales sur le territoire. Autant d’actions qui nécessitent des moyens logistiques et humains, sur lesquels Atlas a son mot à dire. Il hoche donc la tête lorsque son nom est cité, et écoute attentivement la suite des explications de celui qui les a conviés. Il semble très sûr de lui et de ses idées, ce qui n’est pas pour déplaire à Elios. Il faut être ferme et ambitieux, à ce petit jeu-là, sans quoi leurs adversaires trouveront des failles dans lesquelles s’engouffrer.

Lorsque le silence revient et qu’Antarès attend les avis de l’assemblée, Atlas a toutefois la sensation qu’un aspect a été oublié, au passage. Il balaie donc du regard les masques qui lui font face, attendant de voir qui réagira en premier. Une fois de plus c’est Ophiuchus. Cela ne le surprend guère, elle n’est pas du genre à craindre de partager sa pensée ou ses questions. Et ces dernières sont en lien avec le trafic de drogue, ce qui peut se comprendre.

Une autre voix s’élève ensuite et Elios a un fin sourire, derrière son masque. C’est une intervention qu’il attendait. La chuchoteuse de la diplomatie a forcément à dire face à un tel un projet, qui viendra fragiliser – qu’on le veuille ou non – les relations avec Dawndale. Mettre fin aux affaires des Ducs sur le territoire aura des répercussions, directes ou indirectes, car bien nombreux sont les domaines d’influence de Dawndale sous le joug (affirmé ou non) des Ducs et de leurs réseaux.

« Les remarques d’Altair sont légitimes, et je pense qu’il vaut mieux jouer sur les deux tableaux. Je suis d’accord avec l’idée d’une délégation officielle qui viendra consolider nos accords commerciaux et clarifier nos intentions auprès des Magnus. Après tout, si nous insistons sur le fait que ce sont les trafics illégaux des Ducs que nous ciblons, ils ne pourront guère s’y opposer, car ce serait un aveu de faiblesse pour eux que d’admettre que la richesse de leur nation repose pour beaucoup sur ces réseaux. » Ce qui est connu de tout le monde, toutefois.

« Et pendant ce temps, durcir nos contrôles et notre réglementation, comme indiqué par Antarès. Il est difficile de quantifier précisément ces crimes et infractions, car l’influence des Ducs peut-être directe comme indirecte. Des citoyens d’Arkmere comptent parmi leurs pions, et leurs marchandises font supposément vivre un marché parallèle. Mes « yeux » ont déjà commencé à en identifier certains, et il nous faut déployer plus de moyens encore sur le sujet. Avec le projet d’Antarès et l’aval de l’assemblée, nous pourrons y arriver plus efficacement. Pour ma part, cela me convient. »