L’urgence avait une saveur exquise, moins suave que le secret mais tout aussi excitante.
L’appel de Nemo avait le goût sirupeux d’un alcool qui avait trop vieilli. Celui qui éveille la curiosité, et sur lequel on s’interrogeait pour tenter de deviner les arômes qu’il avait eu avant. Alors, même s’il n’avait pas posé la question, les règles étaient les règles, Nimrod était curieux, se demandant quel bon ou mauvais vent allait mener le Duc des Sévices dans son univers.

Nemo est déjà là, installé à une excellente table et en possession de son verre plein. Une évidence car chaque établissement était rodé à l'exercice. Celui de traiter chaque duc comme un prince dans le domaine où il était le roi.
Son rictus habituel épinglé sur les lèvres, Nimrod rend l’accolade à son partenaire et s’installe en silence.
A peine assis, on lui sert un verre mais il n’y touche pas, chassant de la main l’employé qui avait pris l’initiative de le faire. Il écoute, attentivement, les yeux sereinement posés sur la scène.

- Ah la famille… Peu importe la peur que l’on inspire, les grands projets auxquels on se destine, la cruauté dont on fait preuve, elle nous rend toujours un peu sentimentale, même en affaires.

Son rictus ne l’avait pas quitté, même s’il soupire d’un air las, faussement dramatique.

- Tu viens me demander beaucoup, c’est vrai, et me menacer en même temps Nemo. Ce n’est pas vraiment comme ça que ça marche entre nous, les Ducs, n’est-ce pas ? Et tu as vu nos prédécesseurs disparaître pour beaucoup moins que ça.

Le ton est doucereux. Il comprenait parfaitement le dilemme, remerciant cependant son empathie d’être aux abonnés absents.
Nemo comprendrait également son sous-entendu. Louées soient ces relations fabuleuses où il était facile de lire entre les lignes.

- Pourquoi n’ai-je pas eu l’honneur de rencontrer de grand blond distingué alors qu’il tente de faire pousser une quatrième tête inutile à l’Hydre qui en compte déjà trois très efficaces ? Tu l’as vexé ?

Cette fois, il observe Nemo et ses cigarettes en essayant de se rappeler de la dernière fois où il l’avait vu autant fumer.

- Tu peux fumer tu sais. C’est comme ça, entre nous Nemo… On préserve nos alliés, mais on s’arrange.

A travers les volutes de fumée blanche, Nimrod avait repris sa contemplation et son analyse de ce masque confiant qu’affichait Nemo en toute circonstance. Jamais il ne se serait avancé à dire qu’il le connaissait par cœur, car s’il y avait bien quelque chose à conserver, même avec ses amis et ses alliés, c’était bien un petit peu de mystère pour continuer à les surprendre, voire à les amuser.
Malgré tout, à force de le fréquenter, il y avait toujours un peu plus de détails à relever, pour donner quelques indications sur son état vis-à-vis d’une quelconque situation.

Le simple fait que le Duc des Sévices vienne le mettre en garde contre son propre sang était, à lui tout seul, un détail qu’il ne fallait pas négliger. Nimrod en était conscient.

- Mon ami.

La voix est plus grave, et le sourire plus large. Plus tordu également. Entre le rictus et la grimace. Et le Duc marque une pause. Ce n’était pas de l’hésitation mais il appuyait ses mots avec soin.

- Sommes-nous entrain de nous faire des promesses ?

A nouveau, il marque une pause pour goûter le contenu de son verre.

- Ne crois-tu pas que ta présence urgente ici soit déjà le signe qu’il pose problème ? Une question des plus amicales, Nemo. Tu te portes garant de ton propre sang, c’est tout à ton honneur.

Et après un soupir faussement magnanime, il souffle, on ne peut plus sérieux et droit.

- Si ses petits projets ne dépassent pas plus d’un orteil sur nos territoires, Nemo, alors oui, tu as ma parole. Si le sentimentalisme ne te rend pas trop mou, alors oui, tu as ma parole. Si ton frère veut s’improviser dealer ou proxénète dans la nation des culs-bénis coincés où la criminalité peine à percer, et qu’aucune de ses mèches blondes ne vient s’agiter dans les souterrains de Dawndale, alors oui tu as ma parole. C’est une marge de manœuvre bien plus que généreuse Nemo.

Puis un éclat de rire tonitruant lui échappe, comme s’il venait de raconter la meilleure des plaisanteries.

- Tu ne trouves pas qu’on trouve facilement des compromis entre amis ? On devrait s’ouvrir une bouteille ! J’ai un vin de Greygarde, une vraie merveille, à n’ouvrir que dans les grandes occasions.

Son verre avalé d’une traite, il se redresse.

- Mes amis d’Arkmere pourront peut-être m’en apprendre un peu plus, puisqu’il ne se confie pas à son frère adoré. Cela dit, Nemo, je te remercie d’être venu m’en informer aussi vite. Tu es aussi un allié que je préfèrerais conserver.

Il sourit, calmement.

- Et nous avons réglé assez d’affaires d’ingérences dans notre milieu, pour le moment.